Amélie s’assied au pied du lit pendant qu’Alba* émerge doucement. Elle tente de la convaincre de rester encore cinq jours à l’hôpital Léonard De Vinci (Montigny-le-Tilleul), histoire d’être soignée, logée, accompagnée et sécurisée jusqu’au 16 janvier. À cette date, le comité de «La Sambrienne» (la Société de logement de service public de Charleroi et de Gerpinnes) traitera sa candidature pour un logement social, demande introduite en urgence par l’équipe Housing First de Charleroi et motivée par la situation médicale d’Alba: neuropathie et hémiplégie d’une jambe, suite à une consommation prolongée de protoxyde d’azote[1]. Mais Alba veut quitter les lieux dès cet après-midi: elle s’y sent mal et, une fois de plus, «totalement dépendante de tout le monde».
À 24 ans, sans domicile et sans véritable option de logement, Alba est en errance depuis plusieurs années. Avant cet hôpital, elle était hébergée dans une maison de transit à caractère médical, qu’elle a quitté d’initiative vu les conditions d’accueil difficiles (cohabitation forcée en chambre double avec une personne très malade).
Avant cette maison de transit, elle logeait chez des copines ou parfois en appartement Airbnb, loué quelques jours pour elle par son partenaire. Avant cela encore, elle avait versé petit à petit toute son épargne à une propriétaire adepte des loyers indécents: 750 € pour une simple chambre dans la même maison qu’elle. Une fois sans argent, Alba s’est fait mettre dehors.
Si Alba sort de Léonard De Vinci cet après-midi, Amélie Loisse (accompagnatrice sociale Housing First) redoute la perte de contact. «Il faut qu’on puisse te trouver», insiste-t-elle, consciente de la volatilité du public sans abri, jeune en particulier.
Alba lui répond qu’elle prévoit d’appeler une copine. Elle passera la chercher en voiture et peut l’accueillir chez sa mère. «Je compte sur toi pour me dire où tu te trouves, hein? Je dois pouvoir te localiser.» Amélie ne peut ni ne veut la lâcher. «Et on se voit de toute façon la semaine prochaine. D’ici là, je croise les doigts, on aura une réponse pour ton logement.»
Dans la demande adressée à La Sambrienne, Amélie et ses collègues ont expressément demandé pour Alba, vu ses difficultés motrices, un logement situé soit au rez-de-chaussée, soit aux étages d’un bâtiment muni d’un ascenseur. «Mais franchement, même si c’est au premier étage et qu’il n’y a pas d’ascenseur, je le prends, pousse Alba. Si ça me permet d’avoir un logement…» Elle n’en peut plus. «Mais ce n’est pas raisonnable, tempère Amélie. Combien de marches peux-tu monter? Tu devras prendre les escaliers plusieurs fois par jour, tu sais…»
À 24 ans, sans domicile et sans véritable option de logement, Alba est en errance depuis plusieurs années. Avant cet hôpital, elle était hébergée dans une maison de transit à caractère médical, qu’elle a quitté d’initiative vu les conditions d’accueil difficiles (cohabitation forcée en chambre double avec une personne très malade). Avant cette maison de transit, elle logeait chez des copines ou parfois en appartement Airbnb, loué quelques jours pour elle par son partenaire. Avant cela encore, elle avait versé petit à petit toute son épargne à une propriétaire adepte des loyers indécents: 750 € pour une simple chambre dans la même maison qu’elle. Une fois sans argent, Alba s’est fait mettre dehors.
Quelques nuits auparavant, Alba rêvait – elle rit nerveusement en le racontant à Amélie – que le rapport de force était, pour une fois, inversé entre elle et les bailleurs (qu’ils soient publics ou privés). «C’était à leur tour de se prendre la violence d’un refus.» Alba aimerait tant que La Sambrienne, comme n’importe quel autre propriétaire, expérimente «l’attente constante» vécue par les publics précaires en quête d’une location. «Parce que, quoi… Je vais devoir attendre mes 30 ans pour trouver un logement stable et démarrer dans la vie? C’est ça le truc?»
Le système Housing First fonctionne si les personnes aidées obtiennent rapidement un logement, explique Jeremy Wilmot, tête de pont de Housing First Charleroi. Autrement dit: une personne sans abri, ou à risque de le devenir, passe locataire, se stabilise et évite, ainsi, l’accumulation de difficultés (santé, finances…). «Sauf que Housing First n’a pas de parc immobilier, poursuit Jeremy Wilmot. Nous sommes dépendants d’un marché qui est extrêmement tendu. Paradoxalement, notre grande difficulté est donc l’accès au marché locatif.»
Dans ce contexte, l’accord conclu avec La Sambrienne depuis 2015 pour réserver 24 logements sociaux au public Housing First est une grande avancée.
«En cela, nous sommes le service Housing First le plus privilégié de Wallonie, souligne Jeremy Wilmot. On bénéficie d’une sécurité pour une partie de nos bénéficiaires, que d’autres services Housing First sont loin d’avoir.»
Ces 24 logements représentent un micro-segment des +/- 10.000 logements détenus par La Sambrienne, mais rapporté aux 51 personnes suivies au quotidien par Housing First Charleroi, cette contribution est essentielle.
Dès que l’une des 24 unités se libère, elle reste entre les mains de Housing First, qui doit alors mener un arbitrage délicat: à qui remettre les clefs du logement qui vient de se libérer?
Parmi l’ensemble des suivis Housing First qui ne sont pas encore en logement, quels profils faut-il protéger en priorité par le biais du logement social, sachant que les propriétaires privés sont frileux de louer à des profils jugés trop instables?
Deux logements sociaux réservés pour Housing First seront disponibles à partir de février, mais ne collent pas forcément au profil d’Alba, qui vogue entre ces deux eaux. D’un côté, sa santé physique et sa jeunesse[2] incitent à la protéger d’urgence – d’où la demande à La Sambrienne pour un logement en urgence médicale, soit un autre logement que les trois unités Housing First actuellement disponibles.
Mais d’un autre côté, «Alba présente bien», explique Amélie avec beaucoup de délicatesse, ce qui lui donne «plus de chance» que d’autres jeunes pour affronter le marché locatif privé. «Si La Sambrienne refuse notre demande, on te trouvera un autre logement», positive Amélie, encore assise au pied du lit d’Alba. «On va chercher, quoi qu’il arrive. Tu es entrée dans le projet Housing First; on va te suivre comme tout le monde.»
(Une semaine après la rédaction de ce reportage, Alter Échos apprenait que le dossier d’Alba a été refusé par le comité d’attribution de la SLRP «La Sambrienne». Le comité a estimé que les notions de cohésion et d’urgence sociale n’étaient pas rencontrées dans le cas d’Alba. Le même comité l’a orientée vers les [longues] listes d’attente pour les logements de transit du CPAS de Charleroi.)
*Les prénoms des jeunes ont été modifiés pour cet article.
1] Inhalé pour ses effets hilarants, ce gaz provoque un état de «flottement» et une euphorie comparable à l’ivresse. La consommation de protoxyde d’azote est cependant hautement addictive et provoque de nombreux effets néfastes sur la santé, parmi lesquels de la faiblesse musculaire qui peut entraîner, entre autres, une paralysie des membres inférieurs.
2] Les jeunes locataires sont apparemment plutôt mal perçus par les bailleurs, explique Amélie, qui les imaginent turbulents et instables.