Par Céline Teret – Photographies : Médecins du monde/ Céline Teret
Ici, on discute, donc. En grand ou petit groupe, dehors, autour des tables, sous le préau. Mais il arrive aussi que les discussions se poursuivent ou s’entament à bord de l’Adobus. « Au travers des animations en groupe, des sujets et questions surgissent, explique Sandrine Liégeois, psychologue du planning familial La Famille Heureuse. Parfois, on sent qu’on doit prendre l’un ou l’autre à part, car derrière une boutade se cache quelque chose. On leur propose alors un entretien individuel. Parfois aussi, certains jeunes nous prennent à part et vont droit au but, pour nous demander un test de grossesse par exemple ou nous parler de difficultés personnelles. »
L’intérieur du camping-car est aménagé de façon à créer deux petits espaces où les jeunes viennent pour un entretien individuel avec un membre de l’équipe. Une bulle d’intimité pour déposer ce que ces jeunes ne parviennent pas à déposer ailleurs, leurs tracas, leurs questions, leurs difficultés. Pour demander, aussi, une contraception d’urgence ou un test de grossesse, disponibles gratuitement. Pour évoquer, parfois, des situations de violences familiales, de harcèlement ou des idées suicidaires. Si la situation le nécessite, certains jeunes sont accompagnés et orientés vers des services spécialisés.
Ici, les jeunes savent que la confidentialité est de mise. L’anonymat, même. Et ça, c’est essentiel. Julie Fontaine, de Médecins du Monde, y tient : « Les jeunes viennent vers nous de façon assez spontanée. Les entretiens restent anonymes, sauf si on doit rediriger l’ado vers une structure externe, mais même dans ce cas, on veille à la confidentialité. »
L’année passée, alors qu’elle était en 4e année, Valentine* s’est adressée à l’équipe de l’Adobus pour obtenir un test de grossesse : « Je ne savais pas où aller, je n’avais pas de sous… Je n’ai pas osé en parler à ma maman, j’avais peur qu’elle s’inquiète. Il n’y a que ma meilleure amie qui était au courant. Je savais qu’à l’Adobus ils distribuaient des tests gratuitement, c’est pas comme en pharmacie… Alors, j’ai demandé un rendez-vous individuel, pour recevoir un test. Une personne ici m’a expliqué comment faire, comment l’utiliser. Le test était positif. L’équipe de l’Adobus a continué à me soutenir ensuite, ils m’ont dirigé vers un centre. J’en ai finalement parlé à ma maman, ça nous a permis de discuter de tout ça ensemble. J’ai décidé d’avorter. On m’a aussi proposé un suivi psychologique, mais je ne l’ai pas fait, parce que ça allait… Et ça va toujours aujourd’hui. Et je suis contente de continuer à venir aux permanences pour d’autres choses. Cette équipe m’a vraiment aidée. »
Des Valentine, Barbara, éducatrice au lycée depuis plus de vingt ans, en a connues d’autres dans sa carrière. Elle raconte : « Avant l’arrivée de l’Adobus, il m’est arrivé d’aller acheter un test de grossesse pour une élève dans l’incapacité de le faire ou de prendre un jour de congé pour amener une de nos jeunes chez un médecin ou aller au planning familial. » Hormis les préservatifs qui jonchent le sol après le passage du bus, l’éducatrice salue l’initiative : « C’est bien pour nos élèves que l’Adobus viennent à eux, ici, dans l’école. On en a grandement besoin, surtout dans des écoles comme la nôtre où la majorité des jeunes sont issus de milieux défavorisés. »
Taux de chômage important, revenu médian très faible, proportion moins élevée de personnes diplômées de l’enseignement supérieur… Selon l’Observatoire de la Santé du Hainaut, Colfontaine, ancienne commune minière au cœur du Borinage, se range en effet dans la catégorie des communes aux indicateurs socio-économiques « peu favorables », en comparaison avec les autres communes de la province.
Au départ, les grossesses précoces…
Le projet Adobus puise ses origines dans un constat qui a quelque peu ébranlé la commune de Colfontaine il y a une dizaine d’années d’ici. Guillaume Pique, du Service Santé, revient sur les résultats tombés à l’époque suite à un diagnostic santé de la population, mené par l’échevinat de la santé : « On s’est rendu compte qu’il y avait un taux de grossesses précoces très élevé sur notre commune, à savoir deux fois supérieur à la moyenne du Hainaut et deux fois et demie supérieur à la moyenne belge. Ça a été une surprise pour nous car on ne se rendait pas compte qu’il y avait autant de mères adolescentes sur Colfontaine. Sur base de ce constat, on a fait de cette question un axe de travail prioritaire. »
Le Service Santé a alors consulté différents intervenants de la santé de la commune et effectué un travail de terrain afin d’essayer de mieux comprendre le phénomène. Guillaume Piqué poursuit : « On s’est rendu compte que ces grossesses précoces cachaient un problème beaucoup plus vaste qu’est celui de l’accès aux soins de santé pour les jeunes, surtout quand ils souhaitent y avoir accès en toute confidentialité, sans que les parents ne soient mis au courant. On a essayé de lever ces obstacles, notamment en allant à la rencontre des jeunes et en étant présent dans leur espace de vie qu’est la cour de récréation. »
*prénom d’emprunt