Pour aider les organisations à profit social à évaluer leur gouvernance, la Fondation Roi Baudouin et l’Union des entreprises à profit social (Unipso) lancent Notre Gouvernance. Accessible à tout organisme via un portail web, cet outil d’autoévaluation invite les équipes de direction et conseils d’administration à prendre un peu de hauteur pour faire le point sur leurs pratiques.
Là où les décisions se prennent, lever la tête du guidon relève souvent du défi. Pas le temps, pas les moyens, pas l’envie parfois aussi, d’évaluer comment s’organisent et se gèrent une équipe de direction et un conseil d’administration (CA). La proposition faite par la Fondation Roi Baudouin est de déposer stylos et ordres du jour, pour s’interroger sur la gouvernance des organisations à profit social.
Pour ce faire, un outil d’autoévaluation mis au point initialement en 2010 par un chercheur de la VUB, Jurgen Willems, à la faculté de Sciences économiques et sociales et à la Solvay Business School. Scientifiquement éprouvé, l’instrument est utilisé en 2013 par des membres d’ACODEV, la Fédération des ONG de coopération au développement. Son outil sous le bras, le chercheur s’adresse ensuite à la Fondation Roi Baudouin et lui en fait don, à toutes fins utiles. Une véritable aubaine pour la Fondation, précisément plongée dans une réflexion sur la gouvernance des organisations à profit social (1).
Gouvernance, quèsaco?
La gouvernance… Un mot complexe, englobant toute une série d’enjeux et de paramètres, propres aux dimensions tant internes qu’externes à toute organisation. La définition de la gouvernance sur laquelle s’appuie la Fondation Roi Baudouin émane d’un travail de l’Académie des entrepreneurs sociaux (HEC-ULg): «C’est un ensemble de principes, pratiques et mécanismes qui régissent les modalités de coordination, d’interaction et de répartition des pouvoirs entre les acteurs d’une organisation. Elle désigne aussi les relations entre l’entreprise et son environnement plus ou moins proche.» Sophie Van Malleghem, de la Fondation Roi Baudouin, résume: «Ce sont les mécanismes formels et informels qui régissent la vie d’un organisme et de ses parties prenantes.» Le concept de «parties prenantes» regroupe quant à lui une série d’acteurs: les groupes cibles auxquels les actions de l’organisation sont destinées (usagers, bénéficiaires, membres, habitants…), les financeurs (pouvoirs subsidiants, donateurs…), les collaborateurs (personnel, volontaires) et, enfin, les partenaires (autres associations, fédérations, universités, instituts de formation…).
Prendre du recul
«La Fondation soutient chaque année plus de 1.800 organisations. L’an dernier, plus de 30 millions d’euros ont été distribués, au travers d’appels à projets, à toute une série d’associations en Belgique, en Europe et au niveau international, souligne Sophie Van Malleghem, coordinatrice de projets à la Fondation Roi Baudouin. Outre les soutiens financiers octroyés, la Fondation collabore étroitement avec énormément d’associations pour la conception, la réalisation et l’évaluation de ses propres projets. De plus, notre volet ‘engagement sociétal’ vise notamment à renforcer les associations dans leur travail.»
«L’objectif de cette autoévaluation est d’améliorer les processus de travail là où cela est nécessaire, en améliorant les faiblesses constatées ou en réglant les problèmes.», Sophie Van Malleghem, de la Fondation Roi Baudouin
Les acteurs de la vie associative étant des partenaires essentiels de la Fondation Roi Baudouin, leur bon fonctionnement et, cela va de pair, celui des CA sont à encourager et à soutenir. «Nous constatons souvent que les associations manquent de temps pour évaluer la manière dont elles fonctionnent en matière de gestion des décisions, de ressources humaines, de financements, de communication… Pleinement engagées dans leurs missions, elles n’ont pas toujours le recul pour s’autoanalyser.» Cet outil d’autoévaluation tombait donc à point nommé.
