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WhatsApp à l’école: qui a eu cette idée folle?

C’est la rentrée, et chaque année, à pareille période, bien au-delà du déroulement de la journée de votre enfant, un autre sujet s’invite désormais en classe: le groupe WhatsApp. Ces groupes de parents, censés être créés pour fluidifier l’information entre l’école, les enseignants et les familles, n’échappent pourtant pas aux travers des réseaux sociaux.

(c) Helar Lukats

En ce jour de réunion de parents, assis sur votre chaise – enfin celle occupée par votre enfant en classe, l’institutrice répète son laïus. «On compte sur vous. On a besoin d’un ou deux parents relais qui s’occuperont de transmettre les communications importantes…»

Déjà le silence s’installe alors qu’il n’y a pas trois minutes, les questions fusaient pour savoir quels fruits apporter le mardi, ou s’il était possible d’apporter du gâteau au chocolat les jours d’anniversaire. Là, rien. Le temps semble s’arrêter. Les secondes défilent. Bien trop lentement à votre goût, cela va s’en dire. Soudain, une voix s’élève. Elle émerge comme des profondeurs. «Moi, je veux bien…» Vous respirez, reprenez votre souffle. Cette année encore, vous ne serez pas parent relais. Pas cette fois. Pas encore.

C’est que vous connaissez trop les affres de ces messageries de groupe, en plaignant ces parents qui acceptent pendant une année de jouer aux Casques bleus. Depuis plusieurs années, elles fleurissent dans les écoles. Ce sont des parents d’une même classe, souvent en maternelle et en primaire, parfois dans le secondaire, qui sont conviés à rejoindre ce genre de groupes. Un seul message, et tous les parents sont touchés, sans risque de perdre l’info qui pourrait s’égarer dans le journal de classe de l’enfant. Le phénomène a pris toute son ampleur au gré des confinements successifs, au moment où les familles, assignées à résidence, ont été obligées de recourir à WhatsApp pour garder le contact avec l’école et l’enseignant. Un outil très utile, donc.

C’est que vous connaissez trop les affres de ces messageries de groupe, en plaignant ces parents qui acceptent pendant une année de jouer aux Casques bleus. Depuis plusieurs années, elles fleurissent dans les écoles. Ce sont des parents d’une même classe, souvent en maternelle et en primaire, parfois dans le secondaire, qui sont conviés à rejoindre ce genre de groupes.

L’an dernier, la machine s’est enrayée pourtant dans la classe d’un de mes enfants. C’était le 13 février. Il était 19 h 24. Quand j’ai reçu ce message: «Bonjour à tous! Êtes-vous au courant que dans la classe de nos enfants existe un rat???» Trois secondes plus tard. Un autre parent, un autre message: «Ma fille m’en a parlé hier, mais je pensais que c’était une blague. Ça ne me rassure pas du tout…»

Puis un autre encore. «Honnêtement, j’ai peur pour les enfants, car les rats sont porteurs de beaucoup de maladies.» Tout allait vite s’embraser. Au final, après des dizaines de notifications, vous répondiez sobrement: «Nous n’étions pas au courant.» Le lendemain, on apprendra qu’il n’en était rien. Pas de rat. Après réaction officielle de l’institutrice, de la direction, de l’association des parents, pas de rat en classe ni à l’école. Pourtant, le mal était fait et la communication école-famille une nouvelle fois bien malmenée…

Une sorte de défouloir

Un cas parmi d’autres, car, depuis quelques années, les groupes WhatsApp de parents d’élèves sont devenus parfois une «plaie» dans l’organisation de la communication entre enseignants et parents. Cette «plaie», Frédéric l’a portée avec une double casquette, celle de parent d’une petite fille en primaire et de professeur de mathématiques dans une école liégeoise.

À chaque école, ses règles évidemment. La plupart privilégient un groupe officiel où seul le parent relais transmet les infos essentielles, fournies par l’établissement scolaire ou l’enseignant, sans possibilité d’intervention de la part des autres parents. Mais cela n’empêche pas d’autres groupes de se constituer, «avec du bon et du moins bon», admet Frédéric (1) qui a modéré l’un de ces groupes, en plus du groupe officiel. «Ces autres groupes officieux sont très utiles si ton enfant a oublié son devoir à l’école, par exemple. C’est aussi un bon moyen pour soutenir l’enseignant lors de sorties ou pour s’entraider entre parents. C’est plutôt de la logistique, au fond. Mais cela peut vite dégénérer si le cadre n’est pas clair entre le parent relais et les autres membres du groupe.»

Comme l’indique une étude de l’UFAPEC, l’Union francophone des associations de parents de l’enseignement catholique, «dans le cas d’un groupe WhatsApp qui rassemble exclusivement des parents, une des dérives les plus importantes sera que le groupe devienne une sorte de défouloir de certains parents à l’encontre des pratiques pédagogiques de l’enseignant(e), de l’organisation de l’école, du réfectoire, de la surveillance des cours de récréation…»(2).

