Contrairement au CPVS de Namur, celui de Bruxelles est pleinement inséré dans le site de l’hôpital duquel il émane, le CHU Saint-Pierre. Il a aussi la particularité d’être «éclaté» en trois lieux: le bâtiment d’accueil a pignon sur rue tandis que de la cour intérieure de l’hôpital on accède aux bureaux attribués au suivi «psy» et à la coordination ainsi qu’à l’aile réservée au «J zéro», au sous-sol.
«C’est comme un cocon, décrit l’une de ses psychologues, Amélie De Brabander. Tu descends les escaliers, passes deux portes badgées, il n’y a plus un bruit de l’extérieur. Le CPVS, c’est un peu la mémoire de leur trauma: quand elles ont déposé leur histoire ici, elles ne reviennent plus. Elles peuvent s’autoriser à oublier, aller vers autre chose.»
En fait, le CPVS est littéralement la mémoire du trauma des victimes: chaque centre dispose d’une cave où sont stockés pendant six mois (50 ans pour les mineurs) les prélèvements médico-légaux des victimes qui n’ont pas souhaité porter plainte, pour leur permettre de revenir sur leur décision. Un «plan B» dont la majorité des patientes des CPVS n’ont toutefois pas besoin – et c’est sans doute le résultat le plus stupéfiant de ces centres: un taux de plaintes qui a littéralement (encore une fois) explosé. Alors qu’au sein de la population globale, seuls 4% des victimes d’agression sexuelle ou de viol déclarent les faits à la police[1], le pourcentage de victimes qui ont déposé plainte lors de leur première admission au sein d’un CPVS est de 63%, selon l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH). Chez les mineurs, on grimpe à 68%.
En fait, le CPVS est littéralement la mémoire du trauma des victimes: chaque centre dispose d’une cave où sont stockés pendant six mois (50 ans pour les mineurs) les prélèvements médico-légaux des victimes qui n’ont pas souhaité porter plainte, pour leur permettre de revenir sur leur décision.
Pour expliquer ces chiffres, aucune recette magique ni «propagande» de la part des soignantes. «Le simple fait qu’elles se sentent entendues, écoutées, ça change tout», estime Marie De Roeck, infirmière au CPVS de Charleroi. Autre adjuvant: ce sont les inspecteurs de police – eux aussi habillés en civil – qui viennent à la victime et non l’inverse.
Auditionner sans culpabiliser
Gilles Van Meerbeeck avait 32 ans en 2017. À l’ouverture du CPVS de Bruxelles, le jeune inspecteur a suivi la formation pour recueillir les plaintes des victimes au sein du centre, à l’issue de laquelle il est devenu l’un des premiers «inspecteurs mœurs» de la capitale. Aujourd’hui, il est l’un de ses formateurs. «La formation dure dix jours. Ça ne paraît pas énorme, mais pour la police c’est plutôt pas mal.» Suffisant en tout cas pour permettre aux futurs inspecteurs mœurs, pourtant a priori sensibilisés à la question, de se débarrasser de «certains mythes du viol, qui ont encore la peau dure dans notre société».
Exemple? Dans la liste de questions à poser lors d’une audition classique figure la question: «Comment avez-vous marqué votre non-consentement?», «ce qui renvoie à une certaine forme de culpabilité pour la victime», réagit Gilles Van Meerbeeck.
Plutôt que d’envisager le questionnaire comme une «check-list» exhaustive, la formation apprend notamment aux inspecteurs à poser des questions plus simples et plus ouvertes, pour laisser davantage la parole aux victimes. «Ça nous apporte beaucoup plus d’éléments d’un point de vue judiciaire. Ça a vraiment changé ma façon d’auditionner, même dans d’autres types d’affaires.»
Cette technique d’audition utilisée dans les CPVS est directement inspirée des TAM ou «auditions vidéo filmées», obligatoires pour les faits de mœurs les plus graves (viol ou atteinte à l’intégrité sexuelle) commis sur mineurs. Les auditions TAM poursuivent un double objectif: d’une part, rendre l’expérience la moins éprouvante possible pour le mineur («le fait qu’elle soit filmée et menée par un policier breveté permet de réduire la durée de l’audition à 45 minutes, contre deux heures en moyenne pour une audition classique pour viol», précise Gilles Van Meerbeeck) et, d’autre part, éviter toute influence extérieure sur son discours («la méthode est basée sur le récit libre et les questions ouvertes pour éviter les questions suggestives, qui sont souvent très scrutées par les avocats de la défense»).
Plutôt que d’envisager le questionnaire comme une «check-list» exhaustive, la formation apprend notamment aux inspecteurs à poser des questions plus simples et plus ouvertes, pour laisser davantage la parole aux victimes.
Vu la part importante de mineurs parmi leurs victimes, certains CPVS ont été dotés de leur propre local «TAM». Charleroi sera bientôt l’un d’eux. Comme celui de Namur, le CPVS carolo a misé sur son atmosphère hospitalière; chaque pièce de la maison dans laquelle il a élu domicile a sa fonction propre: se faire soigner, se reposer, se laver, se confier… Et même jouer. Au deuxième étage, une petite pièce a en effet été aménagée avec du mobilier pour enfants; plusieurs jouets y sont disposés ainsi que six poupées en tissu, chacune dotée d’une émotion différente. De l’autre côté du couloir, une pièce autrement plus sobre lui fait face: une table, deux chaises et un miroir sans tain. Mais l’austérité de la pièce «TAM» est à la mesure de l’impatience qu’elle suscite chez les travailleuses, dont Marie De Roeck: «Lorsqu’elle sera active, l’audition pourra se faire au moment où on reçoit l’enfant. Actuellement, il doit être auditionné au commissariat et il s’écoule parfois un mois avant qu’il ne puisse être reçu, en fonction des disponibilités des inspecteurs.»
Peut mieux faire
Si l’impatience est palpable, c’est que le taux de mineurs qui se présentent au CPVS de Charleroi est l’un des plus élevés du réseau: 50%, contre 30% en moyenne. Un pourcentage que les professionnelles du centre ne parviennent pas à s’expliquer. Et que n’avait pas vu venir l’Institut pour l’égalité des femmes et les hommes (IEFH), qui coordonne le fonctionnement des CPVS en Belgique: «Soyons francs, l’ampleur des mineurs parmi les victimes n’avait pas été anticipée. Nous avons réagi à ce constat en commandant notamment une étude à l’Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC) pour essayer de contextualiser et éclairer cette situation. Les résultats sont attendus en mars 2025», indique Véronique De Baets, porte-parole de l’institut.
Si l’impatience est palpable, c’est que le taux de mineurs qui se présentent au CPVS de Charleroi est l’un des plus élevés du réseau: 50%, contre 30% en moyenne. Un pourcentage que les professionnelles du centre ne parviennent pas à s’expliquer.
Signe de ce manque d’anticipation, le protocole des CPVS prévoit qu’en cas d’agression sur mineur, un relais se fasse avec SOS Enfants. Pourtant, cette collaboration pose question, notamment aux employées du CPVS de Namur, qui compte également plus de 50% de mineurs parmi son public: «Il s’agit d’une asbl qui travaille à la demande des deux parents de l’enfant. Or on a évidemment des situations où l’auteur suspecté est l’un des deux parents. C’est donc parfois très compliqué de renvoyer vers SOS Enfants, regrette Diantha Saidoun. On souhaiterait qu’il y ait une collaboration avec le Service de protection de la jeunesse (SPJ). Il y aurait clairement moyen de mieux faire pour les mineurs.»