Remplir leur sac à dos

« Cette année, je vais travailler Madame, parce que j’ai envie de faire comme Charles. J’ai vu que lui, il travaille bien à Tchaï et maintenant, il a un travail. Je veux la même chose. L’année passée, j’avais trop de problèmes dans ma tête. »

Piotr, 16 ans 

 

Si l’association poursuit l’accompagnement après l’âge fatidique de 18 ans, et aussi longtemps que nécessaire, un des axes majeurs de son action est la mise en projet. Cela peut s’articuler autour des démarches vers l’obtention d’un titre de séjour, l’accès aux droits sociaux, une prise en charge médicale en santé mentale, la mise en autonomie et la recherche d’un logement, la formation professionnelle, la formation adulte en alphabétisation, les possibilités de mise à l’emploi ou encore l’affiliation à d’autres structures de loisir et de socialisation. 

 

« Tchaï est comme un parachute pour ces jeunes. Quand ils ont assez évolué chez nous et qu’on les sent prêts à aller vers autre chose, on essaie de les faire atterrir ailleurs, assure Pernelle. Nous leur proposons des découvertes métiers ou des moments d’immersion au cœur d’organismes de formation, de bénévolat, d’entreprises ou d’autres services d’accompagnement spécifique, en fonction de ce qui est possible et de ce qui fait sens pour eux. Notre objectif est de remplir leur sac à dos avec des expériences positives pour les aider à continuer la suite de leur vie. » 

 

Parfois, la mise en projet proposée n’a pas de sens pour le jeune et il faut l’accepter. Un cas de figure illustré par l’histoire de Fatima, une jeune mère de 17 ans. « À l’instar de nombreuses filles de sa communauté, elle n’envisage pas sa vie en dehors de son foyer. Nous respectons sa perception de sa destinée car nous la savons lourde d’enjeux communautaires et d’imaginaires. Nous nous concentrons alors sur la scolarisation de sa fille. »  

 

Dans d’autres situations, le jeune est motivé mais il n’est pas prêt. « On a eu le cas d’un garçon qui voulait suivre une formation, mais le cours ne ressemblait pas à ce qu’il avait imaginé, l’école était grande et il y avait beaucoup d’élèves. Il fallait écouter le professeur, respecter les consignes, apprendre à lire un plan. De nombreuses choses étaient difficiles à comprendre et en plus, il s’est rendu compte qu’il ne serait pas payé. Tout ça, c’était trop pour lui et il n’est pas parvenu à terminer la journée à l’atelier de l’école. Il a toutefois pu confronter son imaginaire du travail à la réalité de la formation », se remémore Gary. 

 

Lucide et réaliste, l’équipe de Tchaï sait que la clé est d’agir par étapes et qu’il faut parfois des mois, voire des années, pour aboutir à une réussite, aussi minime soit-elle. Ses fondateurs ne véhiculent pas de mythe autour de l’hyper compétence de leurs jeunes. « On admet qu’ils ont peu de compétences car ils ont été peu stimulés et ont eu des parcours de vie très difficiles. Mais ils peuvent quand même apporter quelque chose et avoir leur place dans la société. Et elle, elle doit accepter qu’elle est la première responsable de cette désaffiliation et faire l’effort de s’adapter au mode de fonctionnement qu’ils ont dû développer pour pouvoir survivre. » 

 

Quatre déménagements en cinq ans  

 

Tchaï fait du plaidoyer et de la sensibilisation auprès des institutions, mais le défi reste énorme tant la méconnaissance des particularités de ce public est grande. « On tente de voir laquelle voudra s’adapter à ses spécificités. C’est très difficile et c’est là qu’on fait l’expérience des portes fermées et des échecs. On se rend compte que la société a du mal avec l’analphabétisme des jeunes. On a par exemple accompagné un jeune qui voulait suivre une formation en mécanique vélo et qui avait déjà une expérience dans ce domaine. Le hic, c’est qu’il ne parlait pas assez bien le français et n’a donc pas été accepté. Pourtant, il s’est beaucoup investi. Nous, on a défendu l’idée que c’est par le travail qu’il allait apprendre la langue. Mais rien n’y a fait », regrettent les cofondateurs. 

 

Pour mener à bien les missions qu’elle s’est fixée, Tchaï bénéficie certes de moyens financiers, mais dont la stabilité n’est pas garantie. « 80% de nos finances restent provisoires et dépendantes du bon-vouloir et des possibilités budgétaires du politique, ainsi que des appels à projet ponctuels. Les accords nous sont parfois communiqués très tardivement et nos projections se limitent à six mois, ce qui fragilise grandement notre équipe. » Outre les subsides publics, elle reçoit des donations de fondations et peut compter sur le soutien de nombreux partenaires du monde associatif. Faute de stabilité, la toute jeune ASBL a connu quatre déménagements en à peine cinq ans. 

 

Faisant face à des besoins grandissants, l’association, reconnue comme projet pilote par la Fédération Wallonie-Bruxelles jusque fin 2025, croule sous les demandes et a établi une liste d’attente. « Au départ, tous les acteurs de terrain nous disaient qu’il était inconcevable de faire autre chose que l’école pour ces jeunes en obligation scolaire. Un autre grand défi a été de faire reconnaître l’existence de ce public par le politique. Aujourd’hui, nous constatons que les situations de souffrance et de marginalité sont de plus en plus importantes. » 

 

Telle une ancre dans un océan d’incertitudes, Tchaï s’attelle à offrir une accroche à ces ados qui peinent à garder la tête hors de l’eau. 

 


Les voix de Tchaï est un podcast réalisé par Comme un lundi. Ecoutez les voix de Tchaï qui vous conteront leur quartier, leurs rêves et leurs souvenirs, en cliquant ici.