Autre critère essentiel pour obtenir un contrat de travail via la conciergerie sociale: être volontaire. «Notre rôle n’est pas d’obliger les gens du quartier à bosser, souligne Élodie Gerckens. Notre philosophie ne s’est jamais positionnée dans une dynamique contraignante, mais notre rôle reste de guider les personnes qui se présentent à nous en fonction de leur projet professionnel. Si quelqu’un se présente à la conciergerie avec des compétences en couture, par exemple, on va d’abord chercher à savoir si on peut faire matcher ses compétences avec les besoins du quartier. Si ça fonctionne, on ajoutera alors la couture à la carte des services proposés par la conciergerie.»
Générer une offre de services utile à la collectivité, une vision qui, pour beaucoup, va à l’encontre du marché de l’emploi traditionnel. «C’est ça qui change avec ce projet, le travailleur ne doit pas entièrement se mouler à son employeur, insiste Élodie Gerckens. C’est la structure, en l’occurrence, la conciergerie sociale, qui s’adapte en fonction des profils. Bien entendu, si un profil ne correspond absolument pas à une potentielle demande de services de la part des habitants, on le redirigera vers d’autres structures. Le tissu associatif liégeois est plutôt développé en matière de réinsertion socioprofessionnelle. Mais notre credo, c’est que personne n’est inemployable.»
La carte de services promet donc de s’étoffer. En dehors de ceux déjà proposés comme le bricolage, le dépannage, la livraison, le nettoyage ou encore la réparation de vélos à travers un atelier participatif spécialisé, et d’ailleurs installé au rez-de-chaussée de la tour Lille 2, d’autres services s’imaginent actuellement. Notamment de la cyclo-logistique ou de la revalorisation de biens et de matériaux. «C’est ce qu’il y a d’excitant avec ce projet, s’enthousiasme Élodie Gerckens. Même avec une enveloppe fermée, on reste dans une innovation constante, on peut continuer de prospecter et de voir grand.»
Le MacGyver local
Pas de conciergerie sans concierge. La sémantique du projet n’est en effet pas anodine. En revisitant la fonction du concierge à l’échelle d’un quartier, l’initiative liégeoise a placé les besoins singuliers de la population dans les mains d’habitants qui se font à la fois les référents techniciens et les confidents de ces trois microterritoires. La main et l’oreille des quartiers, disent certains, le MacGyver local, selon d’autres. Et on dirait que la mission plaît. Jusqu’à présent, comme Mehrez, neuf concierges sociaux sont employés sous contrat.
De l’autre côté de la Meuse, dans une rue calme de Saint-Léonard, on nous fait entrer dans une habitation qui sera d’ici peu transformée en logement d’urgence. «C’est Bagdad ici, lance Murielle, formatrice technique à la régie de quartier. Cette maison a besoin d’un grand nettoyage avant de passer aux rénovations. C’est pour ça qu’on a fait appel à nos services.» Aux côtés de son ancienne formatrice, Noura fait couler de l’eau chaude dans son seau assorti à ses gants bleus en latex. Cette mère de deux enfants est la première concierge sociale à avoir intégré le projet en mai 2023. Elle aussi, a d’abord été stagiaire à la régie dans la filière nettoyage. «Tu vois, moi, avant, je n’avais pas de travail, raconte Noura. Je n’ai jamais travaillé en Belgique. Mais mes enfants sont grands maintenant. Si je devais encore m’occuper d’eux, ça serait différent. Je ferais un temps partiel alors. Mais j’ai besoin d’un travail.»
Pour la mission du jour, Noura n’opère pas seule. Elle peut compter sur la présence de Murielle, mais surtout sur trois autres stagiaires de la régie qu’elle forme désormais au nettoyage. «Quand l’élève dépasse le maître, s’amuse Murielle. Lorsqu’elle est arrivée chez nous, Noura ne savait pas qu’elle voudrait également devenir formatrice. Elle ne se débrouillait pas en français. Mais tout ça a bien changé. Elle a beaucoup appris et s’est découvert de véritables compétences pédagogiques. C’est apparu comme une évidence que son projet professionnel au sein de la conciergerie, ça serait de former les suivantes.» Car manifestement, peu nombreux sont les hommes à se retrouver dans cette filière.
Un projet à durée déterminée
Les CDI des concierges sociaux comprennent toutefois une clause résolutoire, car, pour rappel, le projet de conciergerie sociale est à durée déterminée. Il court jusqu’au 31 décembre 2026. Les travailleurs en sont conscients lors de la signature de leur contrat. Si la conciergerie vient à mettre la clé sous la porte à la fin du programme de financement, les porteurs du projet soutiennent que les compétences techniques et sociales engrangées ne seront que plus valorisables sur le marché de l’emploi. D’ailleurs, les concierges sociaux peuvent également développer un projet professionnel en dehors des murs de la conciergerie et bénéficier d’un accompagnement dans la poursuite de leurs objectifs. «Et certains domaines d’expertises développés au sein de la conciergerie sont en plein boom, rajoute Ben, gérant de l’atelier de réparation de vélos. Ces secteurs seront amenés à recruter des personnes compétentes, c’est certain. C’est notamment le cas de la mobilité douce.»
Du côté de la régie liégeoise, on espère naturellement que ce premier chapitre de la conciergerie sociale en ouvrira d’autres. «2026, c’est demain, appuie Élodie Gerckens. On a déjà commencé à plancher sur des stratégies d’économie sociale, mais il faudra inévitablement que l’on dépende d’autres subventions publiques si on souhaite imaginer la suite de la conciergerie.»