106.332, soit un peu plus de 2,2% de l’ensemble des travailleurs belges, c’est le nombre de personnes qui exercent un flexi-job au premier trimestre 2023 selon les dernières statistiques de l’Office national de sécurité sociale (ONSS). Un nombre qui augmente de façon exponentielle depuis l’arrivée de ce contrat de travail flexible en 2015. Comparable au système de mini-job en Allemagne ou au «zero-hour contract» (contrat zéro heure) en Angleterre, le flexi-job à la belge permet de donner du travail sans les contraintes des typiques contrats à durée déterminée (CDD) ou indéterminée (CDI).
Les avantages pour le travailleur et l’employeur seraient nombreux: quota horaire illimité, pas de cotisations personnelles ni de précompte professionnel, exonération fiscale… même si la récente extension prévoit un plafond de 12.000 euros qui s’appliquera dès 2024 sur une base annuelle pour les travailleurs non pensionnés exerçant un flexi-job. Au-delà de ce montant, le travailleur devra déclarer ses revenus et sera taxé sur la globalité du montant. Le gouvernement fédéral souhaitait également renforcer l’encadrement du statut: application des barèmes sectoriels (sauf dans l’horeca) et hausse des cotisations patronales (de 25% à 28%) font partie des nouveautés. L’augmentation permettra selon la Vivaldi de générer une enveloppe de 71 millions d’euros.
Comparable au système de mini-job en Allemagne ou au «zero-hour contract» (contrat zéro heure) en Angleterre, le flexi-job à la belge permet de donner du travail sans les contraintes des typiques contrats à durée déterminée (CDD) ou indéterminée (CDI).
Les flexi-jobs répondraient ainsi à une double demande: celle des employeurs périodiquement en manque de main-d’œuvre et celle des employés confrontés à la baisse du pouvoir d’achat. Car pour le flexi-jobiste, le salaire brut équivaut au salaire net. Quiconque souhaite toucher un complément de revenus peut donc s’engager dans un emploi à des conditions attractives. Pour y avoir accès, il faut toutefois garantir d’avoir travaillé au minimum à 4/5 au cours du troisième trimestre qui précède le flexi-job et ne pas être en préavis au moment du flexi-job.
Des emplois low cost? Négatif, selon l’Union des classes moyennes (UCM) pour qui le flexi est une solution gagnant-gagnant dont l’intérêt est le complément de flexibilité qu’il apporte au marché du travail. L’extension du statut a également été accueillie favorablement par l’Union flamande des entrepreneurs indépendants (Unizo), le Syndicat neutre pour indépendants (SNI) ainsi que par plusieurs fédérations professionnelles concernées. C’est le cas de la Fédération belge des exploitants d’autobus et d’autocars (FBAA) ou bien d’Event Confederation. Manager de la confédération représentant l’événementiel en Belgique, Christine Merckx insiste: «Étendre le flexi-job à tous les acteurs concernés dans l’événementiel, un secteur qui repose sur la flexibilité et l’employabilité rapide, est essentiel.»
Une tendance de fond
Lors du dernier conclave budgétaire, le gouvernement Vivaldi a décidé d’étendre la possibilité de recourir aux flexi-jobs à 12 nouveaux secteurs publics et privés: transport en bus, garde d’enfants, enseignement, sport et culture, pompes funèbres, événementiel, garage automobile, agriculture et horticulture, écoles de conduite et centres de formation, immobilier, déménageurs et industries alimentaires (qui manquaient dans la chaîne de l’horeca). L’extension fait grimper à 22 le nombre de secteurs de l’économie dans lesquels le flexi-job peut être activé.
Lors du dernier conclave budgétaire, le gouvernement Vivaldi a décidé d’étendre la possibilité de recourir aux flexi-jobs à 12 nouveaux secteurs publics et privés.
