Des refuges pour jeunes LGBT: une priorité?

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Du sofa à la rue: le sans-abrisme caché des LGBT

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Les guerrières d’Yser

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Vers un secteur social-santé « LGBTQIA+ friendly » ?

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Le retour du placard

Cela bouge vite et fort pour les sans-abri LGBTQIA+. Les pouvoirs publics multiplient les places dans les refuges ou logements dédiés. Mais sur le terrain, on s’interroge. Faut-il mettre en concurrence les publics précarisés et les jeunes LGBT sont-ils davantage vulnérables que les autres? La question fait débat.

En décembre 2020, la secrétaire d’État à l’Égalité des chances, Sarah Schlitz (Écolo), a dégagé un budget de 945.000 euros pour créer 25 places dans les refuges qui accueillent des jeunes LGBTQIA+, à la rue en raison de leur orientation sexuelle. Quinze nouvelles places ont été attribuées au Refuge, le premier centre bruxellois d’hébergement d’urgence pour sans-abri LGBTQIA+, ouvert en mai 2018. À Bruxelles encore, la Ville a reçu, fin 2021, un subside régional de 206.000 euros pour aménager des logements en refuges pour les personnes sans abri issues de la communauté LGBT. À Liège, le refuge pour jeunes LGBT créé par la fondation Ihsane Jarfi en 2019 est désormais subventionné par la FWB et la Région wallonne, et reçoit la collaboration du CPAS de Liège.

C’est clair: les pouvoirs publics se mobilisent pour la communauté LGBTQIA+. Cyril Baijot, coordinateur du Refuge Ihsane Jarfi, utilise le mot très imagé d’«effervescence» dans les médias et chez les décideurs politiques. La communauté LGBT, ajoute-t-il, est «une communauté engagée qui trouve des relais auprès des pouvoirs publics». On constate, selon lui, la même mobilisation dans les services sociaux (comme les SAJ) qui veulent former leurs travailleurs à cette problématique. Pour le moment, dans les écoles de formation sociale, il y a peu de demandes en ce sens, constate le coordinateur, y compris de la part des étudiants.

En décembre 2020, la secrétaire d’État à l’Égalité des chances, Sarah Schlitz (Écolo), a dégagé un budget de 945.000 euros pour créer 25 places dans les refuges qui accueillent des jeunes LGBTQIA+, à la rue en raison de leur orientation sexuelle.

Quels sont les problèmes et les attentes sur le terrain? Là, l’effervescence retombe un peu. Et des questions se posent. Peu de jeunes LGBT hébergés vivaient auparavant dans la rue, que ce soit à Liège comme à Bruxelles. «Nous avons hébergé une vingtaine de jeunes depuis 2019, explique Cyril Baijot. En général, ce sont des jeunes qui quittent le foyer familial, mais trouvent directement une solution d’hébergement chez des amis d’abord. On a eu quelques jeunes avec un profil plus ‘SDF’, mais c’est à peine 10% de notre public. Les jeunes que nous hébergeons sont surtout en demande d’informations administratives pour pouvoir se lancer, vivre seuls.» Ces jeunes n’auraient-ils pas pu être accueillis dans les refuges «traditionnels»? «Certains sont passés par là. Pour les jeunes homosexuels, ça ne pose pas de problème, mais les jeunes transgenres ont peur des problèmes de discriminations.»

Le calvaire des demandeurs d’asile transgenres

Au CADAL, le premier et seul centre destiné aux demandeurs d’asile LGBTQIA+, on fait une analyse assez semblable. Ce centre bruxellois, créé par Le Refuge et inauguré en décembre 2021, offre 12 places, toutes occupées. Ce qui n’est guère étonnant vu la crise de l’accueil des demandeurs d’asile. «Ceux qui ont passé quelques nuits dehors ne l’ont pas fait pour des raisons de discrimination», reconnaît Mahamed Robleh Bourale, coordinateur du CADAL. Pour lui, le CADAL est nécessaire vu la vulnérabilité particulière de certains demandeurs d’asile LGBT. «Les centres Fedasil sont un peu paumés quand il s’agit d’assurer la sécurité des personnes LGBT, surtout si celles-ci sont transgenres ou si elles sont un peu efféminées de manière très visible. C’est le problème des chambres collectives. Fedasil regroupe dans les chambres des personnes de la même origine pour faciliter les contacts. En soi, c’est positif, mais, pour les transgenres ou les gays, c’est le calvaire. C’est toujours la communauté d’origine qui persécute le plus. Nous essayons de sécuriser les plus vulnérables et la collaboration avec les travailleurs de Fedasil se passe bien. Ce qui n’est pas le cas de l’administration qui ‘règle’ le problème en transférant les personnes LGBT dans d’autres centres jusqu’à ce qu’elles finissent par partir elles-mêmes et se retrouver dans la rue.» Fedasil dispose bien d’appartements individuels, mais «en nombre ridicule par rapport à la demande et ils sont surtout réservés aux femmes victimes de violences conjugales».

