Plus tôt dans la journée, Tamara disait à Florian, fort stressé: «Tu verras, la troisième est généralement la bonne.» À raison: Florian visite un troisième logement et hop, cette fois-ci, le propriétaire bailleur retient sa candidature parmi trois autres pour la location d’un studio meublé au centre de Charleroi, 510 € par mois + 120 € de charges, disponible dès la semaine suivante. La décision n’a pas traîné; le propriétaire part bientôt en vacances.
À 20 h 30, le même jour, Tamara Roels, accompagnatrice sociale Housing First, annonce la bonne nouvelle à Florian par téléphone: «Le studio est pour toi!» Ce dernier est soulagé. C’est bon. Il va pouvoir habiter seul. Le stress revient cependant assez vite. Il s’agit d’organiser concrètement ce premier emménagement, aller rechercher quelques affaires chez ses parents, programmer l’état des lieux, organiser le passage du logement communautaire où il vit[3] au studio situé en plein centre-ville, commencer à vivre seul pour la première fois… C’est beaucoup, mais c’est trop bien. Florian a 20 ans. Diagnostiqué à l’enfance et à l’adolescence pour un trouble du comportement (type TDAH), il est suivi par Housing First Jeunes Charleroi pour éviter de connaître le sans-abrisme – son profil étant «à risques», disons. Florian est aujourd’hui locataire, grâce au travail de Tamara et d’Amélie. C’est trop bien.
Quatre jours après le fameux coup de fil, le bail est signé. Florian ressort de l’immeuble avec les clefs du studio qu’il va louer pendant au moins sept mois – le propriétaire ne propose, dans un premier temps, que des contrats de bail de type court, renouvelables trois fois, avant de passer à une formule longue de neuf ans, si tout le monde est satisfait. «Je veux un immeuble propre et calme. Ici, il n’y a pas de danseurs de claquettes», a-t-il répété deux fois pendant l’état des lieux. Les baux très courts, dit-il, lui permettent de trier rapidement les bons des mauvais locataires. Amélie Loisse est justement là pour le rassurer sur ce point – elle a remplacé Tamara Roels pour signer le contrat de bail, mandatée par Housing First.
Florian a 20 ans. Diagnostiqué à l’enfance et à l’adolescence pour un trouble du comportement (type TDAH), il est suivi par Housing First Jeunes Charleroi pour éviter de connaître le sans-abrisme – son profil étant «à risques», disons. Florian est aujourd’hui locataire, grâce au travail de Tamara et d’Amélie. C’est trop bien.
Lorsque le propriétaire (qui demande l’anonymat) impose que Florian «ait un suivi rapproché par quelqu’un ou par une association comme Housing First»? Amélie lui répond que c’est évidemment prévu. Tamara poursuivra les rendez-vous hebdomadaires avec Florian. Chaque semaine, elle l’accompagne déjà faire ses courses. Elle complète cette sortie d’une visite à domicile lors de laquelle Florian lui exprime ses besoins et ses demandes. L’accompagnement est complet et ce mode de fonctionnement ne changera pas une fois Florian installé à sa toute nouvelle adresse.
Ici, personne n’en est à son coup d’essai. Amélie connaît le proprio; ce dernier a l’habitude de travailler avec Housing First. Il passe par le «capteur logement» de Charleroi, qui met en contact les bailleurs privés (H/F) et les services d’aide au logement pour profils précaires et vulnérables (mais pas forcément sans abri). Cette triangulation (bailleurs/services sociaux/capteur logement) est essentielle au bon fonctionnement du système Housing First dont l’équipe, sinon, galère à trouver par elle-même des logements abordables pour les bénéficiaires[4].
Les bailleurs privés qui sont prêts à louer un bien aux personnes en errance ou sans abri ne courent pas les rues. Housing First le sait et s’accommode dès lors des personnalités des bailleurs – qui ont une certaine vision du marché résidentiel, qui ont la main sur le montant des loyers demandés et qui imposent certaines conditions de logement aux locataires. Les accompagnatrices sociales de Housing First en ont bien conscience, d’où le rôle d’intermédiaire qu’elles jouent avec les bailleurs privés et les bénéficiaires, tissant avec habileté un dialogue entre deux univers très différents.
Si Florian découvre les enjeux locatifs, il a par contre bien vite compris comment répondre à un propriétaire. «Quel est l’état de ta situation, si je peux le savoir?», lui a demandé son futur bailleur lors de leur première rencontre. Et Florian de répondre sans sourciller: «Je suis sous administration de biens.» Hop, il rassure immédiatement celui qui se demande s’il percevra les loyers en temps et en heure. Le bailleur reviendra d’ailleurs sur le sujet quatre jours plus tard, visiblement satisfait. «Il est bien, votre administrateur, dira-t-il à Florian lors de la remise des clefs. Il m’a contacté deux fois en trois jours, c’est vraiment un bon.»
Les bailleurs privés qui sont prêts à louer un bien aux personnes en errance ou sans abri ne courent pas les rues. Housing First le sait et s’accommode dès lors des personnalités des bailleurs – qui ont une certaine vision du marché résidentiel, qui ont la main sur le montant des loyers demandés et qui imposent certaines conditions de logement aux locataires.
Quelques minutes plus tôt, lors du relevé des compteurs, le même propriétaire adressait par contre un commentaire plutôt maladroit à Florian et Amélie: «La porte de la cave est grillagée et fermée à clef. Ce n’est pas contre vous, mais pour éviter que des SDF descendent à la cave, sinon c’est la cata…» Housing First accompagne, tous les jours, des personnes qui ont vécu le sans-abrisme et qui en subissent les stigmatisations. Florian est très précisément suivi par Housing First Jeunes pour éviter la rue. Aujourd’hui, génial: il a trouvé un studio pour sept mois, à prolonger si tout se passe bien. Mais qui détermine si «tout se passe bien»?
3] Une maison de réinsertion pour des hommes sortis de prison tenue par un pasteur carolo, ami de la famille de Florian. Florian n’a pas fait de prison, mais il y loue tout de même une chambre.
4] Le marché carolo se resserre, notamment suite à l’apparition de colocations très chères ou de nouveaux kots étudiants – deux offres aux antipodes des besoins du public Housing First.