Le logement, maillon faible

Au volant de leur Cambio, Anouk et Perrine entament le retour vers les bureaux de Pléiade, dans le centre de Namur. Sur le temps de midi, elles y retrouvent leurs collègues pour une courte réunion avec l’un des deux psychiatres de l’équipe, l’occasion de faire le point sur les patients suivis et les nouvelles demandes.

On y parle de ce patient dépressif qui manifeste depuis peu des pensées suicidaires. D’un autre, paranoïaque, persuadé d’avoir été mis sur écoute par la police. De la mort d’un parent qui risque de «faire flamber» une patiente. Pour chaque cas, il faut trancher, déterminer la meilleure offre de soins: un rendez-vous avec le psychiatre, une réorientation vers l’équipe mobile long-terme (2B), une hospitalisation?

«Quotidiennement, on reçoit en général beaucoup de nouvelles demandes, explique Julie Régimont. En ce moment, la période est particulièrement chargée: on est à cinq, six, voire sept nouvelles demandes par jour.» «C’est chaud, confirme le Dr Bogaerts en réunion, approuvé par les hochements de tête du reste de l’équipe. Presque intenable en fait.»

Ce qui ne facilite pas le quotidien des équipes mobiles, c’est la saturation de l’offre en soins de santé mentale. Psychiatres, maisons d’accueil, psychologues, hôpitaux de jour, médecins généralistes: les listes d’attente s’allongent de partout.

Une saturation amplifiée, de l’avis de tous les travailleurs rencontrés, depuis le Covid. Mais que Didier De Riemaecker explique aussi, en partie, par «une plus grande libération de la parole sur la santé mentale», qui conduit à «l’émergence de nouvelles souffrances».

Urgences sociales

Parce qu’elles interviennent gratuitement, mais aussi parce que les problèmes de santé mentale impactent directement la vie professionnelle et donc les revenus des personnes, la précarité est une composante récurrente dans le travail des équipes mobiles.

Comme pour Aurélie ce matin, le logement en est souvent une manifestation. C’est aussi le cas pour Monique*. Sur les hauteurs de Profondeville, le long d’une grande chaussée, cette petite dame d’une cinquantaine d’années ouvre la porte de son appartement au binôme de l’équipe mobile venu lui rendre visite cet après-midi. D’emblée, elle s’excuse pour sa diction, la bouche déformée par une opération des dents subie quelques jours plus tôt. Et puis, enchaîne-t-elle, les choses ne vont pas fort en ce moment. Elle s’est récemment vu notifier par son propriétaire le non-renouvellement de son bail, qui arrive à échéance dans un mois. La faute, selon elle, à une voisine qui aurait «dénoncé [son] alcoolisme».

Pour cette raison peut-être – sans doute aussi parce que ses enfants ont récemment coupé les ponts – Monique a arrêté de boire. Seule, sans encadrement ni traitement. «Vous savez que c’est dangereux ce que vous avez fait là?», s’inquiète Tiffany. Monique, perplexe, écoute l’infirmière lui expliquer que le sevrage de l’alcool est l’un des plus risqués, potentiellement mortel. Il peut causer des tremblements («Ah oui, j’ai ça, oui»), voire des crises d’épilepsie. «La phase critique, c’est la première semaine. Ici, ça fait quinze jours, vous avez passé le seuil. Mais c’est important de continuer à bien vous hydrater.»

Pas assez d’hébergement spécialisé

Assise dans son canapé, ses deux petits caniches sautillant autour d’elle, Monique hoche la tête, le regard fixe et triste. «Votre sac à dos, il s’use là», l’alerte de manière imagée Anouk, la psychologue. «Oui, il est trop lourd.» «Non seulement il est trop lourd, mais il n’est pas assez outillé. Il faut consolider cet arrêt de la consommation, sinon vous allez reprendre.»

Dans le cadre du suivi de crise que réalisent les équipes mobiles 2A, les urgences sociales se superposent bien souvent aux enjeux de santé mentale. Entre la nécessité de trouver un nouveau logement et celle de consolider son abstinence au sein d’un service résidentiel, Monique semble dépassée.

La question du logement reste un maillon faible dans le secteur de la santé mentale. «Il y a énormément de composantes à la réforme ‘Psy 107’, qui est mise en œuvre étape par étape (la création des psys de 1re ligne, des HIC…). Là où il y a encore un vrai manque, d’après les retours de mes partenaires, c’est au niveau des moyens pour créer des structures d’habitations protégées. Mais cela dépend des Régions», souligne le coordinateur du Réseau Santé Namur, Didier De Riemaecker.

Conséquence de ce manque d’offre d’hébergements spécialisés en santé mentale: certains patients sont maintenus en hôpital psychiatrique pour leur éviter de finir à la rue à leur sortie. «C’est un problème depuis des années: on occupe des lits psychiatriques censés être dédiés à du soin, mais pour des enjeux plutôt sociaux, de logement.»