Qu’il s’agisse d’agressions sur mineurs ou sur adultes, c’est la plupart du temps dans les plis de l’intime, au creux de relations proches, voire familiales, que se commet l’irréparable. L’archétype du viol – «le soir dans une ruelle sombre, madame porte une mini-jupe, un auteur inconnu surgit, la viole et s’en va» – «il n’y en a pas tant que ça dans les CPVS», poursuit la psychologue namuroise. 62% des victimes prises en charge connaissent leur agresseur. «Or quand la victime sait qu’elle va continuer à le voir, ça freine énormément le processus de guérison.»
Parmi les situations régulièrement rencontrées dans les CPVS: les soumissions chimiques et les black-out en soirée, les violences conjugales, les relations de couple qui «dérapent» chez les jeunes et les nouveaux modes de rencontre.
«Ici, on ne gradue pas le trauma, insiste Amélie De Brabander, la psychologue du CPVS de Bruxelles. Tu peux avoir une jeune fille qui se fait mettre une main aux fesses dans le bus et qui s’effondre littéralement quand elle arrive ici (souvent parce que ça réveille des choses plus enfouies). Et puis tu peux avoir des cas bien plus graves, des femmes du parcours migratoire qui arrivent avec des histoires terriblement violentes, et dont la capacité de résilience est extraordinaire, voire interpellante. Je dois parfois dire à la patiente: ‘Vous avez le droit d’aller bien’.»
«En fait, ça va»
Face à une intégrité physique violée, on se figure la violence, les fissures, le vide. «On a toutes un milliard de projections: ‘Comment je serais si j’avais vécu ça?’ Dans la logique des choses, on devrait être effondrées. Beaucoup de patientes me disent: ‘Je devrais aller mal, mais en fait, ça va’.»
En tant que psychologue, Amélie De Brabander s’impose d’évaluer la nature de ce «ça va»: «Il y a le faux ‘ça va’, défensif, en mode dissociation, déni. Ou le ‘ça va’ d’une résilience, de quelqu’un qui parvient à incorporer le trauma dans sa vie. Il y a mille sortes de ‘ça va’, et certains sont réels.»
Les mots ont leur importance. Plutôt que de parler de résilience ou de reconstruction, l’inspecteur Van Meerbeeck préfère parler de «devenir quelqu’un d’autre avec ce qui est arrivé».
Un «devenir» qui peut prendre plus ou moins de temps. Pour certaines quelques mois, pour d’autres, des années. Mais face au tempo des CPVS, il leur faudra s’adapter. Car le suivi psychologique y est limité à six mois, résultat d’un récent changement de cadre mettant fin au précédent système de «pot» de 20 séances, sans limite dans le temps.
Parmi les situations régulièrement rencontrées dans les CPVS: les soumissions chimiques et les black-out en soirée, les violences conjugales, les relations de couple qui «dérapent» chez les jeunes et les nouveaux modes de rencontre.
«Cette mesure est basée sur un rapport de recherche sur les psycho-traumas, sur une comparaison internationale avec d’autres centres, des entretiens avec les psychologues des CPVS et un focus groupe d’experts académique en psycho-traumatisme, justifie la porte-parole de l’IEFH. Mais elle sera évaluée, notamment avec les psys des CPVS.»
En ce qui concerne Diantha Saidoun, c’est déjà tout vu: «Je trouvais la formule précédente plus confortable. Quand on travaille avec une victime, on travaille dans une société, notamment le monde juridique, avec le temps de la justice qui est vraiment très long en Belgique. Six mois, ça passe vite: il ne faut pas tomber malade, pas prendre trop de congés, il ne faut pas que la victime tombe malade – alors qu’on sait que des soucis de santé peuvent découler assez rapidement d’une agression sexuelle.»
Contraintes flexibles
C’est toute l’ambiguïté des CPVS: une approche centrée sur l’humain, qui appelle à la souplesse, repose sur la coopération et les échanges entre professionnels… Mais aussi un cadre, fixé au niveau national et soumis à d’importants financements, des contraintes et des comptes à rendre.
Parmi les contraintes, il y a donc l’accompagnement psy, limité à six mois. Mais aussi le dépôt de plainte qui, pour pouvoir se faire au sein du CPVS, doit avoir lieu dans les sept jours qui suivent l’agression. Last but not least: la prise en charge des CPVS est réservée aux victimes dont l’agression ne remonte pas à plus d’un mois. Car les CPVS offrent une prise en charge médico-légale (laquelle n’a plus lieu d’être si l’agression est trop ancienne) et psychologique de première ligne, visant à éviter l’apparition d’un syndrome de stress post-traumatique.
«Or il faut parfois du temps à la victime pour assimiler un traumatisme et certaines se retrouvent, même des mois après une agression, toujours en stress aigu. On aimerait les aider, mais comme elles ne rentrent pas dans le cadre, on ne peut pas. C’est parfois compliqué», reconnaît Maud Sterckx, l’une des psychologues de Charleroi.
Le cadre est nécessaire, reconnaît sa collègue bruxelloise Amélie De Brabander, qui n’a pour autant «jamais de calculette en tête». «Personnellement, je trouve que la thérapie courte est super, mais je sais que pour certaines psys, la limitation à six mois est insupportable. Et certaines quittent le CPVS pour cette raison.»