«Ce qu’on trouve inquiétant, c’est la tendance de fond, observe Nel Van Slijpe, responsable national de la section jeunes de la Confédération des syndicats chrétiens (CSC). On met en concurrence un système basé sur des contrats de travail en CDD ou CDI, qui permettent d’accéder au chômage ou à la pension en payant de l’impôt et des cotisations sociales et qui subviennent à nos besoins en tant que société, avec en face un système qui coûte moins cher aux employeurs mais qui ne remplit aucune de ces fonctions sociales. Dans des secteurs déjà sous pression comme l’horeca, si un employeur a le choix de payer moins pour le même travail, il va évidemment opter pour un flexi-contrat plutôt que d’engager quelqu’un avec un contrat stable.»
Un maximum de flexibilité pour moins de sécurité
Dans une courte vidéo diffusée sur leurs réseaux sociaux à la suite de la décision gouvernementale, le responsable des Jeunes CSC vulgarise en quoi le flexi-job est épineux. «Le problème, c’est que le gouvernement veut étendre un système qui a prouvé dans l’horeca qu’il précarisait le secteur. Il y a de moins en moins de travailleurs fixes et de plus en plus de travailleurs en flexi-jobs avec un équilibre de vie précaire, étant donné qu’ils doivent se rendre disponibles selon les désirs de leur patron.»
Parmi les défenseurs du système, certains objectent que, de toute manière, un travailleur doit être occupé à 4/5 pour être éligible au flexi-job. Prudence tout de même. Dans un rapport de 2022 sur l’état du droit du travail en Belgique, l’Institut fédéral pour la protection et la promotion des droits humains (IFDH) indique en effet que la condition d’occupation d’un 4/5 temps étant déterminée au troisième trimestre qui précède le flexi-job, rien ne garantit que le flexi-travailleur touche des revenus stables ailleurs. Par conséquent, il peut se retrouver dans l’insécurité financière, faute d’obligation de l’employeur d’assurer un minimum d’heures dans le cadre d’un flexi-contrat. Concernant la précarisation des secteurs, côté fédéral, on assure que les règles d’accès au statut permettent de se prémunir de dérives et de la concurrence avec l’emploi régulier. Mais la Cour des comptes le confirmait dans une analyse en 2019: 35,5% des flexi-jobs ont remplacé des emplois existants.
Un emploi sur quatre dans l’horeca
L’horeca semble s’être fait à la disponibilité de flexi-travailleurs sur le marché, ce qui complexifie l’accès à un job en contrat stable dans ce secteur lorsqu’on ne peut pas aspirer au flexi-statut. Daphné*, récemment devenue indépendante, cherchait il y a peu un emploi à temps partiel pour compléter ses fins de mois. «J’ai passé plusieurs semaines à déposer des CV à la recherche d’un contrat dans l’horeca, en vain. La plupart des restaurants et des cafés de Bruxelles me demandaient de pouvoir travailler en flexi-job pour postuler. Mais je ne suis pas éligible à ce statut», regrette la vingtenaire. Selon un article publié dans Le Soir en octobre dernier, les flexi-jobs représentent près d’un emploi sur quatre dans l’horeca. Et en se repenchant sur les statistiques de l’ONSS, on observe que plus de la moitié des postes en flexi-job concernent l’horeca. «Aujourd’hui, si on veut accéder à certains métiers, il faut pouvoir se brader, poursuit Nel Van Slijpe, des Jeunes CSC. Je ne pense pas que notre idéal soit une société où le monde du travail est totalement flexibilisé et où les gens cumulent des boulots pour boucler le mois. Car qui se dit réellement: ‘Je travaille à 4/5, voire plus, mais j’ai tout de même envie de bosser un jour de plus dans ma semaine.’ Ces flexi-travailleurs ont besoin d’argent. La question prégnante reste la rémunération du travail en Belgique. Est-ce que nos salaires sont suffisamment élevés pour subvenir aux besoins des familles?»
La Cour des comptes le confirmait dans une analyse en 2019: 35,5% des flexi-jobs ont remplacé des emplois existants.
