Jeudi midi, nouvelle réunion de mi-journée à Pléiade. Sauf que celle-ci a lieu un étage plus bas, au sein de l’équipe mobile 2B, chargée des suivis à plus long terme.
On évoque le cas de ce patient, la quarantaine, né d’une maman dépendante et sevré à la naissance, aujourd’hui hospitalisé pour un sevrage. Il y a aussi cette patiente alcoolique qui «se laisse vraiment aller», refuse de rejoindre une institution et «risque tout simplement de mourir». Et puis, il y a ce SMS envoyé par un usager à la psychologue qui devait passer chez lui cet après-midi: «Je me réveille d’un lendemain de cuite. Impossible de vous accueillir. Peut-on reporter notre rendez-vous?»
La problématique des assuétudes irrigue une grande partie des cas que rencontrent les équipes mobiles. Le rendez-vous de cet après-midi, auquel se rend Sophie (exceptionnellement seule), ne fait pas exception.
Laurence* et Stéphanie* vivent à Jambes. Leur histoire d’amour a commencé lors de leur séjour au Beau Vallon pour un sevrage. Les deux femmes au parcours de vie cabossé, marqué par l’addiction, se trouvent et ne se quittent plus. À leur sortie de l’hôpital, Laurence propose à Stéphanie, alors sans logement, de s’installer chez elle. Mais progressivement l’équilibre se rompt. L’état de Laurence périclite. Les cures à l’hôpital se succèdent. La dernière en date remonte à novembre et n’aura donné lieu qu’à un mois de sobriété à domicile. À chaque rechute, sa santé et celle de son couple en prennent un coup.
«En un mois de suivi par notre équipe, la dégradation a été très rapide», glisse Sophie, éducatrice de formation, sur le seuil de leur porte.
Une situation qui «colle» parfaitement aux critères de suivi des équipes 2B, qui se consacrent uniquement aux cas chroniques (souvent après une hospitalisation, pour des trajectoires de santé mentale déjà longues) et complexes (lorsque plusieurs sphères de la vie sont touchées), sans limites dans le temps.
Épuisement des ressources
Enfoncée dans son canapé en cuir noir, le teint gris et les yeux cernés, Laurence est comme la figure centrale d’un tableau dépeignant son mal-être. À sa droite, une grande boîte blanche remplie de médicaments. À sa gauche, une urne contenant les cendres du chat qui vient de mourir. De part et d’autre du divan, deux déambulateurs.
Sophie s’appuie sur la confiance tissée pour se permettre un ton plus directif, genre «amour vache», dans l’espoir de faire prendre conscience à Laurence de sa dérive, en dépit du réseau de soins qui l’entoure, en dépit de Stéphanie.

«Êtes-vous seulement capable de réfléchir de façon bienveillante pour vous-même?», la questionne-t-elle. «C’est quoi ça?», demande Laurence, visiblement interloquée, la voix étouffée par une vilaine toux. «Vous mettez dans l’impuissance les gens qui sont là pour vous aider. Je sais que ce n’est pas agréable à entendre, mais vous êtes en train d’épuiser vos ressources: médicales, familiales, amicales…»
Laurence marmonne tant bien que mal quelques réponses. On voit que cela lui coûte. Alors Stéphanie explique à sa place, en ne dissimulant rien des soins quotidiens qu’elle prodigue à sa compagne, des cris et insultes de celle-ci lorsque l’alcool l’intoxique, de l’épuisement qu’elle commence à ressentir… Impuissante, Laurence s’en remet à sa prochaine hospitalisation, prévue dans trois semaines.
L’alcool, premier diagnostic
Au sein des hôpitaux psychiatriques, l’abus d’alcool représente le premier diagnostic (16%), juste avant la dépression (15%) et les troubles psychotiques (14%)1, bien que les diagnostics soient rarement uniques.
Intimement liés, les secteurs des assuétudes et de la santé mentale dépendent pourtant de niveaux de pouvoir distincts en matière de financement: régional pour le premier, fédéral et régional pour le second. «Certains partenaires disent qu’il ne faut pas les mélanger parce que ce sont deux problématiques distinctes, note Didier De Riemaecker. D’autres, et je suis plutôt de leur avis, disent au contraire qu’il est extrêmement rare que les deux ne soient pas liés. C’est pour cela qu’on collabore de façon très étroite.»
Au sein des hôpitaux psychiatriques, l’abus d’alcool représente le premier diagnostic (16%), juste avant la dépression (15%) et les troubles psychotiques (14%), bien que les diagnostics soient rarement uniques.
Ainsi, chaque comité de pilotage des réseaux SSM est invité par le SPF Santé publique à convier, lors de ses réunions mensuelles, un représentant du secteur assuétudes. «On a aussi mis en place, depuis huit ans environ, un travail d’articulation inter-réseaux. À Namur, notre réseau, le réseau enfants-adolescents (Kirikou), le réseau assuétudes (Rasanam) et la plateforme en santé mentale sont invités à se rassembler pour discuter d’éléments qu’ils ont en commun, pour initier des collaborations…», détaille encore le coordinateur du Réseau Santé Namur.
De son côté, Sophie remarque que «les problèmes de dépendance sont souvent des symptômes de troubles psychiatriques: le fait de consommer vient mettre le couvercle sur quelque chose qui dysfonctionne au niveau psychique. Et par ailleurs, la consommation de substances toxiques a des conséquences sur le psychique».
Récemment, le médecin de Laurence a d’ailleurs émis l’hypothèse d’une démence précoce. Car non seulement l’abus d’alcool détruit les neurones, «mais à chaque sevrage aussi on en perd», souligne Sophie. Stéphanie a bien remarqué que sa compagne «remplit son déambulateur d’affaires, fourre des billes dans les manches de sa veste…». «Elle ‘fait ses paquets’ comme on dit, acquiesce Sophie. C’est un signe de démence.»