Depuis quelques années, la photojournaliste Johanna de Tessières prend part au projet en immortalisant les élèves lors d’une séance spéciale. « Je leur demande de venir avec un objet qui représente leurs racines. Les parents sont invités aussi. On monte un studio ensemble dans la classe et chacun, chacune a droit à son portrait en prenant la pose devant les autres. »
Émue, elle témoigne : « C’est presque magique. Très souvent, à travers l’objet, la parole se libère et l’enfant commence à raconter son histoire. Quand les parents viennent, eux aussi racontent, et souvent, on voit que l’enfant n’a jamais entendu ce récit. C’est fort d’assister à ces transmissions. » Une expérience qui renvoie la photographe à sa propre histoire. « Je m’aperçois moi-même que je connais mal mes racines… Dans la vie, il n’y a pas de moments spécifiques pour poser ce genre de questions… C’est pour ça que ce projet est précieux. Grandir avec des trous dans son histoire familiale peut s’avérer vraiment problématique au niveau de la construction de soi. »
« C’est presque magique. Très souvent, à travers l’objet, la parole se libère et l’enfant commence à raconter son histoire. Quand les parents viennent, eux aussi racontent, et souvent, on voit que l’enfant n’a jamais entendu ce récit. C’est fort d’assister à ces transmissions. »
Johanna de Tessières, photojournaliste
« Magique », un mot revenu souvent au fil des semaines, et pourtant, parfois la parole reste coincée dans les blessures les plus profondes. « Il y a des familles qui se ferment en disant : “Pour moi, ces gens n’existent plus, point.” Mais même si certains sont la pire des crapules, c’est important de savoir », pointe Maëlle Delcorps.
Et parfois, même quand ça semble impossible, malgré tout, les boucliers tombent… Vinciane Hanquet se souvient : « J’ai eu un enfant à Amay qui tout de suite m’a dit : “Je ne connais même pas le prénom de ma maman ; elle m’a abandonné quand j’avais deux mois et mon papa est en prison. Si je parle, si je pose des questions, mon papy va être furieux.” Malgré tout, au fil des animations, il s’est ouvert, et à la fin d’une séance, il a couru vers moi en me disant : “Je viens de retrouver le prénom de ma maman !” Pour lui, le couvercle de la casserole à pression a sauté, et son comportement a changé ; il s’est montré beaucoup plus disponible aux apprentissages. »
Évidemment, se pose également la question de la maltraitance infantile et des violences sexuelles, particulièrement en hausse. Si à ce jour, la Belgique n’a pas de statistiques officielles sur l’inceste, on estime néanmoins le nombre d’enfants concernés à deux ou trois par classe. « Les violences ressortent à travers des anecdotes. Par exemple, un jour, lorsqu’on parlait de ceinture, un élève a parlé des coups de son père. Souvent, la volonté marquée de silence est liée à des vécus traumatiques : je me souviens d’une fille qui ne pouvait pas avoir d’infos, car elle avait été victime d’un abus d’un oncle, et sa maman avait coupé les ponts avec sa famille. Et évidemment, si on a un doute ou une suspicion face à une information qui ressort, on en parle avec le ou la prof qui participe toujours à l’animation ou au PMS », explique Anne Limpens.
Avec Des Racines pour Grandir, tout peut être dit, mais rien ne doit être dit. À chaque élève d’emprunter le chemin qui est le sien pour écrire son récit. À l’heure de l’individualisation, de l’explosion du décrochage scolaire, du repli identitaire, ces animations se révèlent des espaces de vulnérabilité et des îlots de liberté. Que restera-t-il de ces tissages de racines dans le cœur des adultes de demain ? Quelques graines de liens ? La réponse appartient à l’intimité de chacune, de chacun.