Presque un an plus tôt, le 14 octobre 2022, dans les murs de la bien nommée « Poissonnerie » – occupation temporaire du nord de Bruxelles –, Autrement Dit fête ses cinq ans. Autrement Dit est l’un des douze SASE bruxellois, services d’accompagnement socio-éducatif agréés par l’Aide à la jeunesse. Mais aussi «un petit ovni dans le paysage de l’aide à la jeunesse » (écrivions-nous dans nos pages en septembre 2021), avide de défis et de projets pas toujours dans les clous portés à bout de bras par une petite équipe. Elle réalise des accompagnements de famille et des «mises en autonomie ». Cette mesure, dont décide le Service de la protection de la jeunesse (SPJ) ou le tribunal de la jeunesse, selon qu’elle est consentie ou contrainte, consiste à accompagner un jeune à partir de 16 ans qui quitte une
institution d’hébergement de l’Aide à la jeunesse ou sa famille pour « prendre son autonomie ». «MEA», trois lettres pour désigner une recherche de logement compliquée – dans un parc locatif bruxellois de plus en plus inaccessible – et une trajectoire d’émancipation jalonnée de difficultés familiales, administratives et personnelles dont plusieurs jeunes ce soir-là témoignent. Parmi elles, Anna, Alexandra et Nansé. Elles ne s’étaient jamais croisées dans les bureaux d’Autrement Dit. Même intervenante sociale, des jeunesses pas banales et leur parcours de «mise en autonomie» marqué par une expérience commune : le Chicon.
Faire goûter l’aventure océanique et l’expérience de la voile
Chicon, un nom de légume né du hasard dans une cave bruxelloise, donné à un voilier sis aux îles Canaries, à bord duquel elles ont navigué pendant une semaine avec Autrement Dit lors d’un séjour «Palan». Une appellation bien marine celle-ci désignant un mécanisme de multiplication de force permettant de soulever des poids plus facilement, utile pour border les voiles par exemple. «L’histoire du Palan commence à peu près en même temps que celle de Chicon Pleine Mer, une association qu’on a créée fin 2016 après un voyage d’un an avec des copains au début de la trentaine. On a gardé le bateau, et on l’a posé aux Canaries, avec l’envie de proposer des séjours en mer et de faire découvrir la voile – un loisir assez onéreux – à des prix abordables. Il nous semblait aussi important de faire un projet avec des jeunes. Nous-mêmes, on avait pratiqué la voile plus jeunes dans un petit club qui proposait cela. Avec eux, on avait fait une sortie avec des jeunes du CPAS de Bruxelles. Et l’envie nous est venue de faire ça à notre sauce. Nos deux premiers projets ont été faits à l’été 2017. On a commencé fort avec des jeunes qui sortaient d’IPPJ », explique Benjamin Thys, cofondateur de l’association et aujourd’hui skipper du Chicon. Chicon Pleine Mer organise ces séjours avec différents types de partenaires bruxellois (SASE, AMO – Action en milieu ouvert, maisons de jeunes, etc.), dont Autrement Dit à plusieurs reprises.
«On avait envie de faire goûter l’aventure océanique et l’expérience de la voile à des jeunes ‘défavorisés’ comme on dit, mais on n’y connaissait rien aux rouages de l’Aide à la jeunesse quand on a commencé le Palan. Aujourd’hui, après avoir emmené plus de 50 jeunes en mer, ce qui fait plus ou moins 400 jours en mer, on devient assez crédible », complète Thomas Lambrechts, cofondateur de l’association, quant à lui basé à Bruxelles, qui accompagne régulièrement les semaines «Palan». Évoquer le Chicon donne aux trois jeunes femmes l’envie de repartir. Leur intervenante sociale, Marie Huguet, entend la conversation. «Je leur ai glissé : ‘Ce soir, vous êtes en train de rêver autour d’un verre, mais les filles, vous tenez une idée en or, repensez-y demain!’», se rappelle-t-elle aujourd’hui. Quelques semaines après cette soirée, elles frappent à la porte d’Autrement Dit et de Chicon Pleine Mer avec une demande, une proposition… un rêve : s’engager dans le Palan pour «faire la même chose, mais autrement ». «On leur a proposé de venir passer une semaine sur Chicon pour y réfléchir et voir si la voile leur plaisait toujours», explique Thomas.