Premiers jours de mai 2023, hôpital Saint-Pierre dans le centre de Bruxelles. Après plusieurs semaines de soins, sentant venir sa fin, Michel, 53 ans, émet le souhait de se faire accompagner par ses amis et un prêtre. Il s’éteint un jeudi aux aurores entouré de sa famille de cœur. Dans les heures qui suivent, ses frères et sœurs font savoir qu’ils ne participeront pas financièrement aux obsèques. Dans la foulée, Florence, l’une des proches de Michel, reçoit les informations du service social de l’hôpital. «Comme monsieur est au CPAS et qu’il n’a pas de revenus, c’est la commune qui va prendre en charge l’inhumation.» Le corps est transféré à la morgue, où l’on clarifie aux compagnons de Michel les conditions réservées aux indigents: service minimum des pompes funèbres, le défunt sera probablement nu dans son cercueil, pas de passage à l’église ou de trajets supplémentaires, incertitude quant à la date d’enterrement.
Après plusieurs semaines de soins, sentant venir sa fin, Michel, 53 ans, émet le souhait de se faire accompagner par ses amis et un prêtre. Il s’éteint un jeudi aux aurores entouré de sa famille de cœur.
Florence se sent alors complètement dépossédée de la mort de son ami. «Quand je suis sortie de la morgue, j’ai crié. J’étais en colère, je trouvais ça totalement injuste. Ce n’était pas possible de laisser Michel partir comme ça, ça ne nous semblait pas digne.» En rentrant chez elle, la jeune femme mène des recherches, passe des coups de téléphone. Avec les quelques camarades, elle s’organise. Émue par l’histoire, une entreprise de pompes funèbres humaniste leur propose une prise en charge à coûts réduits, le groupe met en place une cagnotte. «Grâce à une somme de volontés, nous avons pu l’accompagner à la hauteur de l’homme qu’il était. Cependant, découvrir cette réalité des indigents m’a vraiment révoltée. Qu’est-ce que c’est que cette société qui perpétue le cycle des violences jusqu’à la mort?»
Si Michel y a échappé, combien de personnes finissent-elles sous le statut de l’indigence? Impossible de le savoir. Matière communale, chaque service population tient ses propres listes concernant les funérailles des personnes sans ressources et/ou sans prise en charge. Il n’existe aucun chiffre officiel. Ce qui est certain, c’est que, derrière chaque cas, il y a une histoire, une trajectoire, mais aussi des procédures administratives complexes et parfois bancales.
«Chaque vie compte, chaque mort aussi.»
24 mai 2023, Grand-Place de Bruxelles. «Chaque vie compte, chaque mort aussi. C’est une évidence, pour nous toutes et tous qui sommes rassemblés ici, et pourtant c’est un combat de tous les jours», clame l’un des membres du collectif Morts de la rue. Dans la salle de l’hôtel de ville, devant une audience de plusieurs centaines de personnes, les noms des 79 morts de la rue de 2022 sont lus à haute voix. Aujourd’hui, le collectif leur rend hommage, leur message résonne entre ces murs officiels: «Nous recevons chaque année plus de demandes, apprenons chaque année plus de décès. Pourtant chaque année, nous espérons ne plus avoir d’utilité. On voudrait que la mesure soit prise de l’énormité du problème, que la lutte contre la pauvreté soit prise au sérieux.»
Si la cérémonie annuelle en grande pompe attire l’attention de certains médias et politiques, tout au long de l’année, les membres du collectif travaillent en petit comité et avec des moyens extrêmement limités.
Matière communale, chaque service population tient ses propres listes concernant les funérailles des personnes sans ressources et/ou sans prise en charge. Il n’existe aucun chiffre officiel.
«Tu retires une lettre à indigent et tu inverses le e et le n et ça fait indigne… souffle Florence Servais, coordinatrice. Nous avons créé cette structure parce que nous nous sommes rendu compte que parfois les gens de notre public disparaissaient. Pour eux, pas de nécrologie ni de cérémonie, les personnes étaient enterrées par les autorités sans que qui que ce soit soit mis au courant.»
Depuis 2004, ce groupe composé de personnes sans abri, de citoyens et d’associations, mène un travail de l’ombre et de fourmi en se donnant pour mission de permettre un adieu digne pour celles et ceux passés par la réalité de la rue. «Nous avons un partenariat avec la Ville de Bruxelles qui nous avertit quand il va y avoir un enterrement indigent.» Lorsqu’il s’agit une personne sans abri ou suspecte de l’être, Florence Servais envoie un mail aux associations du secteur afin de vérifier si le profil est connu de leur service. «Ensuite, on tente de retrouver des proches, si besoin nous aidons à organiser des obsèques, nous essayons d’assister à l’enterrement, d’amener un peu de rituel…» Si avec la Ville de Bruxelles, les rapports sont cordiaux, concernant d’autres communes, les relations se révèlent plus compliquées. «Certaines administrations refusent de transmettre les informations relatives à l’enterrement des personnes. Je me suis fait entendre dire récemment: ‘On ne prévient pas, sinon des gens viendraient.’ C’est fou! On dirait que certains perçoivent l’indigence comme un privilège, comme un enterrement gratuit…»