«Fedasil regroupe dans les chambres des personnes de la même origine pour faciliter les contacts. En soi, c’est positif, mais pour les transgenres ou les gays, c’est le calvaire. C’est toujours la communauté d’origine qui persécute le plus.» Mahamed Robleh Bourale, coordinateur du CADAL

Comment se passe l’accueil des transgenres sans abri dans les structures d’hébergement? Dimitri Missotten a travaillé comme infirmier pendant dix ans dans une maison d’accueil pour sans-abri en région liégeoise. Il a connu l’expérience d’accompagner un sans-abri en pleine transformation de genre dans un refuge pour hommes. «Cette personne avait des attributs extérieurs féminins. On s’est demandé s’il fallait la traiter différemment, lui assurer une protection particulière par rapport aux autres. Une maison d’accueil, c’est un peu comme une prison. Les hommes qui sont là, cela fait longtemps qu’ils n’ont plus eu de relation avec une femme. Comme travailleurs sociaux, nous nous sommes posé beaucoup de questions pratiques et déontologiques. On a accepté son hébergement parce que dans cette maison d’accueil, il n’y avait que des chambres individuelles avec des douches dont la porte pouvait être fermée à clé. Donc la question de la sécurité et de l’intimité ne se posait pas trop.»

«On a surestimé les problèmes»

À Namur, la maison d’accueil «Les Trois Portes» a vécu une expérience similaire. Cette fois, la personne transgenre est passée d’un refuge pour hommes à une maison d’accueil pour femmes et enfants parce qu’officiellement, au niveau de l’état civil, elle était devenue une femme même si son processus de transformation hormonale n’était pas terminé. «Elle avait de la poitrine, des cheveux longs, se maquillait, mais avait toujours une pomme d’Adam, de la barbe et une voix grave», se souvient Stéphanie Darmont, assistante sociale aux «Trois Portes». «C’est la première fois que nous étions confrontés à cette situation et on s’est demandé si on allait pouvoir accueillir cette personne dans une maison où il y avait des enfants. Les autres femmes allaient-elles réagir correctement? N’allait-elle pas subir des regards, des paroles blessantes?» La personne a d’abord été accueillie dans un des appartements supervisés que gèrent Les Trois Portes, mais inévitablement, il a fallu l’intégrer aux activités quotidiennes de la maison d’accueil.

 

«Les personnes qui sont gays, lesbiennes, bi gèrent mieux leur identité de genre en 2022 que celles qui sont en changement de genre. Pour elles, la vie de sans-abri peut être très compliquée, mais ces personnes-là, j’en ai croisé cinq ou six sur 15 ans. Par contre, des personnes âgées, des personnes ayant un handicap mental, j’en ai croisé des milliers. Par rapport à la volonté politique d’ouvrir des endroits pour les seules personnes LGBT, le rapport est complètement disproportionné.» Dimitri Missotten, travailleur social

Et «les choses se sont très bien passées. Nous avions totalement surestimé les difficultés et les réactions négatives». Sans doute aussi parce que l’hébergée transgenre a pris l’initiative de «vider son sac», d’expliquer sa démarche auprès des autres résidentes qui l’ont écoutée avec bienveillance et sans jugement de valeur. Le plus difficile, explique Stéphanie Darmont, c’étaient les déplacements à Bruxelles en train: «Je l’accompagnais dans ses démarches médicales. Nous devions encaisser les regards méprisants, voire assassins des voyageurs, des jeunes notamment.» Pour l’assistante sociale, cet accompagnement a été bénéfique aussi pour l’équipe de la maison d’accueil. «Il faut se sentir capable de bousculer nos pratiques, nos valeurs. Et, comme travailleurs sociaux, connaître ses limites. On ne peut pas tout à fait accueillir une personne transgenre comme une autre si on ne se sent pas capable de le faire, car cela peut être lourd psychologiquement, pour tout le monde.» Pour autant, l’assistante sociale de Namur ne voit pas la nécessité de créer des maisons d’accueil spécifiques pour les personnes LGBT. Ni pour d’autres «catégories» de sans-abri. «C’est comme pour les femmes victimes de violences conjugales. Faut-il des refuges qui leur soient réservés? Une personne victime de violence conjugale est certes une victime, mais elle est aussi autre chose, une femme avant tout.»

