Les activités de valorisation et d’utilité sociale (Avus) sont destinées aux personnes handicapées. Mais que sont vraiment ces activités et quels en sont les enjeux ?
Quiconque s’intéresse au domaine du handicap en Région wallonne aura sûrement vu apparaître au détour de l’un ou l’autre document un acronyme pour le moins sibyllin : Avus. De plus en plus courant, celui-ci signifie « Activité de valorisation et d’utilité sociale », du nom de ces activités mises en place à destination de personnes handicapées « pour lesquelles l’intégration en emploi ordinaire ou adapté est impossible, mais qui sont désireuses de rendre des services à la société » (voir encadré), comme nous le dira un intervenant du secteur. Organisées notamment par les services agréés par l’Agence wallonne pour l’intégration de la personne handicapée1 (Awiph), mais aussi par des structures privées ou à l’initiative des personnes handicapées elles-mêmes ou de leur famille, ces activités existent depuis bien longtemps mais n’avaient jamais jusqu’ici fait l’objet d’une tentative de cadrage, de structuration.
• les Avus intra-muros pour lesquelles les activités de production de biens et services se réalisent essentiellement au sein du service. Elles consistent en une prestation de service ou en une production de biens destinés à l’usage du service, à l’usage des bénéficiaires ou destinés à la vente. Exemple : participation aux tâches en buanderie, cuisine, gestion de la bibliothèque interne, nettoyage des véhicules.
• les Avus hors d’un service qui consistent en une prestation de service ou en une production de biens pour les besoins d’un tiers externe. Elles se réalisent en dehors des murs d’un service, mais peuvent être encadrées par un service. Exemple : petit travail administratif dans un CPAS, distribution du courrier dans une administration communale, entretien de sites touristiques, tâches diverses dans un grand magasin.
En termes de statut de la personne effectuant une Avus, si l’on se situe en intra-muros, aucune convention spéciale n’est nécessaire. Dans le cas d’un « hors service », on se situe dans le cadre du volontariat, et une convention est alors passée. Notons dès lors que l’on se trouve ici dans le cadre du secteur non marchand. « Certains Avus se déroulent néanmoins actuellement dans le secteur marchand, ce qui fait débat », note-t-on à l’Awiph.
Or, depuis peu, l’Awiph travaille à un projet de cadre général pour tout service proposant des Avus aux personnes handicapées ou pour toute personne handicapée désireuse de réaliser des Avus. « Un groupe de travail interne travaille sur le sujet depuis 2010 », nous explique-t-on ainsi à l’agence. Pour nourrir la réflexion, une enquête exploratoire et une enquête quantitative ont été réalisées auprès des services agréés. Suite à cela, trois réunions mettant en présence des représentants des services ayant répondu aux enquêtes ont été mises sur pied. Et le constat était simple : « Les services étaient vraiment demandeurs de balises afin de savoir que ce qu’ils avaient mis en place était juste, ajoute-t-on à l’Awiph. L’enquête que nous avons réalisée était d’ailleurs anonyme car certains services n’aiment pas trop parler du sujet vu qu’ils ne savent pas si ce qu’ils font est bien. Le but de cette initiative était donc de libérer la parole, de réaliser un échange de bonnes pratiques entre les acteurs. »
Il s’agissait également de nourrir et de valider le projet de cadrage qui pourrait également permettre, une fois qu’il sera établi, de promouvoir les Avus. Un projet de cadrage qui, s’il ne nous est pas permis d’en divulguer toute la teneur puisqu’il est encore en discussion, traite néanmoins de certains points intéressants comme de la définition des Avus ou encore de la « gratification » donnée à la personne en effectuant une (et, partant, de ce qui doit être fait des éventuels bénéfices dégagés par la mise en place de certaines Avus). Il contient également un projet de note d’organisation d’une Avus censée cadrer celle-ci et conçu comme un outil contribuant à la protection de la personne handicapée la réalisant. « Pour nous, à titre d’exemple, une Avus doit dans tous les cas avoir une valeur sociale ajoutée, souligne-t-on à l’Awiph. Elle doit permettre entre autres à la personne de développer son potentiel et ses compétences, lui procurer du plaisir, lui permettre d’acquérir un maximum d’autonomie. Il faut également que le résultat de l’activité et son utilité soient immédiatement perceptibles par la personne, que celle-ci soit mise en rapport avec le public environnant et puisse se construire un réseau social hors du service, etc. »
Une réflexion sur le sujet a également lieu à l’heure actuelle à Bruxelles. Appelé Pact (participation par l’activité), l’équivalent bruxellois des Avus est au centre des préoccupations d’un groupe de travail composé de directions de centres de jour, d’ETA, de services d’accompagnement et de personnes représentant des projets privés. « Le but actuel n’est pas de cadrer les choses comme en Wallonie, explique Julie Heughebaert, coordinatrice du projet Pact depuis avril 2011. Il s’agit plutôt de tenter de voir ce qui se fait à l’heure actuelle, de faire un état des lieux et de proposer un modèle, de voir ce qu’on peut faire mieux. » Le but du projet est également de créer une plate-forme permettant de faire se rencontrer l’offre et la demande en matière de Pact. Alter Echos reviendra sur le projet une fois que celui-ci sera plus avancé, dans quelques mois.
