Le turn-over des employés des CPVS est confirmé à demi-mot par la porte-parole de l’IEFH, qui s’abstient pour autant de le chiffrer et tient à nuancer: «On est dans un secteur où les conditions de travail ne sont pas évidentes, comme c’est le cas en hôpital, dans les services aigus: horaires décalés, travail de nuit, situations très lourdes à accueillir. L’IEFH a d’ailleurs récemment mené une étude sur les travailleurs du ‘care’ de façon globale, qui montre que ce sont des métiers essentiels, mais trop peu valorisés, aux conditions de travail difficiles, aux salaires peu élevés, aux horaires compliqués et où les femmes sont largement surreprésentées.»
Dans les CPVS aussi, sans grande surprise, on n’a rencontré que des femmes. Ils comptent pourtant bien quelques employés masculins. «Peu, mais il y en a, indique Marie De Roeck, du CPVS de Charleroi. Et ça se passe très bien, mieux qu’on ne pourrait l’imaginer. Il n’y a aucune réticence ou objection de la part des victimes.»
Quant aux difficultés citées par Véronique De Baets, elles sont, comme souvent dans les métiers du «care», compensées par un puissant sentiment d’utilité. C’est une «quête de sens» qui a ainsi mené Aude Coupé, gynécologue au CHRSM de Namur, au CPVS dès son ouverture en avril 2023. Selon elle, «l’hôpital détricote aujourd’hui la prise en charge du patient. On a perdu de la globalité dans l’infrastructure hospitalière. Tandis qu’au CPVS, tout le monde gravite autour de vous pour que vous soyez le mieux pris en charge possible.» Un projet qu’elle juge «à rebrousse-poil dans une société telle que la nôtre».
L’utilité n’est pas qu’un sentiment. Par leur création, les CPVS ont répondu à une nécessité, édictée noir sur blanc dans l’article 25 de la Convention d’Istanbul, que la Belgique a ratifié en 2016 et qui prévoit la mise en place de centres d’aide d’urgence pour les victimes de viols et de violences sexuelles. «Ce qui est unique au niveau européen, dans l’approche développée par la Belgique, c’est la multidisciplinarité de ses centres qui permet une vraie prise en charge complète», souligne Véronique De Baets.
La racine du mal
Cette multidisciplinarité et l’approche centrée sur la personne des CPVS ont été pensées dans un but bien précis: mettre fin à la «victimisation secondaire», soit le mal en cascade infligé à une victime du fait d’une mauvaise réaction à son égard, de la part de la police ou du personnel soignant (manque d’écoute, insensibilité, culpabilisation, minimisation…).
«J’ai travaillé comme infirmière urgentiste à Saint-Pierre; on prenait en charge des victimes de violences sexuelles et je sais à quel point ce n’était pas optimal», témoigne Charlyne Lietard. «Un jour à l’hôpital, une victime d’agression sexuelle voulait arrêter un examen en cours. J’ai entendu un collègue lui dire: ‘Vous croyez que je n’ai que ça à faire, si vous ne vouliez pas être examinée, il ne fallait pas venir’», illustre Aude Coupé.
Par leur création, les CPVS ont répondu à une nécessité, édictée noir sur blanc dans l’article 25 de la Convention d’Istanbul, que la Belgique a ratifié en 2016 et qui prévoit la mise en place de centres d’aide d’urgence pour les victimes de viols et de violences sexuelles.
Aujourd’hui, 131 victimes en moyenne sont accueillies chaque mois dans un CPVS. Bien plus que les projections initiales. Lors du lancement du projet-pilote en 2017 à Bruxelles, «il était estimé qu’on aurait entre 80 et 120 victimes par an, se remémore Mélissa Passau, coordinatrice CPVS Bruxelles. On a ouvert le 1er novembre et fin décembre, on avait déjà reçu 79 victimes!»
Au vu de ce «succès», les trois CPVS pilotes (Bruxelles, Liège et Gand) ont rapidement été rejoints par d’autres, créés aux quatre coins de la Belgique. Cerise sur le gâteau: en mars dernier, la Chambre a adopté la «loi CPVS», ancrant juridiquement l’existence, le fonctionnement et le financement des dix centres existants et trois à venir.
Une victoire qui n’épargne pour pas autant la cause de défis. La question du suivi par la justice notamment, où un pourcentage dérisoire de plaintes aboutissent à une audience (on parle souvent de 10% dans le milieu), et plus dérisoire encore à une condamnation (10% des 10%, toujours selon les on-dit du secteur). Quant à la prise en charge des auteurs, elle reste un angle mort. «Il faut clairement que ça se développe, reconnaît la porte-parole de l’IEFH. Il s’agit plutôt d’une aide sur le temps long, de deuxième ligne, et donc une compétence des entités fédérées plutôt que du fédéral. Il n’y a pas de projet précis pour l’instant, on espère que cela se développera avec la nouvelle législature.»
Aujourd’hui, 131 victimes en moyenne sont accueillies chaque mois dans un CPVS. Bien plus que les projections initiales. Lors du lancement du projet-pilote en 2017 à Bruxelles, «il était estimé qu’on aurait entre 80 et 120 victimes par an, se remémore Mélissa Passau, coordinatrice CPVS Bruxelles. On a ouvert le 1er novembre et fin décembre, on avait déjà reçu 79 victimes!»
Alors qu’elle s’apprête à quitter la pièce, un pied déjà de l’autre côté du chambranle de porte, une employée du CPVS de Namur lâche: «C’est bien beau tout ce qu’on fait ici. Mais tant qu’on ne prendra pas en charge les auteurs…» Elle nous laisse sur cette analogie: «Imaginez une société où des personnes se baladent avec une hache et coupent des bras à tout-va. Vous aurez beau réparer les bras, si vous ne vous attaquez pas à ceux qui ont les haches, il y aura toujours de nouveaux blessés.»