La curiosité du jour, c’est une machine composée d’une base de chauffage électrique, surmontée d’une grande cuve ressemblant à une marmite en acier inoxydable. L’objet est arrivé au magasin quelques jours plus tôt et pour l’heure, deux bénévoles s’affairent autour, cherchant l’utilité de la chose. Après concertation avec d’autres, il ressort qu’il s’agit vraisemblablement d’un confiturier. Aussitôt, l’une repère la marque de la machine pour tenter d’en estimer la valeur, tandis qu’une autre s’en empare en vue de la nettoyer. L’instant d’après, une étiquette indiquant « 20 € » y est apposée et l’engin atterrit sur une étagère.
Si Sylvia est responsable de la section du Borinage et donc du magasin de seconde main, elle fait pleinement confiance à ses fidèles compagnons et ne veut pas être « sur leur dos ». « Quand il faut dire quelque chose, je n’hésite jamais à le faire, mais ils sont libres de prendre certaines décisions. » La gérante est très présente sur les réseaux sociaux pour y poster des photos ou des vidéos de ses dernières pépites à vendre. « Nous avons plein de retours positifs : on nous dit que c’est beau et bien rangé, que ça donne envie de venir y faire des achats. » Joseph abonde : « Les étalages sont souvent changés et les gens sont contents de voir qu’il y a tout le temps plein de nouveautés. Certains clients reviennent toutes les semaines ».
« Je sais que les gens viennent aussi pour l’équipe, reconnaît Cécile Nyssen. J’ai la chance d’avoir des responsables de section hyper motivés. Pourtant, avec les salaires pas extraordinaires qu’on leur offre… D’ailleurs, j’ai souvent du mal à recruter parce qu’il faut vraiment être motivé pour travailler chez nous. La dernière personne qu’on a engagée a quitté un job à la Stib où elle gagnait beaucoup plus. Ce n’est pas évident d’être attractif à ce niveau-là, mais on apporte quelque chose de très humain. »
Une armada de bénévoles
À Frameries, même si le magasin de seconde main fonctionne bien – il a généré un peu plus de 30.000 euros de ventes en 2023 –, il ne permet pas encore à la section locale d’être autonome financièrement. Mais Sylvia a bon espoir : avec le soutien inconditionnel de son armada de bénévoles motivés, l’espoir est permis. « Franchement, au début, quand j’étais toute seule dans mon bureau et que ma cheffe m’a dit que j’allais devoir trouver des volontaires pour m’aider, j’ai pensé : « Là, je suis mal barrée parce que pour trouver des bénévoles par ici, il faut y aller ». Mais depuis que j’ai ouvert le magasin, j’en ai à la pelle. Je remercie le ciel d’avoir mis ces belles personnes sur mon chemin. Je n’ai pas atterri ici par hasard. »
La plupart des sections s’appuient sur un réseau local de bénévoles dévoués. Ici, la particularité, c’est qu’il y a pas mal de volontaires parmi les bénéficiaires. Tous les jours, une dizaine de personnes franchissent la porte du magasin pour donner une heure de leur temps ou une journée entière. Pour tromper l’ennui ou se rendre utile. « Le profil, c’est plutôt des personnes qui sont souffrantes, et donc sur la mutuelle, ou pensionnées. Il y a aussi des parents solo qui ont besoin de contacts avec d’autres adultes pour discuter de choses dont ils ne parlent pas avec leurs enfants », indique Sylvia. Des ateliers sont régulièrement organisés, autant de prétextes pour se rencontrer et partager le plaisir d’être ensemble. « Quand ils viennent à un atelier tricot, ce n’est pas que pour tricoter. Ça, ils pourraient le faire à leur maison. C’est pour le lien qu’ils créent avec les autres », observe Joseph.
De nature indépendante, ce couteau suisse aime le travail bien fait. C’est aussi un loup solitaire qui, paradoxalement, a le contact facile et la langue bien pendue. À 64 ans, Joseph est un fils d’immigrés italiens qui ont activement participé à l’industrialisation de la région. Quant à lui, il a poursuivi des études en horlogerie. Les circonstances de la vie l’ont pourtant conduit à faire la majeure partie de sa carrière chez Delhaize. « J’y ai travaillé 32 ans et j’ai terminé comme cadre, manager des produits frais. Puis, à 50 ans, je me suis dit que cette vie-là était trop stressante. Et j’ai demandé mon préavis. » Après des petits boulots à gauche à droite, il tombe par hasard sur une équipe des Compagnons Dépanneurs et quelques jours plus tard, preste son premier jour comme ouvrier à tout faire.
Ce que Joseph aime dans son boulot, c’est la diversité des tâches à accomplir. Outre les travaux de réparation et de rénovation dans les logements des personnes précaires, les Compagnons Dépanneurs font aussi des déménagements et fournissent des meubles qu’ils vont jusqu’à monter chez les bénéficiaires. « À partir du mois d’avril, on fait aussi beaucoup de jardins. Par an, ça représente environ 500 chantiers. On fait les tailles d’hiver, on ramasse les feuilles, etc. Chez nous, les clients vont en avoir pour 22 euros, là où un jardinier en demanderait au moins 100. »