La CSC ainsi que le Syndicat des employés, techniciens et cadres (SETca) ou encore le Parti du travail de Belgique (PTB) continuent de revendiquer la fin au blocage salarial imposé par cette fameuse loi de 1996 que les syndicats vouent aux gémonies. «Le maintien de cette loi, c’est un peu comme dire aux travailleurs que, malheureusement, leur salaire ne pourra pas augmenter, mais qu’on a de nouveaux systèmes ultraflexibilisés pour eux qui leur permettront de travailler plus, regrette Nel Van Slijpe. La population, surtout la jeune génération, aspire à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle, et non pas de s’épuiser au travail. Il existe déjà d’autres systèmes plus flexibles, comme l’intérim, les contrats de remplacement ou bien les jobs étudiants. L’exemple est d’ailleurs marquant, car, pour les étudiants aussi, on a augmenté le quota horaire maximum jusqu’à parvenir aujourd’hui à 600 heures disponibles par an. Pour un étudiant, c’est quasiment un tiers temps. Mais, dans les chiffres, cette augmentation ne résout pas le problème de la précarité étudiante.»
La Flandre, plus flexible que les autres régions
Si les groupes représentés parmi les flexi-jobeurs sont principalement des jeunes entre 25 et 30 ans et des pensionnés, une région du pays sort du lot dans les statistiques: près de neuf flexi-jobs sur dix sont localisés en Flandre. 93,45% en 2019 pour 89,70% au premier trimestre 2023. Apparus sous l’influence des familles libérales du gouvernement suédois, les flexi-jobs avaient au départ vocation de lutter contre le travail au noir dans un seul secteur en pénurie (surtout en Flandre): l’Horeca. Le système du flexi aurait donc été calqué sur les besoins exprimés par la fédération flamande de l’Horeca. C’est ce qu’indiquait Yvan Roque, président de la fédération Horeca Bruxelles, dans une interview accordée à la RTBF en 2018: «C’est le fruit d’un long lobbying de la fédération flamande. Mais cela ne correspond pas à la situation de l’Horeca à Bruxelles où les structures sont moins grandes qu’en Flandre: la main-d’œuvre ici serait plus difficile à trouver, d’autant que ces heures extras ne peuvent pas être prestées dans l’établissement où l’on travaille déjà.»
Pour le cabinet du ministre flamand de l’Emploi Jo Brouns (CD&V), en dehors du presque plein emploi caractéristique de la Flandre, cette hétérogénéité régionale s’explique aussi par une différence idéologique: «L’économie flamande observe une pénurie de main-d’œuvre en raison d’un chômage plus bas qu’à Bruxelles et en Wallonie (NDLR, respectivement 3,3%, 11,3% et 7,9%), note Daan Blomme, porte-parole du cabinet du ministre Brouns. Mais il ne faudrait pas négliger les enjeux politiques. Les partis au pouvoir en Flandre et en Wallonie sont bien différents. Idéologiquement, je pense que la Flandre est bien plus à même d’accepter un système comme le flexi-job par rapport aux socialistes wallons.» Même si le ministre Brouns se dit en faveur des flexi-jobs, il soutient également que les employeurs ne doivent pas uniquement se reposer sur ce système. Tout comme Pierre-Yves Dermagne (PS), ministre fédéral de l’Économie et du Travail, qui soulignait à la Chambre en octobre que l’exception, à savoir le flexi-job, ne doit pas devenir la règle.
Si les groupes représentés parmi les flexi-jobeurs sont principalement des jeunes entre 25 et 30 ans et des pensionnés, une région du pays sort du lot dans les statistiques: près de neuf flexi-jobs sur dix sont localisés en Flandre. 93,45% en 2019 pour 89,70% au premier trimestre 2023.
