Comme un mardi sur deux, une petite dizaine de personnes se retrouvent au Club Norwest, à Jette. Jean-Marc Priels, psychologue, endosse le rôle de facilitateur – jeteur de ponts discret entre entendeurs de voix. Certains participants, comme le jeune Samuel*, sont ici pour la première fois. «Au début, les voix, c’était chouette, se souvient-il. Elles me disaient des choses positives. Mais ensuite, elles ont commencé à m’insulter, à me donner des ordres.» À l’autre bout de la table, Medhi, la cinquantaine, le met en garde: «C’est mauvais les ordres, c’est très dangereux…» À côté de moi, un trentenaire à la stature imposante a posé son chapeau de feutre sur la table: c’est une première fois pour lui aussi. Ses voix, explique-t-il, sont la conséquence d’une méningite contractée enfant. On lui a aussi diagnostiqué un trouble schizo-affectif qui lui fait ressentir la souffrance «quatre fois plus fort». «Moi, c’est comme si une foule me huait. C’est très dérangeant… Il y a des moments où je pète des cases…»
À côté de moi, un trentenaire à la stature imposante a posé son chapeau de feutre sur la table: c’est une première fois pour lui aussi. Ses voix, explique-t-il, sont la conséquence d’une méningite contractée enfant.
La petite soixantaine, Louise est la plus ancienne du groupe. Elle vient depuis des années. En ce moment, elle a des envies de déménager, à cause de ce voisin qui répète à voix haute ce à quoi elle pense avant de s’endormir – sa to-do list du lendemain, ce qu’il ne faut pas oublier. «J’en ai ras le bol, souffle-t-elle. En plus, il dit qu’il est en train de faire une formation pour aller dans la tête des gens… C’est un timbré, excusez-moi du terme.» Louise a l’impression d’avoir perdu sa «liberté d’expression». «À cause de lui, je ne peux même pas parler à ma mère. Il faut pourtant que je lui parle. Je dois lui dire des choses très importantes.» Elle a bien essayé de consigner ses pensées dans un carnet pour contourner les méthodes de «ce voisin sorcier», mais en réalité «il n’y a plus moyen de penser quoi que ce soit puisqu’il lit tout». Alors, pour faire face à cette sensation de porosité psychique – «Il a violé mon intérieur intime» –, Louise imagine autour d’elle une bulle qui empêche quiconque d’entrer. «Je me crée mon propre bunker…»
La petite soixantaine, Louise est la plus ancienne du groupe. Elle vient depuis des années. En ce moment, elle a des envies de déménager, à cause de ce voisin qui répète à voix haute ce à quoi elle pense avant de s’endormir…
Mylène est arrivée un peu en retard, aidée d’un gadot. Cette jeune femme légèrement handicapée a été plusieurs fois agressée en rue. «On a profité de ma situation et ça je déteste», s’indigne-t-elle. Depuis, elle entend des voix. «Un homme s’est masturbé devant moi. Maintenant j’entends sa voix qui me dit ‘Je vais te casser la gueule si tu portes plainte’.» À ma gauche, un homme aux airs sérieux, droit sur sa chaise, parle pour la première fois: «C’est quoi ces voix, Jean-Marc?» «– Jean-Marc n’a jamais entendu de voix», intervient Louise. Ce n’est pas un reproche, mais presque. Le psy tempère – «ça m’est arrivé une fois ou deux, quand j’étais très fatigué» – puis retourne la question à mon voisin: qu’est-ce qu’il voudrait, lui, que les voix lui apportent? «La connaissance, répond l’homme sérieux. Je voudrais qu’elles m’apprennent des choses que je ne sais pas encore. Là, elles me disent des choses que je connais déjà. Elles dérangent, c’est tout.»
* Tous les prénoms des participants au groupe d’entendeurs de voix de Jette ont été modifiés.