Le domicile à tout prix?

La fumée bleue de cigarette qui remplit l’appartement de Gustave* se marie à l’azur du ciel par la fenêtre. L’après-midi est lumineux, mais il broie du noir. «Je suis à plat, je n’ai plus de force», confie-t-il à Arnaud, psychologue, et Gaëlle, assistante sociale, son binôme de référence au sein de l’équipe mobile 2B.

Il y a deux ans, Gustave a eu une «crise de délire», il a «quitté le monde de la réalité». Après six mois à l’hôpital psychiatrique Vincent Van Gogh, à Charleroi, s’est entamé chez lui un long chapitre dépressif. Son propriétaire, prévenant et inquiet, a alors contacté l’assistante sociale de sa maison médicale, qui l’a mis en lien avec Pléiade.

Pour maintenir un lien avec l’extérieur, Gustave fréquente depuis peu un hôpital de jour, à raison de deux jours par semaine. «Le reste du temps, je dors tout le temps. C’est comme si j’allais à la mine, alors qu’on fait du dessin et du bricolage. Je n’ai pas l’impression que ça va m’aider à sortir de ma dépression.»

Pull à capuche noir et bonnet vissé sur la tête, Gustave est rongé par les doutes qui jalonnent désormais sa vie. Son diagnostic, pour commencer: «Pendant l’hospitalisation, on m’a dit schizophrène avec tendance paranoïaque. Mais j’ai l’impression d’être bipolaire, j’ai des phases de hauts et de bas, qui durent des mois. C’est ça, être bipolaire?» Mais aussi son avenir professionnel: «Je me demande si je vais un jour pouvoir retravailler. Ça me tracasse. À 45 ans, je ne suis plus maître de ma vie, je dépends d’allocations sociales.»

 

Arnaud l’écoute activement. Le conseille doucement. «Vous savez, il y a plein d’autres manières qu’un emploi rémunéré de prendre sa vie en main: un hobby, le sport, du bénévolat…» Mais impossible pour Gustave de se projeter. Il évoque le regret d’être rentré chez lui après son hospitalisation, alors que l’hôpital lui avait suggéré à l’époque qu’il rejoigne une IHP (initiative d’habitation protégée), une forme d’hébergement alternative et complémentaire à l’hôpital psychiatrique. «Au moins je vivrais dans un endroit propre. J’ai beaucoup de mal à vivre seul chez moi.»

Maintenir à domicile, oui, mais que faire lorsque les personnes sont à ce point isolées, démunies, que celui-ci devient une forteresse? «L’écueil, c’est que si on fait tout à domicile, les gens ne sortent plus de chez eux, confirme Arnaud, qui travaille depuis dix ans en équipe mobile. C’est pour ça qu’il est important que le psychologue ou psychiatre de référence soit à l’extérieur. La dimension purement thérapeutique se joue ailleurs qu’au sein des équipes mobiles.»

D’ailleurs très vite, Gustave se ravise: «Je dis que je voudrais aller en hospice, mais ce serait une solution de facilité. Il faut que je reste chez moi et que je me batte. Et puis j’ai été traumatisé par l’hospitalisation. On m’a attaché au lit, fait des injections.»

L’espoir d’être utiles

Forcés de constater la dégradation de l’état mental de Gustave depuis leur dernier rendez-vous, Arnaud et Gaëlle lui assurent qu’ils mettront en place un rendez-vous avec le psychiatre au plus vite. «Je suis content que vous le constatiez. Heureusement que vous êtes là, souffle Gustave, comme pour rectifier ses dires précédents. À part Pléiade, je n’ai personne à qui parler.»

Avant leur départ, le quarantenaire insiste encore sur un point qui l’obsède: le manque de propreté de son appartement. L’équipe mobile a bien introduit une demande d’aides familiales, restée sans réponse. «On va les relancer, promet Gaëlle. Je ne suis pas capable de nettoyer, mais je veux vraiment qu’il fasse propre chez moi. J’ai honte.»

Maintenir à domicile, oui, mais que faire lorsque les personnes sont à ce point isolées, démunies, que celui-ci devient une forteresse? «L’écueil, c’est que si on fait tout à domicile, les gens ne sortent plus de chez eux, confirme Arnaud, qui travaille depuis dix ans en équipe mobile. C’est pour ça qu’il est important que le psychologue ou psychiatre de référence soit à l’extérieur. La dimension purement thérapeutique se joue ailleurs qu’au sein des équipes mobiles.»

«Mais ça va encore, vous savez! On va vous prendre comme stagiaire pour que vous voyiez l’état d’autres logements où on se rend», plaisante Arnaud. «Ah bon, je pourrais être stagiaire?», rebondit aussitôt Gustave, aguiché par la première partie de la phrase.

Le quiproquo donne lieu à un échange sur la pair-aidance et les possibilités que celle-ci offre aux personnes ayant vécu une grande souffrance psychique ou sociale de s’investir auprès de personnes confrontées à une expérience similaire. Le regard de Gustave s’illumine. Se redressant sur son tabouret, il s’enquiert de la durée de la formation, des possibilités de rémunération.

Le rêve est sans doute encore un peu lointain. Mais c’est un espoir, signe que rien n’est perdu. Le genre de lueur qui, sans doute, fait tenir au quotidien les travailleuses et travailleurs des équipes mobiles. Lesquels, souligne Julie Régimont, «témoignent tous d’un sentiment d’utilité très fort».

 

 

* Ces prénoms ont été modifiés à la demande des personnes.