De la régie à la conciergerie

Un terrain de basket-ball désert. Les rails silencieux d’un futur tram qui sillonnera bientôt la Cité ardente. Le rendez-vous est donné au pied d’une des tours de logements qui font la réputation de la plaine de Droixhe. Il est 8 h 30 et ce quartier populaire de la rive droite se réveille à peine. Mais au 8e étage de l’immeuble d’appartements sociaux, dans sa tenue de peintre, Mehrez s’active déjà, rouleau à la main. «Je fais surtout des petits travaux de rénovation. Peindre, tapisser une pièce, assembler des meubles.» Assad* et sa compagne, le couple de retraités qui occupe ce petit trois-pièces dont le vestibule est en pleine métamorphose, ont l’air ravis du travail de Mehrez. Un visage familier du quartier, qui plus est. «Ça fait plaisir de voir quelqu’un qu’on connaît travailler chez nous, lance le conjoint. De toute manière, on ne pourrait pas faire appel à du privé pour faire repeindre notre hall, ça coûterait trop cher.»

Coordinatrice à la Régie des quartiers de Liège, Sylvie Rimbaut est de passage sur le chantier pour s’assurer de son bon déroulement. «La population du quartier de Droixhe compte un public assez fragilisé socioéconomiquement parlant, confie-t-elle entre deux portes. Les habitants étaient en demande de services techniques utiles à des coûts raisonnables.» Un peu plus de 20 € pour changer une prise ou un robinet, 156 € pour une journée de travail à deux. Car Mehrez n’est pas seul au pinceau. Il est épaulé par Philippe Petit, formateur et référent technique à la régie. Avant d’être engagé en tant que concierge social en septembre 2023, Mehrez n’avait jamais connu d’emploi stable. Ce père de famille savait qu’il voulait faire quelque chose de ses mains. Il a entendu parler de la régie et des formations qu’elle proposait, notamment dans la filière bâtiment. «J’avais besoin d’un travail physique, je ne sais pas rester à ne rien faire à la maison. J’ai d’abord été stagiaire à la régie de Liège où je me suis formé, et puis, j’ai pu bénéficier d’un contrat de travail via la conciergerie sociale.»

35 régies actives en Wallonie

Trente-cinq régies des quartiers sont actives en Wallonie et dépendent, par décret, de la Wallonie ainsi que du Fonds du logement wallon. Celle de Liège a pour mission l’insertion socioprofessionnelle, la redynamisation des quartiers les plus fragilisés et l’insertion par le logement. Lors d’une conférence de presse tenue ce 24 janvier dernier, le président de la régie liégeoise Jean-Paul Bonjean exprimait qu’en 2023, le pôle relatif à l’insertion socioprofessionnelle a ainsi accueilli 139 stagiaires dans les différentes filières de formation de base et a permis la mise à l’emploi de 26 personnes. Mais il soulignait que, malgré des efforts concertés et un travail de fond effectué en collaboration avec la population locale, l’accès à l’emploi reste un problème de taille pour une part significative et particulièrement démunie des Liégeois.

Se réinventer, proposer d’autres instruments d’innovation sociale. Voilà ce qui a motivé la régie à introduire, en mai 2022, une candidature dans le cadre de la programmation FSE+ 2022-2026. À savoir, un appel à projets mené par le Fonds social européen (FSE), deuxième levier financier majeur de la politique de cohésion de l’Union européenne (UE), avec le Fonds européen de développement régional (FEDER). En avril 2023, l’heureuse nouvelle tombe. Parmi la liste des 314 projets retenus et cofinancés par le FSE et la Wallonie – grâce à une enveloppe de 581,5 millions d’euros – apparaît celui de la régie de Liège: la conciergerie sociale. Jusqu’à fin décembre 2026, l’initiative a pour objectif d’insérer davantage de chômeurs de longue durée vers l’emploi et bénéficie pour ce faire d’un financement à hauteur de 4,5 millions d’euros.

Quelques immeubles plus loin, toujours à Droixhe, la tour Lille 2, sise à l’avenue éponyme, perce le paysage avec ses quelques étages supplémentaires. Une partie des bureaux administratifs de la Régie des quartiers de Liège s’y est établie depuis peu. «Il y a encore quelques cartons, s’excuse Élodie Gerckens, coordinatrice générale de la Régie des quartiers, en nous guidant dans les couloirs. L’appel à projets européen que nous avons rempli pour trouver les financements nécessaires à la création de la conciergerie cadrait totalement avec nos missions de base. Depuis la création de la régie, on défend corps et âme une insertion globale des publics fragilisés vers l’emploi, notamment via la formation.»

Toutefois, l’arrêt des activités de la régie pendant la pandémie ainsi qu’une série de constats dressés sur le terrain ont remis les choses en perspective. «Les difficultés d’insertion socioprofessionnelle sont nombreuses pour des profils qui ne répondent pas toujours aux exigences du monde du travail standard qui, soit dit en passant, reste peu inclusif, déplore Élodie Gerckens. On a aussi observé que certains services essentiels pour une partie de la population étaient tout simplement inaccessibles. Malgré des politiques menées en matière d’accès à l’emploi ou bien l’augmentation du taux d’employabilité pour nos stagiaires formés, on a réalisé qu’on pouvait tendre vers un modèle davantage solidaire et respectueux du projet professionnel de chaque personne.»

Coconstruit en fonction des besoins des quartiers fragilisés, la conciergerie sociale prévoit, d’ici à 2026, la mise sous contrat de 46 personnes privées d’emploi. Quarante-six contrats à durée indéterminée (CDI) en équivalents temps pleins (ETP). «C’est certain que le modèle de la conciergerie sociale vient répondre au besoin des stagiaires de la régie de trouver un emploi juste après leur formation, mais il vient surtout en soutien à la forte demande du territoire, précise la coordinatrice générale de la Régie des quartiers de Liège. Des personnes qui sont durablement privées d’emploi peuvent pousser la porte de la conciergerie et demander à être accompagnées pour développer leur projet professionnel. Bien sûr, il y a des conditions à remplir pour être éligible et accéder à un contrat de travail.»

Être chercheur d’emploi, comptabiliser 24 mois d’inactivité et être domicilié depuis minimum six mois dans l’une des zones ciblées: Droixhe, Sainte-Marguerite ou Saint-Léonard. Si le champ d’action de la régie s’étend à toute la ville de Liège, une analyse territoriale a fait ressortir ces trois quartiers en raison de la concentration de problématiques sociales rencontrées par leurs habitants. Une question se pose alors: est-ce que ce critère géographique pourrait se révéler limitant? «Même si le cas ne s’est pas encore présenté à nous, ça pourrait en effet se jouer à une rue de ne pas pouvoir entrer dans les conditions d’accès à la conciergerie, regrette Sylvie Rimbaut. Mais l’appel à projets du Fonds européen nous obligeait à déterminer un échantillonnage de 15.000 habitants au maximum au sein de notre territoire. Ces critères sont frustrants à certains égards, mais on est subventionné pour faire changer les lignes et, à terme, si on parvient à déployer ce modèle sur d’autres territoires, on aura tout gagné à se plier à ces conditions aujourd’hui.»