Par Céline Teret – Illustrations de Théodora Jacobs
Alors, lorsqu’une période relativement longue de convalescence à domicile s’annonce, les enseignants du type 5 aiguillent bien souvent les familles vers d’autres structures. L’association École Hôpital & Domicile (EHD) en est une. Et Rita fait partie de l’équipe de professeurs bénévoles de l’EHD. Après une carrière de 38 ans dans l’enseignement, cette ancienne prof de math souhaitait «se rendre utile et mettre ses connaissances en math au profit de personnes qui en ont besoin».
Ce matin, Rita s’engouffre dans l’entrée d’une petite maison située dans le centre historique de Binche. En haut de la volée d’escaliers, Elia et sa maman l’accueillent, comme chaque semaine ou presque. Rita s’empresse de demander: «Alors Elia, ça a été ton examen de math avant-hier?» La jeune fille, assise à table, arbore un large sourire: «La théorie, je crois que j’ai tout bon. Pareil pour l’appliqué, à part un détail. Dans l’ensemble, ça a été très bien. C’est tout ce qu’on avait préparé ensemble!» Elia est élève au Collège de Binche, non loin de là. Il y a deux ans d’ici, elle s’est soudainement retrouvée en souffrance, incapable de bouger, se lever, dormir… S’est ensuivie une batterie d’examens médicaux, qui n’ont rien révélé de précis, si ce n’est qu’Elia est atteinte d’une maladie auto-immune.
Depuis quelques mois, Elia se sent mieux et d’attaque pour reprendre sa dernière année de secondaire entamée avant sa maladie. «Mon école m’aide. La plupart de mes profs restent assez disponibles. Si besoin, je peux les contacter. On communique aussi en ligne et grâce à un casier réservé pour moi dans la salle des profs. Et j’ai l’aide d’une élève qui est un peu mon relais avec la classe et les profs.» Rita acquiesce: «Oui, l’équipe enseignante est très réactive. La prof de math nous transmet les cours, avec une partie non complétée pour qu’on puisse les travailler ensemble ici, à domicile. Ce n’est pas le cas de toutes les écoles.»
Une «vraie chance»
Parce que l’EHD ne dispose pas de professeurs dans toutes les matières, Elia révise ses cours de latin et grec seule. «Pour les cours de math, avec Rita, mais aussi pour les cours d’anglais et néerlandais, ça m’aide beaucoup d’avoir quelqu’un qui vient chez moi pour m’expliquer les matières et me préparer aux examens. On fait aussi en fonction de mon rythme, car certains jours, j’ai encore du mal à travailler de longues heures.»
Pour la famille d’Elia, découvrir l’existence d’une association telle que l’EHD fut une «vraie chance», comme le souligne sa maman: «En tant que parent, on est désemparé. Face à la maladie, bien sûr, mais aussi au niveau scolaire. Quand on a senti qu’Elia allait mieux, on s’est dit qu’il fallait qu’elle reprenne l’école pour, d’une certaine façon, reprendre une vie ordinaire. L’école d’Elia a toujours gardé contact avec nous, mais il fallait un suivi à domicile. Je ne savais pas vers qui me tourner. C’est le centre PMS de l’école qui nous a aiguillés vers l’EHD.» Autre avantage non négligeable pour cette famille: le soutien scolaire proposé par l’EHD est gratuit. «Nous n’aurions pas eu les moyens de payer des cours particuliers», précise la maman d’Elia.
Le vide du domicile
Elia fait partie des 200 enfants et jeunes qu’École Hôpital & Domicile accompagne chaque année. L’association vient de souffler ses 40 bougies. Composée de 10 antennes régionales à Bruxelles et en Wallonie, EHD intervient à la fois dans les hôpitaux et à domicile. Ses professeurs sont tous des bénévoles, de même que le personnel administratif qui fait tourner la baraque. Quelque 400 bénévoles en tout.
