«J’irai où tu iras»

«Chez moi les forêts se balancent
Et les toits grattent le ciel
Les eaux des torrents sont violence
Et les neiges sont éternelles…
… J’irai où tu iras, mon pays sera toi
J’irai où tu iras qu’importe la place»

Cette place, Nicolas la chauffe depuis deux heures au moins. Avec Camille et Axel, les trois amis dansent sans s’arrêter sur la piste. Entre un verre de limonade et un cookie, ces jeunes ne veulent pas perdre une miette de cet après-midi où ils pourront danser, oublier le quotidien, faire comme tout le monde…
On rit, on s’amuse, on chante à tue-tête comme si plus rien n’avait d’importance, sauf peut-être le moment de pouvoir entendre Céline Dion. Dès le début de la musique, le petit groupe se regarde, heureux de pouvoir reprendre ensemble une chanson qu’ils aiment tant.
Depuis deux heures donc, Nicolas attendait ce moment. Celui de pouvoir se déhancher sur la chanteuse québécoise. Depuis deux heures aussi, la Groove Party bat son plein. Il est 15h30 et la fête durera encore jusqu’en fin d’après-midi. Chaque premier mardi du mois, c’est devenu une habitude, un rituel même pour des dizaines de bénéficiaires de centres destinés aux personnes porteuses de handicap.

Vendre du rêve

Lancée en juin 2022, cette fête unique en son genre accueille une fois par mois une quinzaine de services et d’institutions pour personnes porteuses de handicap. «Elles viennent de la région liégeoise essentiellement. Parfois de la province de Luxembourg. Depuis ses débuts, la Groove Party a accueilli une quarantaine de services, allant d’Aywaille à Welkenraedt», explique Myriam, assistante sociale à la Croisée, un asbl ayant pour objectif d’accompagner les personnes handicapées. Ils sont une centaine en ce premier mardi de décembre à se retrouver dans une salle communale à Malmedy. «Quand on a commencé, il y avait une dizaine de bénéficiaires, il y en a plus d’une centaine désormais. C’est remarquable», témoigne Marie, éducatrice à l’asbl Cadre, un service d’accueil de jour pour adultes. Ce projet a été porté par des travailleurs de l’asbl Cadre, de la Croisée et du Relais, une autre asbl pour personnes handicapées à Malmedy, le tout avec le soutien de la commune. «Ces trois services ont répondu présents avec des bénéficiaires intéressés, mais aussi curieux, parce que ce n’est pas donné à tout le monde de se rendre à une fête, avec de la musique, des lumières…», se rappelle Mélissa.
«Le but de la Groove est simple : permettre à ce public de faire des rencontres, de bouger, de danser, de discuter… Bref, que les bénéficiaires aient accès à une soirée dansante comme n’importe qui !», poursuit Marie.
« C’est cela qui nous plaît, renchérit Mélissa. Vendre du rêve, ou du moins, proposer à nos bénéficiaires une après-midi de folie une fois par mois. Ils sont souvent cantonnés à une institution, un service. Ici, ils ont l’occasion de se lâcher ! Ils ont l’impression de faire quelque chose comme les autres autour d’un verre ou en dansant.»

La Groove, Nicolas l’attend chaque fois avec impatience. Dès que la fête est finie, il décompte les jours, les semaines, à tel point que ses éducateurs lui ont prévu un calendrier rien que pour l’occasion. Aujourd’hui, il a mis une cravate pour la dernière Groove de l’année. C’est son papa qui a fait le nœud, me dit-il. Ici, tout le monde le surnomme «Mister Nico».
Dans sa playlist, outre Céline, il y a Shakira et son Waka waka ou la Macarena. «Les mains en haut, en bas, sur la tête, le ventre… En haut, en bas, à gauche, à droite…» Ils alternent leurs gestes, leurs mouvements. Leurs chorégraphies sont précises. Le petit groupe les connaît par cœur. Elles ont été apprises avec Marie, qui s’occupe chaque mois de la caisse qui accueille les participants. Une place qu’elle quittera dès les premières notes. «Ils viennent toujours me chercher pour aller sur la piste car ces chorégraphies, ils les connaissent au final mieux que moi parce que j’ai une mémoire de poisson rouge !», raconte Marie.
La musique a une vraie valeur thérapeutique : cela leur permet de se vider la tête, de se lâcher…Il n’y a que des bienfaits à en voir les sourires qui émaillent la piste. «Certains dansent, sans discontinuer, du début à la fin, d’autres regarderont les autres, et cela leur suffira. La Groove est une bulle par rapport à un quotidien parfois pesant», constate Mélissa.

« Tu t’es fait tout beau, dis donc…»

Nicolas, Axel et Camille, eux, sont arrivés les premiers en début d’après-midi, les derniers préparatifs de la fête venaient à peine d’être finalisés par l’équipe des bénévoles. Dès leur entrée, dans la salle, ils saluent Quentin, le DJ, Marco et Antoine qui s’occupent du bar, avec Myriam qui coordonne l’après-midi. Au gré des fêtes, des liens forts se sont créés entre participants et bénévoles.
Chacun se fait la bise, et Nicolas commence à demander à Quentin si Céline Dion sera bien au rendez-vous. «Tu verras bien», plaisante le DJ. On félicite Axel pour sa tenue. «Tu t’es fait tout beau, dis donc… Tu es prêt pour Noël !», lance Marco. Sur son pull, Axel indique un Père Noël qui tente de rentrer dans une cheminée. Il porte aussi une chemise aux couleurs de Noël. Pour couronner le tout, il s’est rasé, précise-t-il, tout fier de son allure.
Camille, elle, attendra sagement que la fête commence. Après avoir déposé ses affaires et récupéré des jetons pour les consommations, elle part s’installer sur une chaise, auprès d’un jeune homme. C’est Quentin, son amoureux. «On est inséparables», m’explique la jeune fille.

Il est 13h30 quand la fête débute. La salle se remplira alors au gré des arrivées des bénéficiaires des centres de la région tout au long de l’après-midi. L’ambiance monte, tout comme le son. Dès la première chanson, Nicolas, Axel et Camille iront sur la piste et ne la quitteront plus jusqu’à 16h30.
Quentin regarde le petit groupe, amusé. Il est allé chercher des jetons pour l’après-midi, de quoi prendre un verre. Il attend son moment. Ce sera un rap phocéen où il dévoilera de vrais talents de breakdance.