À chaque école, ses règles évidemment. La plupart privilégient un groupe officiel où seul le parent relais transmet les infos essentielles, fournies par l’établissement scolaire ou l’enseignant, sans possibilité d’intervention de la part des autres parents.

Un jour, dans le groupe officieux formé par Frédéric, la discussion a dérapé justement au sujet d’une enseignante et de ses disponibilités pour la réunion de parents de fin d’année. «Un père s’est plaint des horaires proposés par l’institutrice qui avait proposé des rendez-vous du lundi au jeudi parce qu’elle travaille en ⅘», raconte Frédéric. Il montre sur son téléphone la réponse du père: «Elle a au moins quatre mois de congés par an ça ne va pas la tuer de venir une fois un vendredi.» Sous le message, une dizaine de réactions d’approbation par smiley d’autres parents. «Sans prendre part au débat parce que beaucoup de parents savent que je suis moi-même prof, j’ai rappelé les règles qui avaient été fixées et acceptées par tous en lançant ce groupe. On ne s’attaque pas aux enseignants, à l’école, même pour faire une blague.» Et le père d’ajouter: «Les parents qui s’en prennent aux profs, qui écrivent les pires horreurs sur les enseignants sur ce type de groupe, ce sont les mêmes qui t’offrent des pralines avec un grand sourire en fin d’année…»

Cette année, Frédéric a décidé de ne pas jouer le rôle de modérateur du groupe WhatsApp. «Cela prend un temps dingue, on est sollicité à toute heure du jour, parfois la nuit ou le week-end, et je ne suis pas certain que cela rende la communication plus sereine entre l’école et les parents. Cela renforce surtout la pression sur certains parents qui se sentent le besoin de tout savoir sur leurs enfants, à tout moment, à tout bout de champ, mais aussi sur l’école qui, si elle ne répond pas instantanément, donne l’impression qu’elle cache quelque chose.»

Communication de crise

Parisa, elle, a décidé de rempiler. Cette mère de famille, maman d’un jeune garçon en primaire dans une école bruxelloise, a pris goût à la gestion de ces groupes. Même quand il peut y avoir des débordements. «J’ai été avocate en Iran. J’ai l’habitude des situations compliquées, plaisante-t-elle. Plus sérieusement, il faut sans cesse rappeler les règles et les limites de ce type de groupe, même quand il est informel. Il est là pour faciliter la circulation d’informations entre l’école et la famille, pas pour devenir une cour de récréation.»

Mais parfois la circulation peut connaître quelques ratés. Un jour, à la dernière minute, Parisa apprend que, dans le cadre de la visite médicale, la vaccination RRO (rubéole-rougeole-oreillons) sera faite aux enfants dont les parents avaient marqué leur accord. Le temps de transmettre l’info, le groupe de parents se déchaîne. «D’abord parce que l’information a été transmise avec retard par l’école, soit le jour même. Ce qui n’est pas l’idéal, admet la mère de famille. Mais aussi parce que beaucoup de parents ne se souvenaient plus d’avoir donné leur accord. Et là, on ne peut rien faire…»

Face à cette situation, Parisa appelle l’école pour en savoir plus et donner le maximum d’infos aux parents inquiets. «Cela concernait six enfants en tout, mais tous les parents s’inquiétaient… pour rien! Heureusement qu’on ne doit pas gérer des situations comme celle-là tous les jours, sans quoi ce serait un métier à plein temps. Mais cela reflète bien, même dans un contexte de surcommunication, la gestion délicate de la communication entre l’école et les parents.»

Comme l’indique une étude de l’UFAPEC, «dans le cas d’un groupe WhatsApp qui rassemble exclusivement des parents, une des dérives les plus importantes sera que le groupe devienne une sorte de défouloir de certains parents à l’encontre des pratiques pédagogiques de l’enseignant(e), de l’organisation de l’école, du réfectoire, de la surveillance des cours de récréation…».

Le jour même, la maman-relais rappelait qu’elle n’était pas responsable des infos officielles transmises aux parents et qu’elle allait se tourner vers l’école pour rappeler l’importance de la transmission d’information aux parents-relais pour éviter ce genre de situation.

«En espérant que cela marche mieux, cette année», ajoute Parisa. Et de conclure: «En tant que parent-relais, en tant que source d’information directe et accessible, on est justement là pour trouver le juste milieu. C’est la raison pour laquelle je crois à ce mode de communication…»

 

(1) Les prénoms des parents ont été modifiés à leur demande.

(2) Les groupes WhatsApp de parents: un plus pour le partenariat école-familles?, juillet 2023, UFAPEC
https://www.ufapec.be/nos-analyses/0723-grp-whats-app-parents.html

 

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste (social, justice)

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