15 septembre 2023, cimetière de Bruxelles. Aujourd’hui, on enterre Krzysztof, 54 ans, d’origine polonaise. Un prêtre a fait le déplacement. À ses côtés quelques proches, une travailleuse du SamuSocial et un membre du collectif des Morts de la rue sont rassemblés à l’entrée. Le corbillard de la Ville de Bruxelles arrive. Le chauffeur, habitué aux enterrements indigents, invite doucement les personnes à suivre le véhicule jusqu’à la pelouse ordinaire. Le petit groupe marche silencieusement dans les allées où les arbres jouxtent des monuments somptueux. Tout au bout du cimetière, pas de stèles, mais une grande pelouse, de la terre fraîchement retournée et des dizaines de croix de bois. Le cercueil de Krzysztof est déposé sur le sol. Le prêtre prononce ses bénédictions en polonais. Pour accompagner le rituel, quelques fleurs, une bougie. Quelques minutes plus tard, les fossoyeurs descendent le corps dans la terre. Dans le carré des indigents, Krzysztof rejoint ses compagnons d’infortune.
Tout au bout du cimetière, pas de stèles, mais une grande pelouse, de la terre fraîchement retournée et des dizaines de croix de bois.
Si la gestion de la mort est une question politique, la mort en elle-même est avec la naissance ce que l’on peut expérimenter de plus fort, de plus intime. Comme le souligne Marie De Hennezel, autrice de La Mort intime (Robert Laffont, 2001), la personne, avant de partir, tente de déposer auprès de ceux qui l’accompagnent l’essentiel d’elle-même.
Après plusieurs semaines de récolte de paroles, à l’heure d’apporter un point final à ce récit polyphonique, nos interrogations sont multiples. Comment assurer la dignité de chacun de nous? Est-ce que fermer les yeux sur la réalité des indigents n’entraîne pas de plus grandes inégalités encore? Est-ce que séparer les pauvres des nantis jusque dans la mort ne relève pas de l’inhumanité? Tant de questions, si peu de réponses. Et puis finalement, comme le métier de journaliste est de questionner, mais aussi de raconter, une ultime interrogation, comment transmettre ces vécus, ces morts silenciées?
Est-ce que séparer les pauvres des nantis jusque dans la mort ne relève pas de l’inhumanité? Tant de questions, si peu de réponses.
Dans son superbe livre Vivre avec nos morts, Delphine Horvilleur écrit ceci: «Le rôle d’un conteur est de se tenir à la porte pour s’assurer qu’elle reste ouverte. Ainsi se pose à nous la question des espaces et des séparations. Nous aimons croire que les parois sont hermétiques, que la vie et la mort sont bien séparées et que les vivants et les morts n’ont pas à se croiser. Et s’ils ne faisaient que ça en réalité?» Et si avec ces quelques mots, tout était dit?
À la mémoire de Michel, Marcelle, Jordy, Momo, Isabelle, Hamed et Krzysztof.