Une famille choisie

Aujourd’hui, c’est chez Armand, bénéficiaire et bénévole aux Compagnons Dépanneurs, que Joseph passe une partie de sa journée. Après une carrière aux chemins de fer écourtée par des

problèmes d’alcoolisme, Armand a été interné au Centre hospitalier psychiatrique du Chêne aux Haies, situé à Mons. Même s’il n’est plus hébergé là, il continue à être suivi de près. Cinq médicaments à midi, cinq le soir et « une piqûre de cheval » toutes les trois semaines qui le rend « un peu stone », pour vivre normalement. Son quotidien est rythmé par les chantiers où il suit Joseph. Une routine familière et apaisante. Un besoin quasi vital.

 

Il est arrivé que l’homme, isolé et esseulé, soit la proie de personnes malveillantes et peu scrupuleuses. Les Compagnons tentent de l’aider comme ils peuvent, en le conseillant et en dépannant l’apprenti dépanneur. « On a mis en couleur sa cuisine, installé un nouveau four, réparé l’électricité, remplacé son boiler, énumère Joseph. Je lui montre comment faire et avec moi, il apprend. Des fois, il me dit « Regarde, j’ai fait ça à la maison ». Ça le motive, c’est bien. S’il n’avait pas ça, il resterait dans son fauteuil toute la journée, seul et dans le noir. Il n’a personne. »

 

Ce matin, Joseph a remplacé le luminaire de la salle de bain de son acolyte, qui l’avoue : « L’électricité, c’est pas mon truc ». L’après-midi sera consacré au reste de la pièce d’eau dont le plafond présente de la moisissure, faute de moyen d’aération. Dans l’immédiat, le plus urgent est de rendre l’environnement plus sain, mais à terme, Joseph envisage déjà d’installer un extracteur d’air pour ventiler les lieux et prévenir la réapparition de taches.

(c) Pierre Vanneste pour Alter Echos

Dans l’après-midi, il est de retour Aux p’tits bonheurs des Compagnons Dépanneurs, à quelques kilomètres à peine, où une odeur de gaufres traîne dans l’air. Confectionnées par Sylvia, elles rencontrent un vrai succès au coin papote, où elles accompagnent thé et café. Comme tous les jours, Brigitte est là. Celle qui considère Sylvia comme sa « petite sœur de cœur » ne manquerait un jour de travail pour rien au monde.

 

« L’année passée, une amie m’a emmenée ici, au magasin. J’ai sympathisé avec Sylvia et j’ai voulu l’aider. » Ancienne volontaire à la Croix-Rouge, la dame aux cheveux blonds platine a vécu mille vies, ici et ailleurs. Dans l’une d’elles, elle a été secouriste-ambulancière. Une activité à laquelle elle a dû renoncer, la mort dans l’âme, après avoir subi une opération à l’épaule. Depuis, pour faire taire sa douleur, elle « cogite ». « La nuit, je ne dors pas, je réfléchis. Oui, je réfléchis à ce que je pourrais faire pour vendre plus. L’année passée, j’ai passé des week-ends entiers à faire des roses au crochet pour la Saint-Valentin. Tout est parti, se félicite Brigitte. Cette année, j’ai fait des montages pour Noël et j’ai dit à Sylvia que je voulais qu’on atteigne 1.000 euros au marché de Noël. Et on l’a fait ! C’est tout ce qui compte pour moi. »

 

Bénévole modèle, Brigitte est toujours fidèle au poste. Quand Sylvia est là, Brigitte est là. Et quand elle n’est pas au magasin, elle distribue des flyers autour d’elle pour en faire la promotion. Plus qu’un sacerdoce. « On va mettre une petite boîte sur le comptoir pour te payer !, lui sourit Joseph. L’équipe qui travaille ici, c’est une petite famille. Parfois, il faut même fermer les volets pour que les gens s’en aillent [il rit]. »

Les difficultés de l’insertion

Même si ce n’est pas une priorité pour l’ASBL, les Compagnons Dépanneurs font parfois de la réinsertion sociale. Parmi les bénéficiaires, il peut donc y avoir des personnes condamnées à des travaux d’intérêt général. « Ce sont des gens qui reconnaissent avoir fait une bêtise dans le passé et s’investissent dans le travail qu’on leur donne, affirme Cécile Nyssen. Il y a également des personnes sous bracelet électronique… Après, nous sommes assez réticents parce qu’il faut un encadrement très spécifique. » L’association reste ainsi très prudente et préfère y aller progressivement. Ce n’est qu’après une période d’essai, au rythme d’un jour par semaine, que la situation est évaluée pour savoir si l’expérience peut se poursuivre ou pas.

 

« Les deux pôles de notre objet social, c’est de rénover des logements et de favoriser le bénévolat. Ce n’est pas la réinsertion sociale, rappelle la directrice. Mais quand nous recevons des demandes des services sociaux communaux, nous essayons, quand c’est possible, de donner sa chance à quelqu’un qui veut se réinsérer. » Cela n’arrive pas fréquemment et l’association se réserve le droit de refuser la sollicitation si elle estime ne pas pouvoir gérer correctement l’accompagnement. Elle n’est liée à aucune structure spécialisée dans les programmes de réinsertion et n’accepte qu’au cas par cas. Une série de critères de base doivent être remplis : « Il faut que la personne soit réellement motivée à l’idée de se réinsérer et savoir faire quelque chose de ses deux mains, puisque nous proposons des travaux manuels ».

(c) Pierre Vanneste pour Alter Echos

Tout en reconnaissant l’importance de la réinsertion par l’emploi, Cécile Nyssen pointe la nécessaire mise en place d’outils adéquats à ces situations très particulières. Fonctionnant avec des moyens financiers déjà limités, elle ne cherche pas particulièrement à attirer ce public. « Les difficultés de l’insertion, c’est surtout l’encadrement qui est nécessaire pour accueillir ces personnes. Les Compagnons endossent ce rôle en plus de leur boulot sur les chantiers. Et puis, ils ne sont pas formés à ça. Ce qui est compliqué aussi, c’est que nous nous rendons chez des gens qui sont eux-mêmes dans la précarité. Nous ne pouvons pas leur faire prendre de risques. »

Travailleur de première ligne, Joseph a bien conscience que l’aspect social de son métier est crucial. Sans pour autant tomber dans un angélisme béat et déconnecté des réalités de terrain. «Ceux qui viennent avec moi doivent être sérieux et présentables. Un jour, j’ai pris un gars que j’ai retrouvé allongé sur la pelouse devant la maison, en train de manger et boire de la bière. La cliente a dit qu’elle ne voulait plus le voir car elle l’avait surpris dans une chambre à l’étage, alors qu’il avait demandé pour aller aux toilettes. Et il l’avait insultée… Il faut faire attention à ce genre de situation parce que les gens nous font confiance. Sinon, ils ne te rappellent plus et à force, tu n’as plus de chantier. »