Active depuis de nombreuses années à EHD, Françoise Boedt-Drion est responsable de l’antenne d’Ath-Enghien-Soignies-Mons. Sur son territoire, l’accompagnement scolaire se fait surtout là où la demande est la plus forte: à domicile. «Quand on y pense, c’est quand même incroyable qu’il y ait un tel vide en matière de soutien scolaire à domicile et que ce vide soit comblé par des bénévoles, lance d’emblée Françoise Boedt-Drion. Il y a très peu de services pour les enfants malades coincés chez eux, surtout en province. La circulaire officielle de l’enseignement spécialisé sur l’école à l’hôpital mentionne pourtant l’EHD comme association partenaire. Très bien, mais nous ne recevons quasi pas de subsides. Notre association est reconnue, respectée, appréciée, mais n’est pas suffisamment valorisée au niveau structurel.»
Entre familles, profs et écoles
Sur son territoire, Françoise Boedt-Drion assure le réseautage et la mise en lien entre toutes les parties prenantes. Elle va à la rencontre des familles, pour sonder les besoins et les motivations. «On est attentifs à ce qu’il y ait une maladie identifiée et une école référente. C’est important pour nous que le jeune ait envie d’être accompagné. S’il n’est pas motivé, nos professeurs bénévoles s’épuisent.» C’est aussi Françoise qui auditionne les candidats professeurs, bien souvent «des enseignants pensionnés qui ont envie de se rendre utiles». Une charte signée avec les familles et les bénévoles permet d’asseoir un cadre. La durée et la fréquence des interventions varient au cas par cas.
Autant que possible, Françoise se rend dans les écoles d’origine, pour discuter avec les professeurs. Pour ce qui est de la collaboration avec les écoles d’origine, son constat est similaire à celui des écoles du type 5: «Certains enseignants jouent vraiment la carte de la collaboration, d’autres moins.»
Détresse psy en hausse
Les enfants et les jeunes suivis par EHD sont atteints de pathologies diverses: «Des maladies physiques, simples ou compliquées, des maladies orphelines, dégénératives…, énumère Françoise Boedt-Drion. Parfois, des maladies psychologiques aussi. Mais, en cas de troubles psychiques, on est très prudents. Si le jeune est vraiment mal psychologiquement, qu’il est dans le creux de la vague, débordé par ses émotions et ses angoisses, sa capacité d’apprentissage est bloquée. Et face à un volet fermé, nous, on ne sait pas amener du scolaire. Ça serait contre-productif pour le jeune, et nos professeurs ne sont pas outillés pour faire face à ce genre de situation. Alors, on met le jeune en attente, le temps qu’il trouve un soutien psychologique. Ou on lui propose un contrat court. Dans ces cas-là, on collabore étroitement avec l’équipe soignante et le jeune. On fait le point régulièrement.»
Les différentes antennes d’EHD le constatent: de plus en plus de jeunes sont en détresse psychologique et la période Covid a renforcé cette tendance à la hausse. Même son de cloche du côté de l’enseignement de type 5. Béatrice Grégoire, de L’Amarelle, l’évoque: «Il y a des cas de phobie scolaire, de harcèlement à l’école, des tentatives de suicide, des dépressions… Ces jeunes-là sont bien plus nombreux qu’il y a 20 ans. Mais comme L’Amarelle est une petite structure, ces jeunes sont réorientés vers des structures pédopsys plus élaborées.»
Du côté des écoles du type 5, on déplore qu’avec les jeunes en détresse psychologique, la collaboration avec les écoles d’origine est difficile. Les profs des écoles d’origine se démènent peu pour assurer le suivi scolaire d’un élève qui leur a rendu la vie impossible ou qui pratique l’absentéisme assidu. Par ailleurs, l’enseignement de type 5 accueillant de plus en plus de jeunes atteints de troubles psychiques, le secteur demande à revoir la composition de ses équipes par un encadrement paramédical adapté et plus important. Christian Lieutenant explique: «On peut faire appel à du personnel paramédical dans l’enseignement spécialisé… sauf pour le type 5! Les législateurs ont probablement considéré à l’époque que, dans les hôpitaux ou les centres psys, il y avait tout ce qu’il faut. Mais en classe, on a des enseignants. Et en dehors, les psys ou les assistants sociaux de l’hôpital ou de l’institution n’ont pas cette approche scolaire.» L’enseignement de type 5 demande donc du renfort.