Des voix s’élèvent
Néanmoins, malgré cette tentative de cadrage, des voix s’élèvent pour faire entendre une autre opinion, tant sur le fond que sur la forme. Sur le fond tout d’abord, les rumeurs semblent aller bon train dans le secteur à propos de services organisant des Avus qui flirteraient avec l’activité commerciale, sans retour financier pour les personnes les effectuant. Un constat qui pose question notamment en ce qui concerne le statut des personnes les effectuant, mais qui fait également réagir les entreprises de travail adapté (ETA) qui, sans utiliser le terme de concurrence déloyale, tirent néanmoins la sonnette d’alarme.
« Il apparaît qu’il faut définir un cadre, en cela nous ne pouvons pas contester le travail mené par l’Awiph, déclare à ce sujet Sognia Angelozzi, directrice de l’entente wallonne des entreprises de travail adapté2 (Eweta). Nous reconnaissons également l’utilité du travail réalisé par les services avec les bénéficiaires. Mais il faut rester vigilant à ne pas donner un cadre réglementaire à une sorte de statut intermédiaire, à ne pas créer une structure intermédiaire de plus. » Une structure se situant entre les ETA et l’occupationnel pur ? Difficile à dire. Ce qui est clair, par contre, c’est que certaines ETA semblent craindre que les Avus ne viennent rogner sur la partie la plus fragilisée de leur public, celle effectuant des petits travaux, alors qu’une bonne partie de leur public le plus fragilisé semble déjà avoir fait ses valises suite à l’augmentation de la demande de productivité au sein d’entreprises de travail adapté, devenues au fil des années de « vraies » entreprises soumises à des impératifs de rendement.
Un constat que confirme notamment Anne Tricot, conseillère à la FGTB wallonne3 et par ailleurs membre du Comité de gestion de l’Awiph. « Cette question nous oblige effectivement à remettre sur la table les questions relatives aux ETA, admet-elle. Elle nous force à réinterroger ce qu’est une ETA et où se situe sa mission. »
Des questions sur la forme
Sur la forme, Anne Tricot, toujours elle, souligne également certains problèmes ayant présidé à l’élaboration du projet de cadrage de l’Awiph. « Nous sommes quelques-uns au sein du comité de gestion de l’Awiph à nous poser des questions concernant les Avus. Nous ne voulons pas de la constitution d’un statut à part qui organise du travail sous un autre vocable à destination d’un public particulier. Nous voulons des balises claires qui indiquent que les Avus ne sont pas du travail. Il faut par exemple qu’un encadrement soit prévu, que la participation des personnes soit volontaire. Il ne peut pas y avoir d’obligation de résultat avec des partenaires extérieurs au service, et la durée des Avus doit être fixée avec un maximum d’heures hebdomadaires. Les Avus ne peuvent de plus pas avoir lieu dans le secteur marchand et s’il y a une indemnité forfaitaire, elle doit revenir à la personne qui a presté l’Avus. Après les trois réunions informelles avec le secteur organisées par l’Awiph, nous pensons que la proposition de cadrage n’est pas suffisante puisqu’il y a, selon nous, une confusion entre travail et activité valorisante. »
Dans ce contexte, les représentants des interlocuteurs sociaux au comité de gestion de l’Awiph (parmi lesquels se trouvent les syndicats) désignés par le Conseil économique et social de la Région wallonne (CESRW) ont décidé de demander un avis sur la question au conseil. « Nous espérons que celui-ci aura une influence », explique Anne Tricot.
une règlementation des Avus
Notons également pour être complet que le contrat de gestion de l’Awiph arrivera à terme début mai 2012 et qu’Eliane Tillieux (PS), ministre de la Santé de la Région wallonne, a déposé une note d’orientation concernant le nouveau contrat de gestion. « Dans ce cadre, la ministre voudrait organiser les Avus. Elle leur a d’ailleurs réservé des moyens, explique Serge Clossen, chef de cabinet adjoint. Le projet de contrat de gestion reste à écrire, mais nous pourrions lancer des projets pilotes qui viseraient à tester une organisation, une réglementation des Avus. Mais attention, il ne s’agit pas ici de créer un nouveau statut, il y a une loi sur le bénévolat et nous pourrions nous y inscrire. »
1. Awiph :
– adresse : rue de la Rivelaine, 21 à 6061 Charleroi
– tél. : 071 20 57 11
– courriel : info@awiph.be
– site : http://www.awiph.be
2. Eweta :
– adresse : route de Philippeville, 196 à 6010 Couillet
– tél. : 071 29 89 20
– courriel : secretariat@eweta.be
– site : http://www.eweta.be
3. FGTB wallonne :
– adresse : rue de Namur, 47 à 5000 Beez
– tél. : 081 26 51 52
– site : http://www.fgtb-wallonne.be
4. Cabinet d’Eliane Tillieux[ :
– adresse : rue des Brigades d’Irlande, 4 à 5100 Namur
– tél. : 081 32 34 11
– courriel : eliane.tillieux@gov.wallonie.be
– site : http://www.tillieux.be