Les mordus de La Traversée

Jeudi matin, deuxième étage de la maison des jeunes de Libramont. Autour de trois tables, des apprenants de Lire et Écrire et des jeunes d’un service d’accrochage scolaire échangent, découpent, dessinent, discutent, colorient, collent… À plusieurs mains, ils s’affairent à construire des maquettes en carton et papier au départ d’extraits de trois romans de La Traversée.

Ajustant ses lunettes, Chantal, se présente comme étant la doyenne du groupe: «Ça fait plus de 20 ans que je viens chez Lire et Écrire. À l’époque, j’avais peur du regard des gens, sur moi, sur mon illettrisme. Aujourd’hui, je sais lire tout haut devant les gens, ça me fait moins peur. J’ai aussi lu presque tous les livres de la collection La Traversée. J’aime ces livres, ils sont faciles à lire, il y a de l’espace. Puis, j’aime venir ici, pour sortir de chez moi, voir du monde, faire de nouvelles connaissances…»

Car tous les jeudis, Chantal vient à Libramont. Victor, Dylan, Fred, Rudy, Angèle et José aussi. Provenant de différents groupes d’alphabétisation de la région, ces apprenants se réunissent chaque semaine pour monter des projets mettant en lumière La Traversée. Maquettes, vidéos, expos, lectures publiques, participation à des événements, le groupe a déjà plusieurs projets à son actif pour faire connaître une collection qui lui tient à cœur et qui suscite de plus en plus l’intérêt d’autres secteurs et d’autres publics éloignés de la lecture: ados, seniors…

Large sourire, cheveux grisonnants attachés en queue, Victor sort de son sac à dos un livre de poésie, puis un autre et un troisième. Il les dépose sur la table, heureux. «Je les ai trouvés en brocante. J’aime bien les livres de poésie. Je vais y chercher des phrases qui me plaisent et je les utilise pour retravailler une nouvelle poésie. Avant, j’écrivais pas bien et je lisais peu… Je travaillais, dans la construction, vous voyez… Je n’avais pas le temps pour tout ça. Ça fait cinq ans que je viens chez Lire et Écrire, depuis ma pension. Ça me plaît. On voit des gens, on rencontre des auteurs, on lit des livres. Mais ça manque de poésies, dans la collection de La Traversée…»

Non loin, Nathalie Husquin, la responsable de La Traversée, opine: «Oui, c’est vrai, on n’a pas encore publié de recueil de poésies. Mais on y pense, on aimerait beaucoup et on a pris des contacts. Ça va sûrement venir, Victor!»

Au grand bonheur de Frédéric qui, lui aussi, aime la poésie. Il raconte son parcours: «J’ai connu Lire et Écrire quand j’étais en prison. Une formatrice nous a fait découvrir Nous serons heureux, un livre de La Traversée. L’histoire se passe en prison et il y a un atelier de poésie. Ça m’a plu, cette histoire, je me reconnaissais un peu dedans… Il y a deux ans, je ne savais pas lire, mais je me débrouille maintenant. Parfois, chez moi, je relis des chapitres de Nous serons heureux, petit à petit.»

Quant à Rudy, il confie: «Lire des livres, ça reste pas évident pour moi. Je me force à lire quand je viens ici. Mais j’aime venir, ça me fait sortir de chez moi.» Dylan, le plus jeune de la bande, prend la parole: «Moi, j’ai eu des soucis scolaires. Je n’ai pas de diplôme. Quand je suis arrivé ici, je lisais, mais je ne comprenais pas le sens. Maintenant, j’arrive à mieux lire et comprendre. Ici, on s’entraîne à lire.»

Angèle, elle, détient la collection complète de La Traversée. Les trente ouvrages trônent fièrement dans sa bibliothèque. «Ça fait 10 ans que je viens au cours, explique cette apprenante. Au début, moi, je ne lisais pas de livres. J’ai commencé avec les livres de La Traversée. Ils ne sont pas trop épais. Je les ai tous, mais je ne lis pas souvent toute seule, je n’ai pas trop le temps. Parfois, je lis des passages à ma petite fille. Ce que j’aime aussi ici, c’est qu’on rencontre des auteurs. Ça fait un peu peur au début, mais on parle et puis ça passe.»

Récemment, Chantal, Victor, Angèle, Dylan et les autres ont participé à un voyage en Auvergne pour présenter la collection à des partenaires français. Un projet Erasmus + en partenariat avec le Centre de Ressources Illettrisme Auvergne. «C’est important que les apprenants fassent partie de ce voyage, explique Nathalie Husquin. Ces sont eux qui vivent les situations d’illettrisme, ils sont les mieux placés pour partager leur rapport au livre et à la lecture.» L’occasion aussi pour le groupe de partir ailleurs, découvrir, s’évader, d’élargir ses horizons… comme au fil des pages d’un bon roman.