Retour au groupe de parole. Ethan et Franck prennent la suite de Kira pour évoquer eux aussi un projet qui leur tient à cœur, à savoir la venue en Belgique de l’avocate camerounaise, spécialiste de la défense des droits LGBTQIA+, Alice Nkom.
«Tout le monde la connaît ?», lance Franck à l’assemblée.
Ethan prend le relais pour la présenter brièvement : «Alice Nkom est la première femme avocate au Cameroun. Elle a beaucoup travaillé les questions de violences policières, les questions de divorce et s’est spécialisée sur les questions de genre et d’identité sexuelle.»
Avant de venir en Belgique, Ethan était activiste au Cameroun. «Je m’occupais d’une association de défense des droits des personnes LGBTQIA+. À l’issue d’un reportage auquel je participais, j’ai été victime de violences et j’ai dû partir pour la Belgique.» C’était il y a deux ans.
Au début, Ethan a limité son combat «parce que j’avais encore des traumatismes. Néanmoins, je me suis rendu compte que la lutte devait continuer et j’ai trouvé la force en moi pour aider les autres dans des situations difficiles, parfois sans issue, dans des centres qui ne leur sont pas adaptés.»
Depuis quelques mois, il est animateur au sein de la Plateforme Prévention Sida, en tant que responsable d’un projet HSH pour les hommes ayant des rapports sexuels avec un ou d’autres hommes, notamment ceux issus de la migration. Ethan fait donc le tour des centres d’accueil pour accompagner «ces personnes migrantes qui n’ont pas un paquet de services à leur destination».
Un processus traumatisant
Au-delà de ce travail de prévention, Ethan accompagne aussi des personnes en vue de leur audition au CGRA, le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides. «Plusieurs personnes peuvent être frustrées durant leur entretien au CGRA parce que l’administration n’est pas toujours convaincue par leur histoire, leur vécu, par la vraisemblance de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre… Cette audition est un moment intense Le CGRA cherche les contradictions pour savoir si le récit est crédible…», explique Ethan.
«La procédure peut être en effet un processus fatigant comme traumatisant», admet Daniel, l’animateur de la Maison Arc-en-Ciel.
«Dans tous les cas, il faut mettre en avant cette réalité, renchérit Ethan On se réfugie parce qu’on fuit quelque chose, parce qu’on a peur. On quitte la peur, non pas pour se retrouver par la suite dans une autre forme d’insécurité. Comment résoudre ce problème au fond ? Comment parler de la réalité des personnes migrantes LGBT ? Comment les accompagner sans les juger, sans les remettre en question… Cette insécurité met en danger ces personnes.»
Mettre en avant cette réalité, c’est aussi le quotidien de Franck, animateur à la JOC.
Comme Ethan, il est originaire du Cameroun. La découverte de son homosexualité par sa famille l’a contraint à fuir sa ville natale, son pays.
Quand il est arrivé en Belgique, il s’est retrouvé à Yvoir, en province de Namur, dans un centre d’accueil. «Je ne m’y sentais pas vraiment à l’aise parce que toutes les questions d’orientation sexuelle et d’identité de genre n’étaient pas abordées et le peu qui l’était était vraiment minime, pour ne pas dire discret, voire tabou.» De jour en jour, le centre est pour Franck synonyme de discriminations. «J’en subissais tous les jours. Elles venaient de partout : des résidents comme de certains membres du personnel. Un jour, j’ai décidé de ne plus me cacher. Je suis dans un pays qui me protège, pourquoi devrais-je encore me cacher comme dans mon pays…»
Il a préféré quitter le centre. C’est alors qu’il part à la recherche de lieux qui s’intéressent en Belgique à la situation des personnes migrantes LGBTQIA+. «Au début, j’allais essentiellement à Bruxelles, mais dans la capitale, je ne me suis pas vraiment senti accueilli parce que je ne trouvais pas normal, logique que les personnes que je rencontrais dans ces lieux n’étaient pas des personnes directement concernées par les situations que nous vivions. C’étaient des personnes blanches, et je me demandais comment elles pouvaient comprendre nos réalités, nos besoins de personnes racisées.»
