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Subventions

Wallonie: les entreprises de travail adapté bénéficient-elles de subventions illégales?

Un jugement du tribunal de commerce francophone de Bruxelles fait trembler les entreprises de travail adapté. Il note que le système de subventions salariales dont bénéficie le secteur en Région wallonne n’a jamais été notifié à la Commission européenne. Et qu’il serait donc illégal…

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Un jugement du tribunal de commerce francophone de Bruxelles fait trembler les entreprises de travail adapté (ETA). Il note que le système de subventions salariales dont bénéficie le secteur en Région wallonne n’a jamais été notifié à la Commission européenne. Et qu’il serait donc illégal…

Assise dans une salle de réunion située au dernier étage d’un immeuble namurois, Dominique Nothomb s’évente à l’aide d’une feuille. En cette fin de journée caniculaire, les combles où la directrice de l’Entente wallonne des entreprises de travail adapté (Eweta) a pris place ont des allures de sauna. «Si je fais cela, c’est parce que j’ai chaud, pas parce que je suis énervée», lâche-t-elle en rigolant. Dominique Nothomb a pourtant des raisons d’être énervée. Et avec elle, tout le secteur des ETA wallonnes. En cause: un jugement rendu récemment par le tribunal de commerce francophone de Bruxelles. Celui-ci fait suite à une action intentée par l’Union générale belge du nettoyage (UGBN) à l’encontre de l’ETA Village n°1 entreprises, notamment active dans le secteur du nettoyage.

C’est l’ensemble du secteur des ETA qui pourrait se voir mis en danger.

L’UGBN considérait que, sur deux marchés publics spécifiques, Village n°1 avait remis des prix anormalement bas en les justifiant par les subventions salariales que les ETA reçoivent de la Région wallonne afin de compenser la perte de rendement de leurs travailleurs handicapés. Ce qui indiquerait un acte de concurrence déloyale: si les subventions salariales sont bien utilisées à compenser la perte de productivité, elles ne devraient mécaniquement pas permettre à l’ETA d’écraser ses prix. L’UGBN notait aussi que ce mécanisme de subventions salariales n’avait pas été notifié à la Commission européenne et n’avait pas été déclaré compatible avec le marché intérieur. Et qu’il pouvait donc être considéré comme constituant des aides d’État illégales.

Dans les deux cas, le tribunal a donné raison à l’UGBN. Si les accusations de concurrence déloyale ne concernent que Village n°1, le point consacré à la non-notification des subventions salariales pourrait avoir l’effet d’une bombe. Si ces aides sont déclarées illégales, c’est l’ensemble du secteur des ETA qui pourrait se voir mis en danger…

La situation était connue de longue date par l’Eweta.

Un sujet trop «touchy»

Pour comprendre ce qui se joue, il faut analyser le mécanisme des subventions salariales wallonnes. Celles-ci partent du principe que les travailleurs des ETA connaissent une perte de rendement du fait de leur handicap. Une aide est donc prévue. Plus la perte de rendement est lourde, plus la subvention salariale est élevée. Elle peut ainsi monter jusqu’à 85% du salaire. Problème: la réglementation européenne déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché commun stipule que ces mêmes subventions salariales pour travailleurs handicapés ne peuvent pas dépasser 75% du salaire.

Face à cette situation, la Région wallonne aurait dû notifier ce mécanisme à la Commission européenne. Ce qu’elle n’a visiblement pas fait et qui rend les subventions potentiellement illégales. Un «oubli» qui met tout le secteur des ETA dans le cambouis. D’autant plus que l’UGBN a aussi déposé une plainte auprès de la DG Concurrence de la Commission européenne. «Nous avons bien reçu une plainte à ce sujet et notre évaluation de celle-ci est en cours. Nous ne pouvons pas faire plus de commentaires à ce stade», confirme Ricardo Cardoso, porte-parole de Margrethe Vestager, la commissaire en charge de la Concurrence.

Inutile de dire que cette situation suscite le malaise. Dominique Nothomb ne souhaite d’ailleurs pas s’exprimer sur le sujet. Tout au plus note-t-elle que «le dossier est complexe. Le secteur risque de subir lourdement les conséquences financières et sociales de cette situation». Quant aux autres fédérations d’économie sociale, elles se taisent en – presque – toutes les langues. Du côté de SAW-B, on ne souhaite pas commenter. Le sujet est trop «touchy». Pour Concertes, Sébastien Pereau, le secrétaire général, souligne que la fédération «attend que les pouvoirs publics offrent un cadre sécurisé pour l’économie sociale»… Il constate aussi que les accusations de concurrence déloyale à l’encontre de Village n°1 «jettent le discrédit sur l’ensemble du secteur alors qu’il s’agit d’un cas isolé».

Notons à ce propos que Village n°1 entend aussi faire connaître son point de vue. Si la structure concède des «explications insuffisantes de prix» dans les deux marchés publics incriminés – le fait d’avoir justifié ses prix bas par les subventions salariales –, elle fait remarquer qu’elle participe régulièrement à des marchés publics sans qu’il y ait de problème. Elle note également qu’elle fera appel de la décision du tribunal de commerce, sans souhaiter expliquer pourquoi.

«Il y a peut-être eu une volonté de ne pas lever un lièvre qui ne faisait pas vraiment débat jusque-là.» Jacques Defourny

Pour vivre heureux, vivons cachés?

Pourquoi la Région wallonne n’a-t-elle jamais notifié son régime de subventions salariales à la Commission européenne? Ce qui est sûr, c’est que la situation était connue de longue date par l’Eweta. Dans son rapport d’activité pour l’année 2012, l’Entente mentionne d’ailleurs qu’elle a réalisé une analyse juridique et que «celle-ci vient appuyer l’avis rendu par une autre analyse faite par Concertes et SAW-B démontrant que la Région wallonne devrait notifier ces aides à la Commission européenne et pouvoir dès lors en principe maintenir les subventions actuellement accordées aux ETA, même celles au-delà de 75%».

Depuis, six années ont passé, et rien ne semble avoir bougé. Pourquoi? Au cabinet d’Alda Greoli (cdH), ministre wallonne de l’Action sociale – qui vient de succéder Maxime Prévot (cdH) –, on déclare avoir sollicité un avis juridique sur la question. Dans l’attente de celui-ci, c’est «no comment». Notons toutefois qu’il est étonnant que le cabinet s’inquiète aujourd’hui de cette situation alors qu’Alda Greoli fut chef de cabinet de Maxime Prévot… Le cabinet actuel et ses quelques prédécesseurs ont-ils été tentés de suivre l’adage «Pour vivre heureux, vivons cachés?» «Il y a peut-être eu une volonté de ne pas lever un lièvre qui ne faisait pas vraiment débat jusque-là», analyse Jacques Defourny, directeur du Centre d’économie sociale de l’Université de Liège. Avant de préciser que la mise en conformité de la législation «devrait constituer la priorité. La bataille interne serait plus facile à aborder». Par «bataille interne», Jacques Defourny entend notamment la remise en cause des aides aux ETA que l’on retrouverait selon lui en filigrane de l’action de l’UGBN. «Sur le plan de la concurrence déloyale, il se peut que ce jugement fasse jurisprudence, prévient-il. Dans ce contexte, il est important d’obtenir une légitimité de la part de la Commission. C’est aussi l’occasion pour l’économie sociale d’insertion de rappeler aux opérateurs de ne pas dénaturer les conditions du marché.»

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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