Au-delà de la création d’emploi

Selon Julien Charles, docteur en sciences sociales et chargé de recherche à l’UCLouvain et au Centre socialiste d’éducation permanente (CESEP), la transposition wallonne reste la plus comparable au système français, même si la philosophie originelle des TZCLD n’a pas été transposée mot pour mot. «Les TZCLD ne visent pas seulement à créer de l’emploi. Et ça, selon les finalités fixées dans sa note, le gouvernement wallon semble l’avoir compris.» Cinq finalités ont en effet été identifiées: universaliser l’accès à l’emploi, assurer la sécurité économique des travailleurs, permettre l’émancipation de ces travailleurs, contribuer à la résilience des territoires et favoriser leur vitalité démocratique. «Ça, c’est la théorie, poursuit-il. Pour passer à la pratique, le cadre réglementaire impose pour chaque finalité, dans le même ordre, d’agir sur les territoires auprès des personnes éligibles (NDLR: des chômeurs privés d’emploi depuis 24 mois et domiciliés sur les territoires investigués), de recourir systématiquement au CDI, d’engager de manière volontaire, de développer des activités qui répondent au besoin des territoires et ne sont pas concurrentes avec les emplois publics ou les activités déjà développées par les acteurs économiques locaux, et de créer un comité local pour l’emploi.»

«Le cadre d’évaluation fixe des finalités très claires, mais il n’impose presque rien pour atteindre les objectifs extérieurs à la création d’emploi, comme de permettre l’émancipation des travailleurs ou la résilience des territoires, regrette Julien Charles. On ne dit pas qu’il faut absolument créer une coopérative dont les travailleurs seraient membres à 50% pour peser sur les décisions, par exemple. On justifie de ne pas avoir imposé trop de contraintes, car cela reste une expérimentation. Mais le risque, c’est qu’en fin de parcours, on valorise la performance du projet de TZCLD qui parviendra à mettre le plus de personnes à l’emploi avec le moins de ressources. Et sur ce point, la conciergerie est clairement en tête.»

Lors de son relevé de la mi-février 2024, le chercheur a noté que six projets sur les 17 ont déjà recruté. Au total, 17 CDI ont été signés, dont neuf à la conciergerie. «La finalité du territoire zéro chômeur, contrairement à ce que son nom indique, ce n’est pas d’éliminer totalement le chômage, poursuit Julien Charles. L’exhaustivité reste une boussole. Si on ne regarde que l’emploi, on perd de vue le reste des actions à mener. Le plein emploi ne sera jamais réalisé, même si certains des territoires en France ont annoncé le contraire.»

Mais alors, quid après 2026? Dans leurs programmes, PS et Écolo réinsistent: il faut pérenniser ces expérimentations. Mais ce qu’il faudra surtout, pour ce faire, ce sont des fonds publics. «La privation d’emploi a de graves effets collatéraux, explique Julien Charles. Si on investit dans l’emploi, on réduit le taux de redoublement ou de maladies liées à la pauvreté, on améliore l’accès au logement… Pour bien faire, il nous faudrait un accord de coopération entre les Régions et le fédéral, mais, dans le même temps, des prérogatives wallonnes pour créer de l’emploi existent déjà. Je ne suis pas certain qu’on pourra dégager beaucoup plus d’argent. Le niveau européen reste donc pertinent, et même si le FSE est très cadrant, on observe actuellement une sorte de mouvance européenne en faveur du droit à l’emploi.» En Italie, en Autriche, en Finlande ou encore en Allemagne, des expériences comparables aux TZCLD se constituent. Cette sorte de plateforme transnationale à l’échelon européen soutient le droit à l’emploi. «Et sans vouloir faire mon De Wever, termine le chercheur, avec une Europe forte et des régions fortes, le fédéral est un peu by-passé sur ces questions.»

Selon des projections de la KU Leuven, les bénéfices d’un projet de TZCLD atteindraient environ 94.000 euros par ETP après cinq ans. Le droit à l’emploi est un droit fondamental reconnu par la Constitution belge, par les textes européens ou encore la Déclaration universelle des droits humains. «La question, conclut Julien Charles, c’est: ‘Est-on prêt à reconnaître l’État responsable et à prendre ce pari concernant l’emploi lorsqu’un citoyen ne trouve pas d’emploi sur le marché?’»