Le poids de la responsabilité
Un jour, sur Internet, il découvre le groupe de parole proposé par la Maison Arc-en-Ciel de la province de Luxembourg. «C’était super. D’abord parce qu’il y avait Daniel, quelqu’un qui me ressemblait, quelqu’un qui est très à l’écoute… Pour moi, c’était waouh!»
De fil en aiguille, au fil des rencontres, son engagement se précise. Notamment lorsqu’au Cameroun, deux femmes transgenres, Shakiro et Patricia furent condamnées à cinq ans de prison. «Je me suis dit : ce n’est pas possible. J’ai senti ce poids, cette responsabilité et je me suis demandé ce que je pouvais faire depuis la Belgique. C’est comme cela que j’ai pris mon bâton de pèlerin et dans toutes les associations où j’allais, je parlais de la situation de ces deux femmes.» C’est cette rage ancrée en lui contre les injustices de son pays qui a fait que Franck s’est lancé dans le militantisme.
C’est comme cela aussi qu’un jour, Franck est arrivé à la JOC. «Je ne connaissais pas du tout. J’ai expliqué ma situation, et tout le monde était étonné que, bien qu’étant encore en procédure d’asile, n’ayant pas encore mes papiers, je défendais d’autres personnes. Ils m’ont accompagné, aidé dans mon projet. J’ai eu un poste d’animateur par la suite.» Grâce à cette rencontre, Franck est parvenu à faire venir Shakiro en Belgique.
Tous les mois encore, il reprend son bâton de pèlerin pour se rendre au groupe de parole à Libramont, «un véritable espace de libertés». «J’ai envie d’accompagner ces personnes qui, en arrivant ici, sont perdues, désorientées. C’est important d’avoir un regard attentif pour ces personnes qui, plus que d’autres, se retrouvent seules.»
Quand il faut prouver son orientation sexuelle et son identité de genre…
Pauline Mallet travaille au sein du service juridique de l’association «Le Monde des Possibles» qui développe depuis 2001 à Liège diverses initiatives citoyennes sur le terrain de la lutte contre les inégalités et toutes les formes d’exclusion.
«Au service juridique, j’accompagne essentiellement des personnes en demande de séjour. Je les accompagne dans leurs démarches et c’est dans ce cadre que je suis amenée à rencontrer des personnes de la communauté LGBT pour les préparer, notamment, pour leurs entretiens au CGRA qui leur demande ce qu’on appelle dans notre jargon ‘un sentiment de vécu’.»
Ce «sentiment de vécu» n’est pas un récit classique. «C’est un récit qui se fonde sur le ressenti, avec beaucoup de détails au niveau émotionnel. Beaucoup de personnes ne sont souvent pas habituées à évoquer ce qu’elles ressentent, alors qu’elles évoqueront sans souci la chronologie de leur parcours migratoire.» Un tel récit demande une préparation, mais suppose aussi de devoir revivre pour la personne toute une série de traumas.
En outre, lors de cet entretien au CGRA, la personne LGBT doit aussi démontrer l’actualité de la crainte, «mais pour la démontrer, il faut des nouvelles du pays, et quand on est en rupture totale avec son entourage, on ne peut pas en avoir. Il faut revivre des relations conflictuelles avec la famille pour pouvoir récolter ses preuves, et c’est très difficile parce que la spécificité du public LGBT est qu’il y a une rupture familiale.» Une rupture synonyme de rejet, de honte, de remise en question de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, mais aussi d’isolement complet. «Cela ajoute une difficulté supplémentaire, notamment dans un contexte de crise de l’accueil.»
Comme d’autres, Pauline Mallet qui a débuté sa carrière au sein d’un centre d’accueil en 2012 constate un personnel souvent démuni face à ce public, à ses réalités comme à ses besoins.
«Dans les centres d’accueil, il est difficile de se spécialiser dans toutes les situations, dans tous les domaines. Il y a tout de même une sensibilisation plus importante des équipes ces derniers temps, admet la juriste. Il y a eu en effet un constat, celui d’une homophobie au sein des centres parce que ce sont des groupes diversifiés au sein desquels les migrants LGBTQIA+ peuvent se retrouver face à des persécuteurs de leur pays d’origine ou de pays voisins. Il y a eu une réelle prise de conscience à ce niveau ces dernières années avec la création de places adaptées, par exemple. Mais cela reste encore insuffisant.»