Pensé au départ pour le secteur des ONG, l’outil a subi des adaptations nécessaires pour mieux coller aux réalités des organisations à profit social. Un lifting opéré en étroite collaboration avec l’Union des entreprises à profit social (Unipso), partenaire francophone du projet (2). Cécile de Préval, responsable projets formation à l’Unipso, explique la finalisation de cet outil: «Nous avons effectué les adaptations, en invitant nos membres à réagir au questionnaire remanié. Un bureau informatique a ensuite transposé l’outil en un site internet. L’Unipso, en tant que fédération intersectorielle, en assure la promotion et la diffusion, auprès de nos membres, d’autres fédérations, et de toute petite ou moyenne asbl intéressée par la démarche.»
Le fonctionnement
Baptisé Notre Gouvernance, l’outil se veut pratique et concret. Facile d’accès (tapez www.notregouvernance.be et vous y êtes) et d’utilisation (en quelques clics, vous enregistrez votre organisation), il est gratuit et utilisable par toute organisation. Répondent aux questions uniquement les membres du CA et de la direction, individuellement et anonymement. Un minimum de trois répondants est requis pour que l’évaluation soit considérée comme valable. Se prêter au jeu ne demande pas un investissement considérable, ni en temps (30 à 45 minutes) ni en prose (sur la base d’affirmations, cochez la case correspondant le mieux à votre appréciation). Il est aussi possible de revenir plusieurs fois sur le questionnaire une fois celui-ci entamé.
Le questionnaire en ligne balaye toute une série d’aspects liés à la gouvernance: le partage de l’information au sein du CA, la sélection des nouveaux administrateurs, l’adéquation entre le mode de prise de décision et les valeurs de l’association, la répartition des rôles entre le CA et l’équipe de direction, le renouvellement du CA, l’expertise des administrateurs, les positions de force, le travail dans l’urgence, la planification, l’autonomie, l’équilibre homme-femme et la multiculturalité au sein du CA… Les répondants sont aussi invités à donner leur appréciation concernant l’implication du personnel et autres «parties prenantes» (bénéficiaires, usagers, membres, financeurs, partenaires…) dans les processus décisionnels de l’organisation. Trois études de cas viennent également alimenter le questionnaire: en cas de baisse de revenus, en cas d’atteinte à l’image, en cas de prise de décision au sujet d’un projet novateur…
Un bilan et des enjeux
Une fois le questionnaire rempli par les membres de la direction et du CA, le rapport généré leur est envoyé, offrant un diagnostic de la gestion en interne, de ses forces et ses faiblesses. «Ce rapport est confidentiel, souligne Sophie Van Malleghem, de la Fondation Roi Baudouin. Sa vocation n’est pas d’offrir des réponses, mais bien d’entamer une discussion et une réflexion en interne. L’objectif de cette autoévaluation est d’améliorer les processus de travail là où cela est nécessaire, en améliorant les faiblesses constatées ou en réglant les problèmes. L’outil invite donc à faire un bilan, propre à chaque organisation. Si le taux d’utilisation est suffisant, cet instrument permettra également aux organisations de connaître leur positionnement face à d’autres organisations.»
