Faire école et faire maison  

« Ici, je suis tout seul. Le dimanche, je reste dans ma chambre. Je n’ai pas de famille en Belgique. Je ne connais personne. Je n’arrive pas à contacter ma maman en Afghanistan. J’ai peur pour elle. Chaque nuit, je pense à elle. »

Farid, 16 ans  

 

Durant l’année scolaire 2022-2023, 33 jeunes (23 garçons et 10 filles) de 12 à 20 ans ont poussé la porte de Tchaï. Il s’agit de Mena (mineurs étrangers non accompagnés), d’ados vivant en famille ou placés par les services de l’Aide à la Jeunesse. Parmi les pays d’origine, on retrouve principalement la Syrie, la Slovaquie, la Roumanie et l’Afghanistan. 

 

À côté des cours d’alphabétisation, des activités collectives sont proposées. Ainsi, les ateliers artistiques, manuels et sportifs sont vus comme une autre manière d’entrer dans les apprentissages. « Ils contribuent aussi chez les jeunes à la reprise de confiance en eux et en leurs compétences. Ce sont de nouveaux moyens pour s’exprimer et jouer un rôle positif. Ils participent également à la libération de leur imaginaire, de leur créativité et au développement de leur personnalité », soulignent les cofondateurs. Être ensemble et s’activer autour d’un projet commun, c’est aussi soigner, d’une certaine manière. L’an dernier, ils ont notamment suivi une initiation au rap, au cirque, à l’électricité, au macramé, aux percussions brésiliennes. Ils ont aussi découvert le hockey, le théâtre d’ombres et la menuiserie, et ont réalisé une fresque murale, entre autres activités. 

 

Mais au-delà de ces moments intra-muros, Tchaï tient à « donner accès à la société » via l’organisation de sorties récréatives. « C’est à la fois penser à ce qui peut les intéresser ou ce qui peut leur faire du bien, tout en anticipant ce qui va leur être accessible et compréhensible. Ces sorties sont importantes car elles permettent de vivre une nouvelle expérience de manière positive et dans un cadre sécurisé. »  

 

Tous les jours où elle est ouverte, l’association offre un repas chaud à midi. Car Tchaï, c’est bien plus qu’un lieu où on apprend à lire et à compter. « C’est comme à la maison : ils doivent s’y sentir comme chez eux, insiste Gary. On a à cœur de répondre aux besoins de base. S’ils ne sont pas comblés, on ne peut pas faire et penser à autre chose. » 

 

Ici, la préparation et le partage du dîner sont autant d’occasion de travailler le vivre-ensemble. Quand un jeune n’est pas disposé à se mettre au travail pendant les ateliers d’alphabétisation, il peut être salutaire de lui proposer de passer en cuisine. « C’est une manière d’être en mouvement et de collaborer à une réalisation qui sera source de valorisation par les autres, affirme Pernelle. À travers la cuisine, de nombreux sujets émergent informellement et la parole se libère. Si ces ateliers sont évidemment une opportunité pratique de travailler les compétences langagières, psychomotrices et mathématiques, ils constituent surtout des instants relationnels privilégiés où, en coupant les légumes, la parole est accueillie avec soin. Par la répétition des actes d’épluchage ou de découpage, ces ateliers de cuisine se révèlent aussi parfois comme des moments d’apaisement. »  

 

Mais c’est également un défi quotidien, tant les enjeux sont nombreux et plus complexes qu’il n’y paraît. « Avec chaque jeune, un processus de mise en confiance est en jeu. Plus le jeune est dans une situation précaire et instable, plus ce processus sera long », poursuit Pernelle. Selon la cofondatrice du projet, de nombreux aspects culturels entrent d’abord en considération dans cette difficulté à manger avec l’autre qui appartient à une autre culture. « La manière de servir le repas, de le consommer et de le partager diffère autant de fois qu’il y a de jeunes. Les craintes peuvent aussi prendre racine dans la précarité où manger n’est pas forcément un acte organisé et encore moins sécurisé. Aller faire des courses, préparer un repas et s’asseoir avec d’autres autour d’une table pour manger sont des réalités auxquelles certaines jeunes n’ont pas accès. Manger avec les autres à Tchaï peut dans ce cas provoquer un sentiment de grand désarroi. Ce manger-ensemble, qui peut paraître anodin dans un autre contexte, est donc un moment précieux, l’aboutissement d’un exercice parfois très long de mise en confiance et en sécurité avec chaque jeune. »  

 

« Le lien que l’on crée lors des moments informels avec les jeunes, c’est extrêmement important car sans le vouloir, on fait aussi du thérapeutique », acquiesce Joula.