D’abord du logement pour tous

Pour pratiquement tous nos interlocuteurs, il y a quelque chose de malsain à mettre en concurrence les publics vulnérables dans l’offre d’hébergement et d’accompagnement. Aude Gijsssels est coordinatrice du projet Housing First au Samusocial de Bruxelles. Le Samusocial a développé, avec le Refuge et la Ville de Bruxelles, un projet Housing First «LGBTQI». «On avait déjà un projet Housing First pour les jeunes de 18 à 25 ans, un public qui passe trop souvent à la trappe dans les projets Housing First, dit-elle. Les jeunes ont des adresses de référence, mais ne vont pas nécessairement dans les centres d’hébergement.» Aude Gijssels explique que l’élargissement au public LGBT est surtout une opportunité pour le Samusocial de bénéficier de davantage de logements. «On a rentré ce projet avec le Refuge qui travaille sur cette problématique. Qui pour moi n’en est pas une, ajoute-t-elle. Je trouve dérangeant qu’on fasse des projets de plus en plus spécifiques. Pour les femmes, pour les LGBT… Et l’homme lambda reste à la rue? Je plaide vraiment pour qu’il y ait du logement pour tous. Les jeunes LGBT ne sont pas plus vulnérables et précarisés que les autres jeunes que nous accueillons. Et ils sont très minoritaires. Sur 20 jeunes pris en charge par notre projet, il y en a deux qui se présentent avec le profil LGBT.»

Cyril Baijot et Mahamed Robleh Bourale reconnaissent qu’il y a un débat au sein de la communauté LGBT entre ceux qui prônent l’inclusion dans les structures existantes et ceux qui défendent un hébergement séparé. «Nous travaillons avec des jeunes qui ont, à un moment de leur vie, vécu de l’homophobie ou de la transphobie, explique Cyril Baijot. Ce sont des jeunes avant tout. Réduire leur identité à leur orientation sexuelle, je trouve que ça déshumanise la personne.»

«On a rentré ce projet avec Le Refuge qui travaille sur cette problématique. Qui pour moi n’en est pas une, ajoute-t-elle. Je trouve dérangeant qu’on fasse des projets de plus en plus spécifiques. Pour les femmes, pour les LGBT… Et l’homme lambda reste à la rue? Je plaide vraiment pour qu’il y ait du logement pour tous.» Aude Gijssels, projet Housing First au Samusocial

Dimitri Missoten est plus catégorique. Il estime que la demande de structures adaptées aux LGBT vient surtout de certaines associations. «On peut concevoir des structures adaptées pour ceux qui en ont besoin, mais alors comme pour bien d’autres publics. Je pense aux personnes âgées qui vivent à la rue à 70, 80 ans. C’est une véritable honte. Ou à tous les sans-abri qui ont un handicap mental, ou un problème de santé mentale. Ils méritent aussi d’avoir ‘leurs’ refuges. Les personnes qui sont gays, lesbiennes, bi gèrent mieux leur identité de genre en 2022 que celles qui sont en changement de genre. Pour elles, la vie de sans-abri peut être très compliquée, mais ces personnes-là, j’en ai croisé cinq ou six sur 15 ans. Par contre, des personnes âgées, des personnes ayant un handicap mental, j’en ai croisé des milliers. Par rapport à la volonté politique d’ouvrir des endroits pour les seules personnes LGBT, le rapport est complètement disproportionné», conclut Dimitri Missoten qui reproche au monde politique d’être déconnecté de la réalité de terrain. «Il faut une réflexion globale sur l’hébergement des personnes en grande précarité et écouter les travailleurs sociaux et les maisons d’accueil.»

Inclusion ou accueil différencié? «Nous avons quitté ce genre de débat, explique prudemment Mahamed Robleh Bourale pour le CADAL. Nous faisons des formations à l’intention des centres collectifs pour améliorer la prise en charge des personnes LGBT et pour que le personnel comprenne les difficultés de ces personnes.»

«Rassembler les sans-abri LGBT dans des structures spécifiques ne va pas faire progresser l’inclusion des personnes différentes dans la société, estime Stéphanie Darmont pour Les Trois Portes. Je ne dis pas qu’il ne faut rien faire, mais il n’y a pas assez de maisons d’accueil pour tous les publics vulnérables. Je pense que, nous, dans nos structures, nous pouvons faire un accueil différencié sans faire pour autant un accueil spécifique.»