«Il est vrai que l’outil est construit sur base d’une vision assez classique de le gestion de l’entreprise, où la direction et le CA sont les seuls mandataires des prises de décision», Cécile de Préval, Unipso
Du côté de l’Unipso, Cécile de Préval ajoute: «À la lecture des résultats et des grandes lignes qui s’en dégagent, les CA disposeront d’une photographie de ce qu’ils pensent de leur structure. Cela permet de poser la question essentielle de la transparence. Est-ce que la façon dont les décisions sont prises, dont la stratégie est adoptée, dont les services sont organisés… est transparente, claire et bien menée? Les enjeux sous-jacents et difficultés rencontrées diffèrent selon les CA. Dans le cas de CA peu participatifs, cela sera peut-être l’occasion pour les directions de remobiliser les administrateurs. Les CA très participatifs se poseront peut-être quant à eux la question de leur forte implication dans la gestion journalière. En d’autres lieux, il y a parfois aussi énormément de jeux de pouvoir sur lesquels il sera peut-être nécessaire de faire le point. Se pose également la question de la professionnalisation des administrateurs qui, bien que sollicités pour leurs compétences et expertises, occupent cette fonction, dans le secteur à profit social, à titre bénévole. Pris par le temps et leurs obligations professionnelles, ils n’ont pas toujours l’occasion de se former, de s’informer, de monter en compétences…»
Et pour les cas de figure où le CA s’inscrirait dans une dynamique de gouvernance partagée et de prise de décision de manière plus horizontale, impliquant une participation du personnel et des volontaires, l’outil Notre Gouvernance semble probablement moins adapté à leur mode de fonctionnement. «Il est vrai que l’outil est construit sur la base d’une vision assez classique de la gestion de l’entreprise, où la direction et le CA sont les seuls mandataires des prises de décision, explique Cécile de Préval. Il serait certainement à bonifier à l’avenir sur d’autres questions. Pour des coopératives, par exemple.» À ce sujet, Sophie Van Malleghem souligne: «À la Fondation Roi Baudouin, nous sommes évidemment sensibles à d’autres formes de gouvernance. Mais cet outil, tel qu’il nous a été proposé initialement, avait pour balises une gouvernance portée par la direction et le CA. C’est un outil parmi d’autres, qui permet déjà d’évaluer la gouvernance en fonction de ces responsabilités-là.»
Quelles suites?
Le bilan déposé sur la table du CA, que faire ensuite? Selon Sophie Van Malleghem, «libre à chaque association d’en faire ce qu’elle veut et de poursuivre la démarche en interne, en mettant éventuellement en œuvre des formations, en ayant recours à d’autres outils…» «À partir d’une première discussion, des choses peuvent être mises en place assez rapidement, en s’auto-organisant, ajoute Cécile de Préval. Et après, si les problèmes sont trop profonds, les CA devront peut-être se faire aider, s’ils le souhaitent. De notre côté, nous verrons comment organiser des suites éventuelles: séances d’infos, formations, accompagnateurs… Mais tout cela reste à évaluer et à construire, en fonction de la demande éventuelle.»
«Nous ne voudrions pas en arriver à une situation où les pouvoirs publics, par exemple, viennent avec des recommandations et des éléments contraignants. Les associations ont déjà suffisamment de compte à rendre», Cécile de Préval, Unipso
Autre étape du projet: rassembler l’ensemble des rapports afin de réaliser des rapports transversaux sectoriels sur le niveau de la gouvernance par secteur. L’idée étant de déceler des tendances. «Lorsque nous aurons atteint un taux de remplissage suffisant, nous pourrons communiquer ces tendances auprès du secteur, explique Cécile de Préval. Nous pourrons aussi établir une comparaison avec la Flandre, via le travail effectué par notre partenaire flamand, Verso.»
Notre Gouvernance se veut bien un outil au service des associations, libres de fonctionner en toute autonomie. «En tant qu’Unipso et représentant des employeurs, poursuit la responsable de projets, nous souhaitons que les questions de professionnalisation et d’amélioration des CA restent dans le chef des organisations elles-mêmes. Nous ne voudrions pas en arriver à une situation où les pouvoirs publics, par exemple, viennent avec des recommandations et des éléments contraignants. Les associations ont déjà suffisamment de comptes à rendre, notamment en matière de subsides, pour encore devoir en rendre en matière de gouvernance. Notre souhait est que les asbl décident d’améliorer leur fonctionnement, de leur propre initiative.» Un tel outil permettra certainement de renforcer, comme le souhaite la Fondation Roi Baudouin, «l’image positive du secteur à profit social et la confiance dont il jouit».
- Voir « Recommandations pour la gouvernance des organisations à profit social : repères et bonnes pratiques », une publication de la Fondation Roi Baudouin (2010), fruit d’un travail mené par un comité de pilotage réunissant une vingtaine de présidents, administrateurs et dirigeants d’organisations à profit social.
- Le partenaire flamand est Verso (Vereniging voor Social Profit Ondernemingen).
En savoir plus
Site web : www.notregouvernance.be
«Participation au travail: le défi horizontal» (cliquer sur les boutons !), Alter Échos n° 410, 30 septembre 2015.