Lame de fond

Chapitre 1

Lame de fond

Chapitre 2

Le ressac

Chapitre 3

Devenir autre

Chapitre 4

À rebrousse-poil

La discrétion est de mise. C’est une maison bel-étage en briques comme on en compte des dizaines aux alentours, en bord de Meuse. Ses châssis blancs en croisillons sont comme un subtil rempart contre les regards indiscrets. En haut du perron de pierre, un parlophone anonyme. Seules quatre lettres y figurent: C, P, V et S. Au-dessous, une précision: gratuit, 24 h/24, 7 j/7.

Depuis avril 2023, c’est ici que les victimes d’agressions sexuelles ou de viol dans la région namuroise peuvent sonner, incognito. Le CPVS de Namur est l’un des 10 centres de prise en charge des violences sexuelles que compte la Belgique. Trois autres verront bientôt le jour, avec l’objectif qu’une victime ne doive pas faire plus d’une heure de trajet pour accéder à un centre.

Lorsqu’une victime (neuf sur dix sont des femmes) franchit la porte d’un CPVS, c’est un peu comme si elle entrait dans l’œil du cyclone: elle s’arrête, tandis que tout autour d’elle un arsenal de professionnels se met en branle.

Le CPVS de Namur est l’un des 10 centres de prise en charge des violences sexuelles que compte la Belgique. Trois autres verront bientôt le jour, avec l’objectif qu’une victime ne doive pas faire plus d’une heure de trajet pour accéder à un centre.

C’est la spécificité des CPVS, une approche holistique combinant soins médicaux, psychologiques et suivi judiciaire, fruit d’une collaboration entre un hôpital, la police et le ministère public. Le dispositif est aussi innovant et important qu’il s’efforce de ne pas être intimidant: ici, pas de blouse blanche, tous les professionnels sont habillés en civil. Les bureaux et salles d’examens occupent les différentes pièces de la maison, à mille lieues des salles d’attente bondées et de l’ambiance stérile de l’hôpital dressé à quelque cent mètres de là.

Reprendre le contrôle

«J0» ou «J zéro»: c’est le terme donné au premier jour où la victime pousse la porte du CPVS. La première case d’un parcours plus ou moins long, plus ou moins vaste, selon ses souhaits. À toute heure du jour ou de la nuit, c’est l’infirmière médico-légale qui ouvre le bal des prises en charge. Si l’agression remonte à moins de 72 heures, elle pourra procéder à des prélèvements; saisir dans ses tiroirs des écouvillons, sortes de petites brosses qu’elle passera sur le corps violenté dans l’espoir d’y retrouver l’ADN de l’agresseur. «J’explique tout ce qu’on propose et que rien n’est obligatoire, précise Justine Storms, infirmière au CPVS de Namur. La personne reprend le contrôle sur tout, nous on s’adapte. C’est elle qui va guider la prise en charge: faire une pause, aller plus vite, attendre quelqu’un pour être accompagnée. On a ce luxe du temps qu’on peut leur octroyer.»

Dans le cas où l’agression remonte à plus d’une semaine (c’est le cas pour 28% des victimes qui se présentent à un CPVS), aucune chance de retrouver de l’ADN. L’infirmière évaluera alors plutôt les besoins de prise en charge médicale de la victime, pourra procéder à un dépistage des maladies et infections sexuellement transmissibles, proposer des traitements préventifs.

S’exposer

Au «J zéro», attablée dans l’ombre de l’infirmière, se tient souvent une autre personne. Oreille tendue, la psychologue pourra, si la victime le souhaite, prendre le relais dans les prochaines semaines, panser les blessures invisibles une fois le corps soigné. Lors de cette première rencontre, les réactions suite à l’agression sexuelle sont aussi nombreuses que le profil des victimes est varié, affirment les différentes psychologues rencontrées. Il y a des «états de sidération, quand la victime raconte son histoire presque comme si elle n’était pas concernée», des «‘poker faces’, coupées de leurs émotions», des victimes «en pleurs, qu’il faut contenir», d’autres «qu’il faut freiner, parce qu’elles racontent leur histoire en boucle, dans les moindres détails», d’autres encore «auxquelles il faut tirer les vers du nez»…

Oreille tendue, la psychologue pourra, si la victime le souhaite, prendre le relais dans les prochaines semaines, panser les blessures invisibles une fois le corps soigné. Lors de cette première rencontre, les réactions suite à l’agression sexuelle sont aussi nombreuses que le profil des victimes est varié, affirment les différentes psychologues rencontrées.

Quand le choc est absorbé, que la marée s’est retirée, l’heure est au constat des dégâts. «Typiquement, pendant cette deuxième phase, on observe des soucis au niveau des besoins primaires: troubles de l’alimentation, cauchemars ou flashs qui viennent rappeler à la personne ce qui s’est passé, alors qu’elle essaie par tous les moyens de l’oublier», observe Diantha Saidoun, l’une des psychologues du CPVS namurois. Pour les thérapeutes, le travail consiste à permettre aux victimes de «s’exposer» à ce qui leur est arrivé, dans un cadre sécurisé. «Ce qu’on leur dit, c’est que plus elles essaient d’oublier ce qui s’est passé, de le mettre de côté sans le travailler, plus ça va revenir les heurter brutalement.»

C’est tout le but de l’approche de première ligne des CPVS: agir rapidement (moins d’un mois après l’agression) pour endiguer la vague et éviter l’apparition d’un syndrome de stress post-traumatique. «Nous intervenons en période de stress aigu pour essayer de limiter les dégâts. Plus on travaille un trauma en amont, plus on peut faire en sorte qu’il devienne vivable et éviter le risque de stress post-traumatique», détaille Charlyne Lietard, infirmière légiste du CPVS de Bruxelles.