La peur est palpable lors de cette réunion de l’Alzheimer Café de Forest. Sur les murs de la salle du centre Pia-Divercity de la commune, on voit des belles affiches visant à lutter contre l’âgisme : « Les vieux tombent encore amoureux », « Old lives matter » ou encore « rage against âgisme ». Cela donne un côté militant et remotivant bien nécessaire. Ce jour-là, la discussion part des trous de mémoire. « J’ai parfois des trous de mémoire, dit Catherine. J’ai peur d’être atteinte ». Anne intervient avec humour : « Quand un jeune a un trou de mémoire, la conversation continue comme si de rien n’était mais si c’est un vieux, tout le monde s’arrête et on le regarde d’un drôle d’air. Moi, si on me dit bonjour en chinois, je peux le répéter mais trois minutes après, j’aurai oublié. Trou de mémoire et trouble de la mémoire, ce n’est pas la même chose ». « J’ai peur d’être coupée des autres, j’ai peur de la peur des autres », enchaîne Catherine.
Peur de la peur des autres. Cette peur de l’entourage qui aboutit à ce qu’on soit placé en maison de repos, à ce qu’on se voit flanqué d’un administrateur de biens. Anne est claire : elle vient à ce « Café » pour trouver une réponse à une question essentielle pour elle. Que mettre en place « pour éviter d’être dépossédé de son pouvoir de décision. Il y a des gens qui ne viennent plus parce qu’ils n’ont pas trouvé ici de réponse médicale, quels médicaments prendre, par exemple. Moi, je m’en fous des médicaments et de leur coût. Je veux savoir comment me protéger contre une société qui peut me dire à tout moment : « vous n’êtes plus en capacité de gérer votre vie ».
Peur de la peur des autres. Cette peur de l’entourage qui aboutit à ce qu’on soit placé en maison de repos, à ce qu’on se voit flanqué d’un administrateur de biens.
La peur d’être « atteinte » camoufle ou fait surgir d’autres peurs : celle de l’isolement, de la perte d’autonomie physique mais aussi celle de trop impacter la vie de ses proches, que ce soit comme malade ou tout simplement parce qu’on devient trop âgé (e). « Mon médecin me dit que je ne peux plus vivre seule, explique une participante. Mais que faire? Mes enfants ont eux-mêmes des enfants… » Elle esquisse le geste de jeter quelque chose derrière son dos : « ils n’ont pas la place, ils n’ont pas le temps». Haussement des épaules fataliste. Un moment de silence et la discussion file vers une « solution » plus radicale : l’euthanasie, un thème souvent abordé dans les Alzheimer cafés. « J’ai suivi ma mère qui a eu l’Alzheimer. Je ne veux pas que mes enfants vivent ça », dit sobrement Isabelle.
Dogan, présent pour la Ligue Alzheimer, intervient et explique la quasi impossibilité de demander l’euthanasie quand on est atteint de démence puisqu’on n’entre plus dans les conditions de la loi : exprimer un choix « éclairé » sur sa fin de vie et cela, même si on a fait toutes les démarches nécessaires avant d’être malade. « Faut surtout bien choisir son médecin, bougonne Monique. Faut pas qu’il soit catholique ». Tout le monde rit et tente de plaisanter : « Faudra ne compter que sur soi-même pour en finir. Nicole, c’est du curare que tu as dans la perle autour de ton cou ? »
L’humour et l’autodérision ne sont jamais loin. A la porte-parole d’Infor-Homes venue parler des maisons de repos, les participants lui demandent à plusieurs reprises de parler plus fort. « On est des vieux, hein, madame ! »