Par Sang-Sang Wu – Photographies de Pierre Vanneste
«Le travail n’est pas moins important, il est simplement différent, reprend l’éducatrice. Ici, on doit composer avec leurs envies, leurs besoins, leurs horaires et leur propre organisation. Ils sont bien plus indépendants qu’en SRA: ils cuisinent eux-mêmes tous les soirs, ils nettoient leurs toilettes, etc. Pour l’instant, une des difficultés principales est la gestion de l’argent. Ils ont du mal à en évaluer la valeur. Il y a un petit portefeuille commun, qui appartient aux quatre habitants, destiné aux achats alimentaires de dernière minute. Mais, parfois, certains dépensent plus que leur part, en allant chercher systématiquement à manger à l’extérieur alors que les placards et le frigo sont remplis. On travaille là-dessus.»
Carol-Ann et ses collègues essaient de tendre au maximum vers l’autodétermination des habitants. Ils ne veulent pas décider à leur place, mais bien se mettre au diapason de leurs besoins et envies. C’est pourquoi il est important qu’ils les formulent eux-mêmes. «Les parents oublient parfois que ce sont des logements supervisés, admet l’éducatrice. Certains ont tendance à interférer dans ce qu’on propose et dans ce qu’on tente de mettre en place. Régulièrement, on reçoit des mails de parents avec des demandes spécifiques. Mais nous, on veut que ça émane du bénéficiaire et que cela soit formulé par lui-même. Là-dessus, c’est parfois compliqué. Après, de manière générale, on a beaucoup de reconnaissance par rapport à notre travail et à l’évolution de leurs enfants. Ils sont conscients que le risque zéro n’existe pas et que les erreurs font partie du processus. Il y a peu, une maman nous a demandé d’accompagner son enfant à une activité qui se déroule à Louvain-la-Neuve et qui finit à 22 heures. Mais, à cette heure-là, il n’y a plus d’éducateur, et cette demande n’entre pas dans la philosophie du SLS.»
La personne handicapée n’est pas vue ici comme un enfant à surveiller. Elle doit être actrice de sa vie et le moteur des changements qu’elle veut effectuer pour elle-même. C’est pourquoi l’équipe éducative est davantage là pour les stimuler et les aider à aller puiser dans leurs ressources personnelles. Accompagner en responsabilisant, dans un cadre sécurisant pour toutes et tous, en somme.
Carol-Ann explique aussi comment elle gère les effusions d’affection et de tendresse de ses protégés. Le respect des limites est fondamental. «La juste distance dans la mise en relation est très importante: si on ne s’y prend pas dès le début, on peut se faire ‘manger’ par certaines personnes qui ont un comportement intrusif et invasif à notre égard. Par contre, il faut être suffisamment proche d’eux, car s’il n’y a pas de mise en relation ou de confiance, il n’y aura pas de projet. Cela dépend vraiment de chaque personne, ils ont des besoins d’attention qui sont différents. Je ne dis pas que je ne fais jamais de câlins, mais je m’adapte à leur passif. Par exemple, Marie a un énorme besoin d’attention alors que Quentin n’en a pas. Si un jour j’arrive et qu’il me saute dessus et m’agrippe, je ne réagirai pas de la même manière qu’avec Marie, car je sais pourquoi elle a besoin de le faire. On s’adapte à eux, et eux s’adaptent à nous.»