Beaucoup d’aidants parlent de leur épuisement : « J’ai vécu avec quelqu’un qui avait l’Alzheimer pendant quatre, cinq ans. J’ai fini par le mettre en institution. C’était lui ou moi. Je sais, c’est égoïste… ». Martine intervient : « penser à soi n’est pas égoïste ».
Catherine est animatrice d’un Alzheimer café. Elle vit elle-même ce que les participants évoquent lors des réunions : « Mon père a commencé à avoir des troubles de la mémoire et ma mère nous a alertés, mes sœurs et moi. J’ai commencé alors à fréquenter les Alzheimer Cafés et j’y ai amené ma mère. On a pu parler de sa culpabilité car elle se disait « méchante » envers mon père, exaspérée parce qu’il perdait, oubliait tout. On a pu convaincre papa d’aller voir un neurologue qui a confirmé le diagnostic d’Alzheimer. Paradoxalement, cela l’a soulagé car il comprenait enfin ce qui lui arrivait. Ma mère lui a dit : je ne t’abandonnerai pas mais mon père prend toute son énergie. J’ai peur de ce qui va lui arriver au cours des prochains mois. Elle avait une meilleure santé que mon père et maintenant, je crois que c’est elle qui va « partir » la première. Elle va y laisser sa peau. Elle est venue ici, à l’Alzheimer Café et celui a fait du bien mais elle ne vient plus car elle a peur de quitter la maison, peur de laisser mon père seul ».
Pourtant, il faut pouvoir sortir pour lutter contre l’épuisement mental et l’isolement. Dans le « café », de Tournai, on s’échange des adresses. Comme celle du « Relais de personnes » à Frasnes-lez-Anvaing qui permet aux aidants de « souffler quelques heures ». Ou celle du centre de jour de la Verte Feuille où la personne malade peut passer, participer à des activités permettant ainsi des moments de liberté aux proches. Mais que faire quand le malade refuse tout ? « Mon mari ne veut pas être placé, il ne veut pas aller au centre de jour, explique Chantal. Il ne veut rien faire et je n’arrive plus à l’occuper »
Martine intervient : « penser à soi n’est pas égoïste ».
La maison de repos et de soins (MRS) reste un repoussoir car perçue comme un mouroir. Ce n’est pas pour rien que la Ligue Alzheimer ne voulait pas au départ, y loger ses « cafés ». « On ne voulait pas que les « cafés » soient associés à un contexte de mort, explique Sabine Henry. C’est moins le cas aujourd’hui et dans les endroits où il n’y a pas d’Alzheimer café organisé par un pouvoir public, cela peut se faire dans une maison de repos à condition que celle-ci ne s’en serve pas comme d’une « vitrine » pour ses activités et soit attentive à un public qui vit le plus souvent à domicile. Cela peut être intéressant d’être associé à une maison de repos, surtout si elle dispose d’un centre de jour comme lieu de réunion, car elle peut informer sur son fonctionnement et lever certaines appréhensions. Mais nous gardons un droit de regard sur la formation des animateurs. Ils ne doivent pas se présenter comme des sauveurs ni mettre l’aspect médical trop en avant ».
C’est le centre de jour, comme passerelle entre le domicile et la maison de repos, qui est le plus plébiscité. Mais l’étape finale, celle du placement en MRS… cela reste non pour beaucoup de participants. Comme un cap infranchissable. Beaucoup promettent de ne jamais y placer leur mari, leur épouse, leur mère, leur père quitte à s’épuiser totalement. Isabelle a fini par placer sa maman mais elle se dit révoltée : « le relais est difficile avec les institutions. Le personnel est peu présent pour aider. On les laisse, dans leur lit, bourrés de médicaments qui finissent par les tuer. Ma mère est dans sa chambre tous les jours. Elle ne sort jamais alors qu’elle est tout à fait capable de marcher ».
Rester à la maison oui mais dans quelles conditions ? A Tournai, comme ailleurs, des participants sont bien conscients que leur maison n’est pas ou plus adaptée à cette maladie. Mais où aller ? Comment convaincre la personne malade ? « J’ai voulu prendre un appartement mais lui ne veut pas. Alors, parfois, je le retrouve dans la cave ».