Une maison à soi

C’est une maison parmi d’autres dans l’un de ces boulevards si typiques de la capitale. La Maison des jeunes & aidants proches est située à Laeken. Ouverte depuis 2018 et gérée par l’asbl bruxelloise d’où elle tire son nom, elle est devenue un lieu de rencontre entre jeunes aidants de tous âges, où ils peuvent échanger et recevoir des conseils, être écoutés et soutenus comme ce fut le cas de Jade. La jeune femme s’y rend encore d’ailleurs. 

«Je suis toujours accompagnée par l’asbl. J’ai rencontré d’autres jeunes qui ont vécu des situations similaires. On se voit même en dehors pour des sorties. C’est important de savoir qu’on n’est pas seule. Chacun à son histoire, mais il y a beaucoup de points communs: la fatigue, la solitude… J’ai rencontré des jeunes qui me comprenaient, et cela m’a rassurée. Je me suis dit: c’est bon, je suis normale, c’est la situation autour de moi qui n’est pas normale.»

Au début, l’objectif principal de l’association était de mettre en lumière la thématique de ces jeunes aidants proches, d’amener cette réalité auprès des professionnels pour attirer l’attention sur ces jeunes. Si la sensibilisation continue évidemment, la volonté de la Maison – depuis la Covid notamment – est d’être davantage au contact des jeunes, en leur proposant un lieu de répit. «Et ce répit ne se pose ni ne se pense de la même façon avec un enfant, un ado ou un jeune adulte. On essaie d’être flexible à leurs besoins respectifs», explique Caroline Legrand, coordinatrice de l’asbl.

Avec les enfants et les ados, l’accueil se fait principalement pendant les vacances scolaires, en profitant de ces périodes pour leur apprendre, souvent autour du jeu, à se détendre, lâcher la pression ou travailler leurs émotions. Pour les jeunes adultes, l’asbl fonctionne davantage à la carte, souvent dans un objectif d’affirmation de soi et de création d’un réseau autour de leur personne. 

Avec les enfants et les ados, l’accueil se fait principalement pendant les vacances scolaires, en profitant de ces périodes pour leur apprendre, souvent autour du jeu, à se détendre, lâcher la pression, ou travailler leurs émotions. Pour les jeunes adultes, l’asbl fonctionne davantage à la carte, souvent dans un objectif d’affirmation de soi et de création d’un réseau autour de leur personne. 

En outre, il y a différentes portes pour arriver jusqu’à la maison. Là aussi, tout dépend de l’âge du jeune. «Les 5-12 ans sont des enfants confrontés à un proche malade, lequel est sensibilisé à cette problématique, poursuit Caroline Legrand. Chez les ados, ce sont plutôt les écoles, les maisons de jeunes ou des AMO qui nous les indiquent, même s’il y en a qui viennent ici en cachette…» Au niveau des pathologies, leurs proches sont davantage confrontés à des situations de dépendance ou de santé mentale. Quant aux jeunes adultes – eux aussi confrontés à des parents dépendants ou souffrant de santé mentale, ils arrivent épuisés, à bout de force. «Ils ont passé toute leur enfance, leur adolescence à se dire qu’il fallait tenir, et, à un moment, ça craque.»

Car il y a un constat récurrent qui revient au fil des constats et des témoignages: la précarité s’installe avec la maladie. Face à des problèmes d’adultes comme payer une facture ou aller faire des courses, les jeunes cherchent des réponses avec les moyens qui sont les leurs. «Ils sont souvent incroyables de créativité, mais cela peut les mettre potentiellement en danger», résume Caroline Legrand, qui évoque alors l’histoire d’une jeune dont la mère était alcoolique. «C’était tellement la galère qu’à 16 ans, elle prenait la voiture de sa mère pour aller faire des courses. Il fallait manger. On est sur des réponses logiques pour eux, mais illégales, et de mise en danger de leur personne et d’autrui. C’est cela qui est compliqué pour les jeunes aidants proches: ils sont confrontés à des problèmes d’adultes, des réalités d’adultes avec des réponses de jeunes.»

En quête de statut

Lors de notre visite, on fait la rencontre d’Amel. Elle revient justement de l’ULB, où elle a entamé des études pour devenir ingénieure. Elle discute avec Caroline, notamment de sa session d’examens qui vient de s’achever. Depuis deux ans, la vie d’Amel a basculé du jour au lendemain. À 22 ans, elle est devenue jeune aidante. Son père est devenu tétraplégique. 

«Lorsque mon père était en soins intensifs, j’ai vite dû reprendre les rênes de la famille, notamment le restaurant de mon père.» C’est alors une nouvelle vie, un autre rythme qui s’impose à la jeune femme. «J’ai dû revoir mon parcours à l’unif, en l’allongeant d’un an. Ce n’est pas toujours facile.»

Déterminée, Amel avance coûte que coûte en menant ce «job» de jeune aidant proche avec ses études. «Malheureusement, on ne peut rien faire face à la situation. Il faut avancer, l’assumer du mieux qu’on peut. Je sais que jusqu’à la fin de mes études, je travaillerai au restaurant, j’accompagnerai mes parents.»

Amel a aussi été la première étudiante de l’ULB à bénéficier d’un tout nouveau statut, un statut unique en Fédération Wallonie-Bruxelles, créé en 2023 au sein de l’université bruxelloise, pour soutenir les jeunes aidants. «Ce statut me suffit parce qu’il me permet de réduire le nombre de cours et de crédits par an, sans risquer de perte de finançabilité. Il permet de justifier certaines de mes absences. Cela me protège dans ma situation.»

Une protection d’autant plus nécessaire qu’en 2023, 15% des jeunes aidants proches belges ont abandonné leurs études en raison de la pression et du manque de soutien adéquat. 

«Ce statut me suffit parce qu’il me permet de réduire le nombre de cours et de crédits par an, sans risquer de perte de finançabilité. Il permet de justifier certaines de mes absences. Cela me protège dans ma situation.» Amel, jeune aidante

«Cela fait quelques années que l’université, mais aussi le service qui s’occupe des étudiants à besoins spécifiques recevait des demandes d’étudiants dont la situation s’apparentait à la situation d’aidant proche. Il y avait un besoin, il y avait des chiffres qui augmentaient en lien avec cette situation», explique Claire Sourdin, adjointe du vice-recteur aux affaires étudiantes et sociales de l’ULB.

Les aménagements prévus pour le statut d’étudiant aidant se résument essentiellement à une flexibilité horaire. Mais cela peut dépendre d’un étudiant à l’autre, chacun ayant des besoins spécifiques, et l’université s’adapte au cas par cas. Actuellement, 22 étudiants bénéficient de ce statut. Dont une majorité de filles. 

«C’est aussi un travail de sensibilisation et de communication qui doit se renouveler continuellement. Il faut relancer les choses à chaque rentrée, souligne Pauline Rabau, assistante inclusion au sein de l’ULB. Pas seulement auprès des étudiants, mais aussi auprès des professeurs et du corps académique en général pour apporter plus de compréhension et d’informations par rapport à la situation vécue par les étudiants aidants.»