«Je me décide à frapper à la porte. Personne ne répond. Allez, bon. Je la pousse. Elle s’ouvre presque toute seule comme si on m’attendait. Dedans, il fait chaud, lumineux, bruyant, humide, enfumé. Entre la porte et l’étagère à pains accrochée au mur (j’avais raison, c’est une ancienne boulangerie), des gens sont assis autour d’une grande table. Une quinzaine de personnes, à vue de nez.»
Raphaël lève les yeux de sa feuille. Il retire ses lunettes et les dépose sur la table. Son dos se dépose sur le dossier de sa chaise, son corps se relâche. Il vient de lire un passage de roman. Lire, et, qui plus est, lire à haute voix, est un défi de taille pour Raphaël, comme pour les autres apprenants de la formation en alphabétisation de Lire et Écrire Namur présents aujourd’hui. Le groupe est réuni dans un local du centre de Tamines pour la lecture collective d’un manuscrit fraîchement terminé. Son autrice, l’écrivaine Ariane Le Fort, est présente elle aussi.
«Il y a des mots compliqués dans le passage que Raphaël vient de lire?», interroge Janvière, leur formatrice en alphabétisation. Silence, puis: «Oui, ‘à vue de nez’, pour une personne qui ne connaît pas, c’est pas facile», lance une apprenante. «Moi, je pensais qu’on disait ‘à vue d’œil’…», enchaîne une autre. «On pourrait dire ‘plus ou moins’ à la place», lance encore quelqu’un. «Oui, ou ‘environ’», suggère l’autrice du texte. La formatrice reprend la parole: «On le note et on verra avec les autres groupes si ce passage pose question ou non. On ne va pas tout changer, ce sont aussi ces expressions qui font la richesse de la langue.» Puis, l’autrice, Ariane Le Fort, demande au groupe: «Et la phrase entre parenthèses dans le texte, ça vous perturbe? C’est ce qu’on appelle une incise, une phrase qu’on peut enlever. Moi, j’aime bien les incises, c’est une manière de donner plus de vie au personnage. Mais je conçois qu’à la lecture, ça ne soit pas facile…»
Les échanges se poursuivent, jusqu’à la lecture de l’extrait suivant. Mohammed se lance: «Bah, je vais essayer…» Sa lecture est hésitante, mais assez fluide. Sa voisine de droite lui souffle les quelques mots sur lesquels il bute. Janvière, la formatrice, partage: «Mohammed a appris à lire l’année passée. Et arriver à lire comme ça, tout haut, sans avoir préparé, c’est vraiment super!»
Cette matinée de lecture collective glisse progressivement vers une discussion sur le métier d’écrivain. Du groupe, les questions fusent: «Il faut réfléchir beaucoup quand on écrit, non?» «Pourquoi avoir choisi ce prénom pour votre personnage?», «Vous avez déjà écrit combien de livres?» Ariane Le Fort y répond, une à une, avec enthousiasme.
Durant toute la séance, Nathalie Husquin, responsable du projet La Traversée, participe elle aussi aux échanges. Elle note les remarques et suggestions des apprenants, qu’elle compilera ensuite à celles d’autres groupes, ailleurs à Bruxelles et en Wallonie.
La séance se clôture. Josépha, une apprenante, remballe la boîte de biscuits qu’elle avait amenée pour l’occasion à partager avec tout le monde. En sortant, elle glisse à l’oreille de l’autrice du jour: «Et je me réjouis de lire la fin…»