La politique fédérale des grandes villes passera-t-elle le cap du 31 décembre 2008 ? Telle est la question que se posent les villes wallonnes directementconcernées : Charleroi, La Louvière, Liège, Mons et Seraing. Avec l’appui de l’UVCW (Union des villes et des communes de Wallonie)1, elles interpellent le premierministre, Yves Leterme, afin que cette politique soit reconduite en 2009. Et déjà, on voit se profiler le spectre de la régionalisation…
On se rappellera que la politique fédérale des grandes villes (PGV) est née en 2000, à l’initiative de Charles Picqué, fort de son expérience au traversdu PRD (Plan régional de développement) et des contrats de quartier. La PGV vise, en particulier, à restaurer la cohésion sociale dans les quartiers en difficultédes grandes villes belges par des contrats de ville et des contrats logement.
Le dernier programme de cette politique portait sur la période 2005-2007 (quelque 200 millions d’euros). Les négociations gouvernementales étant au point mort àla fin 2007, les contrats grandes villes ont été prolongés pour un an. Ces avenants pour l’année 2008 ont été approuvés par le conseil desministres… le 22 juillet 2008.
Dans l’intervalle, il y a eu cette revendication du CD&V à la Chambre, le 22 janvier dernier, lors de la discussion du rapport de la Cour des comptes sur les contrats 2005-2007. Ladéputée Mia De Schamphelaere clôturait son intervention de façon on ne peut plus claire : « Nous demandons la régionalisation de la politique des grandesvilles et des flux financiers. » Il n’y a donc rien d’étonnant de retrouver dans l’accord de gouvernement fédéral du 11 mars 2008 pour la législature 2007-2011une ouverture à la régionalisation : « L’exécution des contrats grandes villes sera assurée, le cas échéant par leur transfert auxRégions avec les moyens actuels. »
Dans sa note de politique générale du 10 avril, la ministre fédérale en charge de cette politique, Marie Arena (PS), ne se prononce pas sur l’avenir du programme, si cen’est pour dire qu’une évaluation portera sur les contrats 2005-20082. Le 22 avril, suite à une question parlementaire, elle évoquait la nouvelle programmation2009-2012, qui devait tenir compte de cette évaluation. Le 17 juin, elle reçoit sur ce thème l’AVCB (Association de la Ville et des communes de la Région deBruxelles-Capitale), l’UVCW et la VVSG (Vereniging van Vlaamse Steden en Gemeenten). À cette occasion, un communiqué de l’AVCB3 rappelle que la régionalisationest « au menu des discussions gouvernementales » et que « la ministre a plaidé pour que cette matière reste fédérale, étant entenduque si elle l’était, elle entendrait maintenir les axes de la politique actuelle et la concentration des moyens sur un nombre limité d’entités souffrant deproblèmes de pauvreté, mais à caractère réellement urbain ».
De quoi s’agit-il ?
Pour rappel, les contrats de ville ont pour objectif l’amélioration de la qualité de la vie dans les quartiers fragilisés. Les moyens d’action pour y parvenir sont : ledéveloppement intégré des quartiers, le redéveloppement d’une économie locale et d’emplois durables de proximité, la cohésion sociale dans lesquartiers, l’amélioration de la qualité de la vie et de l’environnement ainsi qu’une meilleure offre de logements. Quinze villes et communes belges sont concernées par lesContrats de ville :
• pour la Région de Bruxelles-Capitale : Anderlecht, Bruxelles-Ville, Forest, Molenbeek, Saint-Gilles, Saint-Josse-ten-Noode et Schaerbeek – il s’agit des sept villes et communesdont les quartiers bénéficient du programme européen Objectif 2 ;
• pour la Région flamande : Anvers, Gand et Ostende ;
• pour la Région wallonne : Charleroi, La Louvière, Liège, Mons et Seraing.
Depuis 2005, des contrats logement sont venus s’ajouter aux contrats de ville. Ils touchent dix-sept villes et communes : les quinze ci-dessus ainsi que Malines et Saint-Nicolas. Les axes detravail des contrats logement sont : l’augmentation d’une offre locative de qualité, adaptée aux besoins actuels et futurs des habitants, l’accès à lapropriété pour les ménages à faibles ou moyens revenus ainsi que pour les jeunes, le renforcement de la lutte contre les logements abandonnés,l’insalubrité et les marchands de sommeil, ou encore la mise sur pied d’actions transversales de réinsertion par le logement.
