Patricia Gutierrez Fraire, psychologue, coanime aujourd’hui les formations à l’interculturalité pour Interra. Elle a connu l’association, car elle-même cherchait à ouvrir sa propre consultation de thérapie narrative. «Au Mexique, j’ai travaillé 15 ans en tant que psychologue indépendante, mais aussi en institution, raconte-t-elle. Il y a six ans, je suis arrivée en Belgique, car ma fille de 9 ans est autiste et, au Mexique, les soins sont inaccessibles d’un point de vue financier. Je n’étais pas pressée de m’intégrer, car j’étais focalisée sur ma fille. Mais, il y a quelque temps, j’ai rencontré deux femmes – l’une venait d’Australie, l’autre du Brésil – qui étaient installées depuis 18 ans en Belgique et qui ne travaillaient pas. Je me suis dit que si je faisais comme elles, ça n’irait pas, qu’il fallait absolument que je pense à moi, que j’aie une activité. Par chance, j’ai rencontré Interra. Aujourd’hui, je travaille comme formatrice chez eux, j’ai fondé une communauté en ligne de femmes latinos, j’interviens aussi en appui psychologique pour les interprètes hispanophones qui travaillent auprès des centres d’asile.» Se décrivant comme un condensé de «défis» à relever, puisque «femme, migrante non européenne, personne de presque 50 ans et personne confrontée à la neurodiversité», Patricia se dit aujourd’hui heureuse d’avoir trouvé non seulement un travail, mais «sa place».
En 2022, l’InterLab a ainsi accompagné 32 personnes: parmi elles, trois ont arrêté (dont une parce qu’elle a trouvé un travail), six ont commencé leur activité et 23 sont toujours en train de préparer son lancement. «44% des personnes que nous suivons sont des femmes», se réjouit Vicente Balseca Hernandez. «Parmi les incubateurs qui ne s’adressent pas spécifiquement aux femmes, c’est le meilleur résultat observé. Les autres tournent autour de 30%.» L’inclusif semble donc se décliner aussi sur le plan du genre. «On a construit une méthode basée sur trois principes: l’écoute ouverte et sans jugements, l’empathie et la bienveillance. Cela veut dire que nous considérons que ce que la personne dit est correct. Si elle me dit qu’elle est coiffeuse et qu’elle veut ouvrir un salon de coiffure, je ne vais pas aller vérifier. Je ne remets jamais en question le fait que la personne en est capable. En revanche, nous allons créer ensemble le chemin pour y arriver.»
Pour autant, Interra tient ses distances avec la vision du «migrant entrepreneur», cette figure contemporaine du «self-made man» qui prouverait que ceux qui n’y arrivent pas sont des enfants gâtés. «Présenter l’entrepreneuriat comme LA solution pour l’insertion des migrants est une aberration, estime Vicente Balseca Hernandez. Mais ce qui est intéressant, c’est l’état d’esprit que ça implique et qui est de se dire: ‘Je suis capable’, ‘Je vais créer quelque chose’. Bien sûr, il faut diminuer au maximum le risque que la personne va prendre, mais il ne faut pas casser le rêve. La réalité peut être amenée de manière positive.» Un positionnement qui offre une porte de sortie à la double injonction de nos sociétés libérales, aussi individualistes qu’inégalitaires: «Quand on veut, on peut» et «Tu n’y arriveras jamais». «Comment peut-on créer du collectif sans reconnaître l’individu dans ce qu’il est, dans ses talents?, questionne Julie Clausse. On connaît la réponse et peut-être même ce qu’il reste à faire: «Mon rêve, ce serait que nous disparaissions, enchaîne-t-elle. Que les liens que nous créons se fassent naturellement et qu’il n’y ait plus besoin d’une structure pour ça.» Pour l’heure, les rencontres arrangées ont toute leur raison d’être.