Mettre des mots et du lien

En Wallonie, il n’existe pas de maison pour les jeunes aidants proches comme à Bruxelles, ni même encore de statut pour les étudiants dans les universités présentes sur son territoire, même si Liège, par exemple, planchait sur un tel statut. Cela n’empêche pas les professionnels de s’intéresser à la situation de ces jeunes. 

C’est toute l’histoire justement d’Étincelle à Nivelles, un espace de soutien pour les jeunes dont un proche est en souffrance psychique. L’objectif est simple: leur permettre de s’exprimer au sujet de la maladie de leur proche.

«C’est en prenant comme point de départ la parole singulière de l’enfant sur son histoire, son vécu et son ressenti, que nous envisageons la rencontre. Ces entretiens soutiennent l’accompagnement de la question de la maladie mentale dans la quotidienneté de la vie de l’enfant et de ses proches», résume Carole Cocriamont, assistante sociale. En 2023, 76 enfants ont été rencontrés et 65 familles accompagnées par les services de l’asbl. 

Tout est né d’une rencontre de Carole et Laure, une de ses collègues, avec Thomas. Avant de fonder Étincelle, Carole travaillait dans des initiatives d’habitations protégées dans le secteur de la psychiatrie adulte. «C’est comme cela qu’on a croisé Thomas, le fils d’une des résidentes», se souvient l’assistante sociale.

Assez vite, Carole constate qu’il n’y avait rien de spécifique en Belgique pour travailler le lien entre le jeune et le proche malade. «Parmi nos résidents, beaucoup se plaignaient de la difficulté de parler d’eux-mêmes de leur souffrance avec leurs enfants. Ils ne parvenaient pas à mettre des mots. Ils se sentaient aussi dépossédés de leur rôle parental; dès lors que la maladie mentale s’installe, ou on leur retire leurs enfants, ou d’autres membres de la famille prennent ce rôle en main. Pour nous, il y a une grande importance à veiller à la personne en souffrance, à son enfant et au lien qu’ils ont.»

Aujourd’hui encore, Thomas suit le travail mené par les équipes d’Étincelle. En tant que travailleur social, il y a même fait ses premières armes lors d’un stage. «D’un point de vue personnel, j’aurais aimé qu’une telle asbl existe quand j’étais jeune. Je l’ai vue naître, grandir. Carole et Laure ont mis le doigt sur un manque», témoigne le jeune homme. 

«La maladie, de surcroît quand elle est mentale, reste un tabou», poursuit-il. À l’époque où il allait voir sa mère en hôpital psychiatrique, il recevait comme enfant très peu de réponses, très peu de contacts avec les personnes qui la prenaient en charge.

Travailler ce lien, c’est aussi mettre un mot sur la situation du jeune. Un travail qui demande du temps… «Combien de fois ne doit-on pas aider le jeune à mettre des mots sur sa situation, à accepter, valider que ce qu’il vit n’est pas la ‘norme’», ajoute Carole. 

«Combien de fois ne doit-on pas aider le jeune à mettre des mots sur sa situation, à accepter, valider que ce qu’ils vivent n’est pas la ‘norme’»

Carole Cocriamont, assistante sociale au sein de l’asbl Étincelle

«Pour me protéger, je mentais pour être comme les autres jusqu’au jour où j’ai accepté ma situation. Mais cela m’a pris des années…, reconnaît Thomas. Devenir aidant se fait tout doucement, presque insidieusement, insiste-t-il encore. Le parent a délégué énormément à l’enfant parce que la maladie a pris le pas sur la vie.»

Au sein d’Étincelle, on ne se reconnaît pas forcément dans le terme d’aidant proche. «On fait face à beaucoup de jeunes qui ont été aidants proches, mais ce n’est pas comme cela qu’ils le vivent, ni même qu’ils se reconnaissent dans ce terme. Pour eux, cela fait partie de leur vie. Cela peut être considéré comme du déni, mais c’est aussi une manière dont ils se sont construits, dont le système familial s’est construit», constate Carole. Même si c’est souvent fragile… 

En décalage

Du temps, il en a fallu aussi à Cassandra pour accepter sa situation. Comme Thomas, cette jeune femme a fait de son expérience son métier, en devenant assistante sociale au sein de la Ligue contre la sclérose en plaques à Charleroi. Une maladie qu’elle connaît bien puisque sa mère en souffre. «Je l’ai toujours connue malade.» Le diagnostic s’est fait quand elle avait 3 ou 4 ans. Aujourd’hui, elle en a 21.

Au début, Cassandra ne comprenait pas pourquoi sa mère était fatiguée. «On ne voit rien parce que c’est une maladie qui est invisible.» C’est pourtant en accompagnant sa mère régulièrement à l’hôpital qu’elle prend conscience de la maladie et de sa propre situation. «C’est là que j’ai compris que je n’étais pas comme les autres enfants. La vision que j’avais de la vie, de l’avenir, n’était pas la même que celle des autres. Cela s’est répercuté jusqu’à maintenant, et encore aujourd’hui, j’éprouve ce décalage avec les jeunes de ma génération.»

En grandissant, et la maladie gagnant du terrain, Cassandra prend de nouvelles responsabilités qu’une adolescente n’est pas censée prendre comme celle d’aider financièrement sa mère. La jeune femme s’est accrochée, même si elle s’est mis beaucoup de pression, notamment pour réussir ses études. «Les réussir supposait avoir un travail, un revenu pour subvenir aux besoins de la famille, pour aider ma mère…»

«C’est là que j’ai compris que je n’étais pas comme les autres enfants. La vision que j’avais de la vie, de l’avenir, n’était pas la même que celle des autres. Cela s’est répercuté jusqu’à maintenant, et encore aujourd’hui, j’éprouve ce décalage avec les jeunes de ma génération.» Cassandra, jeune aidante

À 21 ans, elle commence seulement à prendre du recul et à se poser la question de savoir si elle a «vécu» sa jeunesse: «Je ne sortais pas, je ne prenais pas forcément du temps pour moi… Tout l’argent que j’ai donné à ma mère, est-ce que je n’aurais pas pu l’utiliser pour autre chose? C’est vrai que j’aurais pu faire autre chose si la maladie ne s’était pas immiscée dans nos vies.»

Et la maladie n’a pas encore dit son dernier mot, y compris quand Cassandra a trouvé un emploi. «Quand j’ai commencé à travailler, on m’a proposé un CDI à Bruxelles contre un moins bon contrat ici dans la région. J’ai choisi ce dernier. J’essaie de peser le pour et le contre pour chaque décision, sachant que je vis toujours chez ma mère et que je souhaite rester à ses côtés.»