Trouver les réponses derrière les non-dits

Gembloux. Un matin de la fin septembre 2024. 8 h 30, le carillon de l’église retentit. Les jeunes du Collège Saint-Guibert se rangent dans la cour. Maëlle Delcorps rassemble la classe : un petit groupe d’élèves passés en deuxième secondaire, mais qui ont besoin d’un petit coup de pouce en plus. Sur l’étagère, dans une caisse : des casques antibruit pour se concentrer. Aux pieds des bureaux : des chambres à air tendues forment des balançoires-à-pieds pour évacuer le stress. Comme tous les mercredis matin, la professeure d’activités sociales laisse tomber les leçons linéaires pour rentrer dans l’intime. « Vous prenez votre farde “Racines” ? » Dans l’armoire, les ados récupèrent leur livret pédagogique composé de 36 fiches. Sur la couverture, un message porteur : « Mon histoire est importante… Elle me fait grandir. » Rébecca* profite du mouvement pour poser discrètement sur son bureau son carnet de dessin. Maëlle Delcorps remarque son geste et invite l’élève à partager ses œuvres avec la classe. « Je dessine surtout quand je vais mal, ça me permet de ne pas faire de conneries ou de trucs comme ça », explique la jeune fille à ses camarades. « Stylé », acclament les autres en découvrant son art. « En fait, quand mon papa a décidé de se retirer de son rôle parental, je suis tombée super bas, je ne me nourrissais plus ; j’ai été hospitalisée trois mois. Je dis toujours que je vais bien alors qu’au fond de moi, je suis un peu détruite. » Rébecca continue : « Il y a eu aussi le harcèlement scolaire. J’ai reçu des menaces de mort… C’est pour ça que j’ai changé d’école et que je suis arrivée ici avec vous cette année. » Dans la classe, le silence pèse. La professeure brise la glace : « C’est dur, hein ? Avec le projet “Racines”, il va y avoir des moments comme ça, où quelqu’un a besoin de se déposer. Et souvenez-vous, la semaine dernière nous avons signé une charte en promettant que tout ce qui se passe ici reste ici ! »

Accueillir les propos de toutes et tous

Les enfants sortent la fiche 3 et y collent une enveloppe. « Dedans, vous allez glisser des papiers découpés en y indiquant toutes les questions que vous vous posez à propos de votre famille. Dans quelques mois, à la fin du projet, vous aurez répondu à beaucoup d’entre elles, notamment en interrogeant vos proches, tandis que d’autres resteront sans réponse… » « Par exemple, je pourrais demander pourquoi mes parents ont quitté le Rwanda », réagit David. « Ou moi, pourquoi je suis née en Allemagne ? », intervient Aurore. « Et moi, à quel âge est mort mon arrière-grand-père ? Et aussi, est-ce que je vais percer dans le foot ? », sourit Elias.

Samuel lève la main : « Madame, je peux lire ma question ? Heu… Moi, je me demande pourquoi mon frère est parti quand j’avais 5 ans… Aujourd’hui, je ne sais même pas s’il est mort ou vivant… »

La tête penchée, Adam murmure : « Et moi, je voudrais savoir pourquoi je ne suis pas aimé par ma famille… » Maëlle Delcorps accueille les propos de toutes et tous, puis face à la classe, elle énonce : « Il y en a qui ont des super familles aimantes et c’est une chance, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Quoi qu’il arrive, il faut se rappeler qu’il y a des personnes qui sont là pour chacun, chacune de vous. » « Bah ouais, nous on est là, ensemble, on peut s’entraider quoi ! », répond le groupe.

Après cette entrée en émotions, la prof lance une vidéo YouTube. Sur le tableau numérique défilent les paroles d’une reprise de la chanson « Je suis » de Bigflo et Oli par des élèves du Lycée Provincial Hornu-Colfontaine.

 

« Moi, je n’aimais pas l’école, surtout les cours d’histoire et de géographie. Ce sont précisément ces matières que j’ai choisi d’enseigner, parce que j’avais envie de faire autrement. Et pour donner envie d’apprendre “Des racines pour grandir”, c’est génial. Avant, c’étaient les animatrices du projet qui venaient dans ma classe, et cette année, j’ai décidé de m’en charger moi-même en l’intégrant directement à mon cours. »

Maëlle Delcorps, professeure d’activités sociales

 

Le texte est fort et rempli de doutes, de cassures, mais aussi d’espoirs. « Maintenant, vous allez rédiger votre propre “Je suis”. Et à la fin de l’année, vous en écrirez un autre et on verra ce qui a changé pour vous. » « Si je fais ça, je vais pleurer, moi, madame », s’exclame Rébecca. « Bah moi, je ne sais pas quoi écrire. Je ne sais pas qui je suis », marmonne Samuel. Adam s’éclaircit la gorge : « Je suis un garçon en manque d’affection qui n’a pas eu l’amour de sa mère. Qui a eu des pensées sombres et qui se renferme dans les jeux vidéo. »

Depuis la cour, la sonnerie vient mettre fin à cette séance intense. « Rassurez-vous, ce ne sera pas toujours aussi triste. Pour la fois prochaine, n’oubliez pas de faire signer la charte à vos parents, ils doivent marquer leur accord et s’engager à vous aider dans vos recherches généalogiques si besoin », lance Maëlle Delcorps tandis que les élèves rangent leurs affaires. Dehors, un petit groupe commente l’animation. Dimitri est songeur : « Le problème, c’est que moi, je n’ai pas à me plaindre. Puis, je n’ai pas vraiment de questions : je peux parler de tout avec mes parents. Enfin, peut-être que ce n’est pas un problème et que du coup, je peux soutenir d’autres pour qui c’est plus compliqué. » En les écoutant de loin, Maëlle Delcorps sourit. « Moi, je n’aimais pas l’école, surtout les cours d’histoire et de géographie. Ce sont précisément ces matières que j’ai choisi d’enseigner, parce que j’avais envie de faire autrement. Et pour donner envie d’apprendre “Des racines pour grandir”, c’est génial. Avant, c’étaient les animatrices du projet qui venaient dans ma classe, et cette année, j’ai décidé de m’en charger moi-même en l’intégrant directement à mon cours. »

*Tous les prénoms des élèves ont été modifiés.