Dans le cadre de cette politique, de nombreux projets visant à assurer la cohésion sociale ont été mis sur pied et du personnel a été engagé– dont bon nombre dans une optique de réinsertion (article 60). D’où les inquiétudes des grandes villes wallonnes : à Charleroi, 84 agents sontconcernés ; à Liège, ils sont 98 ; à La Louvière, 32 ; à Mons, 45 et à Seraing, on parle d’une trentaine d’emplois. Outre la disparitionde certains projets de proximité, tous ces emplois sont menacés. Quelques communes ont déjà délivré des préavis conservatoires. Et pas qu’enRégion wallonne.
Le plan de Marie Arena
Face à cette urgence, la ministre Marie Arena4 vient de déposer une note d’une trentaine de pages au gouvernement fédéral. Cette note reprend unrésumé de l’évaluation de la Cour des comptes et de la toute récente évaluation réalisée par l’UCL et l’Erasmushogeschool Brussel. Elle insistesur l’urgence de la situation et présente des perspectives pour l’avenir. En résumé, 2009 sera une année de transition.
Au cabinet, on nous précise que, dans tous les cas, il y a urgence à exécuter la loi – qui est encore fédérale – tant pour consolider les emplois quepour permettre à certains projets d’être finalisés. De plus, l’accord gouvernemental prévoit « l’exécution des contrats grandes villes ». Lanote insiste sur le fait qu’en 2009, les moyens doivent être maintenus au même niveau et demande au gouvernement de libérer ce montant pour assurer la transition. Cetteannée sera aussi consacrée à la réalisation d’un nouveau modèle de gouvernance pour la Politique fédérale des grandes villes, où serontreprésentés tous les niveaux de pouvoir concernés. Concrètement, la ministre compte lancer un plan d’action national grandes villes, dans lequel seront définies lespriorités et les responsabilités de chaque niveau de pouvoir (fédéral et entités fédérées). Une chose est sûre : au cabinet Arena, on nesouhaite pas régionaliser cette politique…
Et si on régionalise quand même ?
Il n’em
pêche qu’au sein des grandes villes wallonnes, on s’inquiète que la politique des grandes villes soit régionalisée… sans moyens. Aux dires del’UVCW, les grandes villes flamandes ne semblent pas preneuses d’une régionalisation. Mais si l’on prend le temps de comparer les politiques urbainesrégionales5, force est de constater que la Région wallonne semble – à première vue – moins bien préparée à cetteéventualité que ses deux consœurs.
Ainsi, on sait que la Région bruxelloise a mis en place différents outils régionaux de politique de la ville :
– le PRD qui est un « plan d’orientation stratégique qui fixe les objectifs et les priorités de développement de la Région ». Il a pour objectifs premiers demaintenir ou de ramener les habitants en ville et d’améliorer le développement économique et l’emploi ;
– les contrats de quartier, qui constituent les moteurs de la revitalisation urbaine dans les quartiers en difficulté, situés pour l’essentiel dans la zone Objectif 2. Les actionsconcernant le logement, les espaces publics et la vie sociale ;
– le Contrat pour l’économie et l’emploi (C2E) ;
– un Atlas des quartiers qui reprend un inventaire cartographié des réalisations physiques menées dans le cadre des politiques de rénovation urbaine et unmonitoring des quartiers « conçu comme un outil, régulièrement actualisé, permettant de suivre et de comprendre l’évolution des quartiers bruxelloissous leurs diverses facettes (démographie, social, santé, économie, logement, immobilier, cadre de vie, accessibilité, etc.) en vue d’améliorer l’efficience despolitiques urbaines, via la définition d’un espace d’interventions publiques et privées privilégiées » ;
– et, plus récemment, le Plan de développement international (PDI) qui vise à positionner Bruxelles sur le plan international et à « renforcer l’économie etla qualité de vie au niveau local au profit de l’ensemble de la population ». Dans ce cadre, l’ancien Secrétariat régional au développement urbain (SRDU) aété transformé en Agence de développement territorial (ADT).
