Le quotidien flamand « De Morgen » a décidé, dorénavant, de ne plus utiliser le vocable « allochtone », très prisé au nord du pays, pour désigner les personnes d’origine étrangère. Le monde politique n’a pas tardé à reprendre la balle au bond.
Tout est parti de la réaction de Bart De Wever aux émeutes de Borgerhout mi-septembre suite à la diffusion du film « The Innocence of Muslims ». Le président de la N-VA a alors déclaré qu’Anvers (dont Borgerhout fait partie) n’était pas à tout le monde « mais seulement à ceux qui font un effort pour en faire partie » et que par conséquent, la Métropole ferait mieux de changer de slogan. Le slogan « La ville est à tout le monde » (« ‘T Stad is van iedereen ») a été créé en 2004 par le bourgmestre actuel, Patrick Janssens (SP.A), contre qui Bart De Wever se présentera le 14 octobre prochain.
« La ville est-elle à tout le monde ou pas ? Et qu’en est-il du pays dans lequel elle se trouve ? C’est cette réflexion de fond qui a amené le quotidien « De Morgen » à annoncer quelques jours plus tard qu’il n’utiliserait dorénavant plus le terme allochtone dans ses colonnes. Ce vocable, inventé dans les milieux gouvernementaux aux Pays-Bas au début des années septante, est très utilisé aussi bien par la presse que par les pouvoirs publics en Flandre.
« Quand cesse-t-on d’être allochtone ? »
Etymologiquement, ce mot signifie « qui vient d’ailleurs ». Mais dans son acception pratique, note le quotidien, le concept est beaucoup plus ambigu. Pour désigner un Français ou un Allemand, on ne l’utilisera jamais. Pour un Chinois, on utilisera plutôt le terme « chinois ». Mais un citoyen belge dont les deux grands-parents sont nés en Anatolie se verra facilement désigner d’allochtone. Combien de générations faudra-t-il dès lors à sa famille pour se débarrasser d’une étiquette qui en définitive sert avant tout à stigmatiser ? « C’est un concept qui regroupe un nombre non défini de qualifications : musulman, peu diplômé, discriminé, arabe, nord-africain, non européen », écrit De Morgen. Conclusion : ce quotidien aura dorénavant recours à un vocabulaire moins flou, « ce qui ne constituera en aucun cas une manière de mettre les problèmes que pose la société pluriethnique et multiculturelle sous le tapis. »
Dans la même édition du « Morgen », plusieurs « bekende allochtonen » débattaient de l’opportunité de cette démarche. Aima Charkaoui (forum des minorités), qui estime que « le monde n’est pas divisé entre autochtones et allochtones » et Chokri Mahassine (organisateur du Pukkelpop), qui ne s’est « jamais senti allochtone », applaudissent des deux mains. Mais le comédien Nouredine Farihi estime qu’on « trouvera encore une manière plus subtile d’entretenir les discriminations ». Auprès du monde politique en tout cas, les arguments du rédacteur en chef politique Wouter Verschelden semblent avoir fait mouche.
Bannir le mot ?
La ministre fédérale de l’Egalité des chances Joëlle Milquet (CDH) a annoncé le lundi 24 septembre qu’elle écrirait à tous les rédacteurs en chefs des journaux, hebdomadaires et chaînes de radio et télévision pour les inviter à suivre l’exemple du Morgen. Elle propose à ces mêmes rédacteurs en chef de se rencontrer le 16 novembre pour « un échange de vues sur le rôle des médias dans la perception des minorités et dans la lutte contre le racisme ».
D’autres membres du gouvernement fédéral ont réagi à l’annonce du quotidien. Vincent Van Quickenborne (Open VLD) a estimé que la communication du gouvernement devait également être expurgée du terme « allochtone », tandis que Laurette Onkelinx (PS) veut inviter tous les fonctionnaires à l’éviter. Seul le secrétaire d’Etat Hendrik Bogaert (CD&V) s’est montré plus circonspect. « Je ne suis pas convaincu qu’un changement de terminologie changera quoi que ce soit à l’intégration des nouveaux arrivants », a-t-il dit.
Le ministre flamand en charge de l’intégration, Geert Bourgeois (N-VA), juge pour sa part que le débat est positif. « Je n’utilise moi-même plus ce mot depuis quelques années », a-t-il souligné. Interrogé, le rédacteur en chef général de la VRT, Luc Rademakers, ne prévoit toutefois pas d’interdire le terme au sein de ses rédactions.
D’après l’agence Belga et De Morgen