S’ancrer et s’ouvrir aux apprentissages

Pour comprendre la genèse de l’initiative, direction Schaerbeek à la rencontre de Vinciane Hanquet. À l’aube de ses 70 ans, après avoir dédié sa vie à l’enseignement, cette femme de passion continue de se mobiliser pour un apprentissage sous forme « de mouvement à l’intérieur de soi ». « Lorsque j’étais institutrice, je me suis rendu compte que la composition, l’organisation, l’histoire des familles, mais aussi les non-dits, les tabous, les violences engendraient une perte de repères chez les jeunes et, dès lors, une indisponibilité à apprendre. » Face à ce constat, il y a vingt ans déjà dans sa classe de cinquième primaire à l’école Martin V à Louvain-la-Neuve, elle commence à travailler la question des racines et des origines avec ses élèves. « J’ai vraiment observé un effet positif. Un enfant est ce qu’il porte : si l’autre connaît son histoire, qu’il y a un espace pour la dire, la reconnaître, la valoriser, l’enfant va adopter une posture différente à l’école. »

Petit à petit, l’institutrice développe ce qui devient Des Racines pour grandir ; elle pense et crée une farde pédagogique comme support à son projet conçu en 16 séances à donner au fil de l’année. En 2012, elle commence officiellement les premières animations à l’école Sainte-Ursule de Molenbeek. Très vite, le bouche-à-oreille opère ; de plus en plus de classes la sollicitent. Vinciane Hanquet se retrousse les manches pour trouver des financements et consolide autour d’elle une équipe d’animatrices. Les explications de ce succès ? Outre sa puissance d’émancipation, la force de l’initiative repose sur son intégration dans le programme scolaire, et ce en incluant de la géographie, de l’éveil, de l’histoire. Depuis plus de 10 ans maintenant, les demandes n’ont pas diminué, bien au contraire. Aujourd’hui, les animations touchent plus de 2000 élèves par an de 10 à 15 ans, et ce, à travers 82 classes réparties sur tout le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Les demandes pour la Flandre se multiplient et, depuis 2018, le projet est répliqué au Québec. « Mon rêve : que chaque élève puisse en bénéficier au moins une fois sur son parcours scolaire », souffle Vinciane Hanquet.

« Les amis, c’est la famille de l’école »

Molenbeek. Un mercredi matin de début novembre. Fadila Mezraoui, médiatrice à l’école Sainte-Ursule, nous accueille. Son poste : faire le lien entre les parents et les enseignants. « Je trouve ce projet magique. Vinciane vous l’a dit ? C’est ici que ça a commencé ! Je suis ravie que les séances reprennent cette année, dix ans plus tard ! », confie-t-elle en grimpant les volées d’escaliers qui mènent à la classe de sixième.

Après 17 années dans l’enseignement, Anne Limpens est désormais animatrice et l’une des deux employées de l’asbl Des Racines pour grandir. Le thème du jour : la famille. Chacun, chacune rentre dans sa bulle et s’applique à représenter, sur la fiche 7 de sa farde, sa vision de la famille. Chez l’un, une liste de prénoms : « Madame, comment on écrit Ibrahim ? ». Chez l’autre, le dessin d’un cœur : « Avec mes grands-parents, ma tante, mon frère, mes parents ». Autour d’un banc, deux petits garçons chuchotent : « Moi, j’ai écrit ton prénom, Nader, parce que, pour moi, les amis, c’est la famille de l’école. On ne va jamais se quitter ! » « Bah si, Amin, l’année prochaine, on ne sera plus ensemble, mais on pourra s’appeler ! » Le dialogue fait sourire Anne Limpens. Tandis que les enfants s’affairent à leurs représentations de familles choisies, une histoire lui revient en mémoire : « Je me souviens d’une classe où deux petits garçons rwandais, qui étaient copains, ont réalisé que l’un était Hutu et l’autre Tutsi. Ils ont raconté tous les deux ce qu’ils savaient du génocide, et ce sans la moindre appréhension l’un pour l’autre. Je trouvais leurs récits d’une puissance dingue, j’en avais les larmes aux yeux, mais, pour eux, ça semblait normal : ils étaient amis avant tout. »

Après réflexion, la classe s’accorde sur une définition : « La famille, ce sont des personnes avec qui on a des liens du sang et du cœur. »

Retour à l’ici et maintenant. Une fois la fiche 7 complétée, l’animatrice reprend la main et invite la classe à penser une définition commune de la famille. Selon le dictionnaire : « Les parents et les enfants vivant sous le même toit ». « Vous êtes d’accord avec ça ? », demande-t-elle. Les élèves réagissent : « Bah non, moi j’ai de la famille loin. » « Et moi, je ne vis pas qu’avec mes parents. » « On devrait enlever le “sous le même toit” ! » Anne Limpens se saisit du livre Et toi, ta famille ? de Charlotte Belliere. À voix haute, elle leur lit ce récit présentant une multitude de modèles familiaux. Après réflexion, la classe s’accorde sur une définition : « La famille, ce sont des personnes avec qui on a des liens du sang et du cœur. »

La sonnerie retentit. Mission pour la prochaine séance : remplir l’arbre de vie et demander autour de soi un maximum d’informations sur les grands-parents et les arrière-grands-parents.