Le statut flexi aurait ainsi été plus soutenu politiquement parlant par les familles flamandes. C’est ce qu’avance notamment le cabinet de la ministre wallonne de l’Emploi Christie Morreale (PS) pour qui l’accueil de l’extension du statut flexi à 12 nouveaux secteurs est mitigé. «La récente demande d’élargissement du flexi-job provient largement des partis flamands, souligne Florence Giet, porte-parole de la ministre Morreale. Nous n’y sommes pas totalement opposés, mais le préalable pour nous reste de trouver des accords avec l’ensemble des partenaires sociaux. Et, pour le moment, nous ne voyons rien venir à ce niveau.» Nel Van Slijpe, des Jeunes CSC, ajoute que, selon les discussions qu’ils ont eues côté flamand, le banc patronal n’a pas hésité sur le lobbying. «Depuis la création du flexi, le message a été beaucoup plus relayé dans des séminaires ou lors de présentations des fédérations patronales en Flandre par rapport à Bruxelles et à la Wallonie.» Il note aussi qu’au niveau syndical, le combat contre le flexi-contrat n’est pas régionalisé mais bien national, et ce pour bon nombre d’organisations syndicales. D’autres notent également que le vieillissement de la population pourrait être une autre explication d’une utilisation bien plus marquée du flexi au nord du pays. La population flamande compte légèrement plus de personnes âgées et de pensionnés qui ont également accès au flexi-job.
Si plusieurs secteurs concernés par la récente extension, comme l’industrie alimentaire, se disent ravis tant au nord qu’au sud du pays, l’enseignement est une autre preuve de la différence régionale. «En Flandre, nous considérons l’arrivée du flexi-job dans l’enseignement comme une réelle opportunité, note Michaël Devoldere, porte-parole du ministre flamand de l’Enseignement Ben Weyts (N-VA). Les postes vacants dans les écoles flamandes ne sont majoritairement pas des temps pleins. Au contraire, il s’agit souvent de deux heures de géographie par-ci, quatre heures de néerlandais par-là. Les emplois flexibles sont idéaux pour ces petites missions.»
La Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), quant à elle, a exprimé que sans demande précise en ce sens, elle ne compte pas faire appel au dispositif des flexi-contrats dans l’enseignement. La Fédération se dit peu intéressée par la mesure, la pénurie de profs étant moins prégnante qu’en Flandre. «L’implémentation d’un tel système dans l’enseignement me semble présenter plus de risques que d’effets positifs significatifs eu égard aux spécificités des statuts et des relations sociales dans l’enseignement, indiquait Caroline Désir (PS) devant le parlement de la Communauté française en octobre dernier. Il existe déjà des mécanismes qui permettent des cumuls de fonctions dans l’enseignement et plusieurs dispositions ont été prises ces dernières années afin d’apporter des souplesses importantes en termes de recrutement dans l’enseignement, mais aussi afin de permettre de maintenir des activités après l’âge de la retraite. Sur le plan financier, les pouvoirs organisateurs n’en tireraient aucun bénéfice puisque la Fédération Wallonie-Bruxelles est l’entité qui rémunère les membres du personnel de l’enseignement.»
Des alternatives à la flexibilité
Les syndicats le rappellent en chœur: les travailleurs et travailleuses du pays ne souhaitent pas trimer plus. Ils veulent davantage de pouvoir d’achat, de salaire et une meilleure pension. Modification de la fameuse loi 96, augmentation des montants de la pension, blocage des prix sur l’électricité ou les produits alimentaires de base… les alternatives ne semblent pas manquer. «Pour rendre plus attractifs une série de secteurs et permettre aux jeunes de trouver de l’emploi plus facilement, il y a deux alternatives à soutenir, poursuit Nel Van Slijpe au niveau des Jeunes CSC. D’une part, le partage collectif du temps de travail. Cela fait plusieurs années que nous n’avons pas connu de diminution hebdomadaire du temps de travail. Pourtant, lorsqu’on regarde l’histoire sociale, une des manières de s’attaquer au chômage, c’est de mieux répartir le temps de travail. On augmente la productivité, on introduit une série de technologies qui, sans remplacer le travail humain, permettent aux travailleurs de se concentrer sur d’autres tâches et mettre ce temps libéré au service de la collectivité.» Mesure qui va de pair avec un maintien de salaire et une embauche compensatoire. «D’autre part, il faut améliorer les conditions de travail, garantir une meilleure sécurité sociale pour nos jeunes, pour qu’ils aient accès à un revenu de remplacement lorsqu’ils sont sans emploi et qu’ils puissent chercher un travail qui corresponde à leurs aspirations dans de bonnes conditions. Ça forcera aussi les employeurs à rendre leurs métiers plus attrayants.»
* Prénom modifié.