Voilà plus de quatre heures que la séance du conseil communal de Liège a commencé en ce lundi 19 février 2024. Quatre heures que les élu(e)s débattent de ce qui fait la plupart du temps la vie d’une commune, ces «petits» sujets qui dans les travées de l’assemblée prennent parfois des allures d’affaires d’État: le déménagement de la caserne de pompiers à la pointe d’Outremeuse, la reconnaissance du marché de la Batte comme chef-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel, la présentation du projet de territoire de la Ville de Liège… Les minutes s’égrènent, le temps se dilate, les corps s’affaissent dans une ambiance feutrée que les conseiller(ère)s et échevin(e)s agrémentent d’interventions déroulées posément, les yeux rivés sur l’écran de leur ordinateur. Lorsque l’on aborde le point 99, dédié à la mise à disposition d’un attaché pour la Fondation Tadam, on se dit pourtant que la fin de journée risque d’être un peu plus agitée que prévu.
La Fondation Tadam, c’est cette structure qui a pris en charge la destinée de la fameuse «SCMR», la Salle de consommation à moindre risque que la Ville de Liège a mise sur pied en 2018. L’objectif de la SCMR est simple: mettre à la disposition des usagers précaires de drogue un endroit sécurisé leur permettant de consommer de l’héroïne et de la cocaïne autre part qu’en rue, tout en bénéficiant d’un accompagnement social et sanitaire. Inspirée de projets mis en place un peu partout en Europe, mais aussi au Canada et en Australie depuis les années 80, la SCMR est censée n’avoir que des avantages. Réduction des risques pour les usagers. Et gains pour la Ville de Liège et le quartier où la salle s’est implantée (dans l’hypercentre, près de la place Saint-Lambert et de la cathédrale Saint-Paul), qui verraient les «scènes» de consommation de drogue en pleine rue, la criminalité et le sentiment d’insécurité qui en découle diminuer en flèche.
La Fondation Tadam, c’est cette structure qui a pris en charge la destinée de la fameuse «SCMR», la Salle de consommation à moindre risque que la Ville de Liège a mise sur pied en 2018.
Mais, depuis plusieurs mois, la SCMR de Liège est sur la sellette. À la rentrée 2023, un rapport de recherche confié au département de criminologie de l’Université de Liège a effectué un bilan mitigé des objectifs «sécuritaires» de la salle, concluant ses 109 pages par deux phrases qui ont fait le tour des médias: «Les données existantes ne permettent pas […] de conclure à un impact globalement positif (de la salle, NDLR) sur les court et moyen termes, en matière de réduction des nuisances ou encore de criminalité dans les lieux concentrant des phénomènes liés à l’usage de substances. À l’inverse, les données analysées ne permettent pas non plus de conclure à un impact négatif […]»
L’objectif de la SCMR est simple: mettre à la disposition des usagers précaires de drogue un endroit sécurisé leur permettant de consommer de l’héroïne et de la cocaïne autre part qu’en rue, tout en bénéficiant d’un accompagnement social et sanitaire.
Le problème avec ce genre de formulations ambiguës, à la saveur aigre-douce, réside dans le fait que chacun peut y déceler ce qui sied le mieux à son goût du moment. Et ce 19 février, le MR liégeois a décidé de souligner l’âpreté que lui laissent en bouche les conclusions de l’ULiège, quitte à y rajouter une bonne dose de vinaigre. Après avoir dressé un portrait cataclysmique de la Cité ardente, dans les rues de laquelle «les toxicomanes ont partout le champ libre, s’injectant partout n’importe quand leurs produits sur l’espace public» et où «la situation ne fait que s’aggraver», la conseillère communale Audrey Neuprez charge la SCMR. «On ne sort visiblement personne de la rue grâce à cette salle de consommation; on observe au contraire une extension des zones de consommation du centre-ville vers tous les quartiers», assène-t-elle. Avant de conclure: «Six ans après son ouverture, ne faudrait-il pas reconnaître qu’elle entretient, voire amplifie la problématique de la toxicomanie? La fermer ne ferait-il pas partie de la solution? Le politique ne devrait-il pas admettre humblement que c’est un échec?»
Voilà donc la salle accusée d’amplifier une partie des phénomènes qu’elle est censée tacler. L’attaque est violente, surtout si l’on veut bien considérer que le MR a soutenu la création de la SCMR et que le parti est à la tête de la Ville en coalition avec le PS de Willy Demeyer, le bourgmestre de Liège, souvent présenté comme le «papa» du projet. À quelques mois des élections communales, son «bébé» est-il donc menacé?