Pour sa part, la Région flamande focalise sa politique urbaine sur treize villes et s’est dotée de plusieurs outils :
– un livre blanc Le Siècle de la Ville (« De Eeuw van de Stad ») qui présente une vision politique de la ville sur 15-20 ans et reprend « une recherche sur lesmeilleures mesures pratiques à prendre pour une redynamisation de la ville et de la vie urbaine » ;
– un Moniteur urbain (Stadsmonitor) qui reprend deux cents indicateurs concernant la viabilité des villes et de leur position en termes de développement durable ;
– le Fonds des villes (Stedenfonds) pour 13 centres-villes et la Vlaamse Gemeenschap Commissie (VGC – Commission de la Communauté flamande à Bruxelles).Créé en 2003, il vise à soutenir les grandes villes d’Anvers et de Gand, les centres-villes d’Alost, Bruges, Hasselt, Genk, Courtrai, Louvain, Malines, Ostende,Roulers, Saint-Nicolas et Turnhout ainsi que la VGC. Le Fonds apporte un soutien financier pour « augmenter le niveau de la viabilité, tant au niveau des villes que des quartiers, luttercontre la dualisation et améliorer la qualité de la gestion administrative ».
– le soutien aux projets de rénovation urbaine pour les 13 centres-villes, les 21 villes provinciales et la VCG à Bruxelles. Ces projets ont pour objectif de revitaliser un quartier,d’augmenter la qualité de vie et d’avoir un impact positif pour le domaine public et pour le domaine privé.
– les contrats de ville flamands visent les treize centres-villes et ont pour objectifs une meilleure collaboration entre les administrations et un service plus orienté vers le client.
– des actions de soutien à la participation citoyenne en vue d’améliorer la cohabitation sur le plan de la diversité/mixité des populations.
Enfin, la Région wallonne dispose comme outils de politique urbaine :
– des opérations de rénovation urbaine, qui visent non seulement la réhabilitation de logements, mais aussi de l’environnement de ceux-ci (le cadre de vie, ledéveloppement économique, la cohésion sociale et l’action culturelle) ;
– des opérations de revitalisation urbaine, depuis la fin des années ’90, qui impliquent le secteur privé et complètent les opérations de rénovation envisant « à l’intérieur d’un périmètre défini, l’amélioration et le développement intégré de l’habitat, ence compris les fonctions de commerce et de service » ;
– la création de zones d’initiatives privilégiées (ZIP), qui concernent des quartiers dégradés ;
– le décret de remembrement urbain, lequel prévoit « la possibilité de création de périmètres dans lesquels des projets urbanistiques d’envergurepourront être réalisés au moyen d’une procédure allégée ».
Les critiques de la Cour des comptes
Début 2008, la Cour des comptes édite un rapport spécifique relatif aux contrats de ville et aux contrats logement 2005-2007, qui tourne àl’évaluation6. Dans celui-ci, la Cour déclare que si les « projets financés par les villes et les communes à l’aide de subsidesfédéraux correspondent presque toujours aux objectifs de la politique des grandes villes », il subsiste des problèmes.
Au rang de ceux-ci, la Cour déplore que les Régions et associations de villes et communes aient été ignorées alors qu’elles mènent aussi des politiquesurbaines, que les critères de sélection de projets ne soient pas définis, ainsi que le manque de transparence dans la sélection des villes et communes et larépartition des moyens. Dès lors, souligne-t-elle, « les moyens n’ont pas toujours été accordés aux villes et aux communes qui en avaient le plusbesoin, au regard des objectifs de la politique des grandes villes. »
La Cour des comptes se montre également circonspecte par rapport aux contrats logement censés favoriser l’accès au logement des revenus les plus faibles. Selon elle, rien negarantit que ce soit le cas. Elle insiste sur la nécessité de prendre en considération des effets secondaires de la politique menée (ex. : effets négatifs de lagentrification qui évincent les revenus faibles des quartiers revitalisés).
Comparaison n’est pas raison, mais…
Au vu des trois types de politiques menées, il apparaît clairement que Bruxelles et la Flandre ont mis en place une politique de la ville au niveau régional. En effet, laRégion bruxelloise confie non seulement, depuis plusieurs années, sa politique de la ville au SRDU (ADT en 2009) mais elle s’est aussi dotée de plans pour son devenirurbain ainsi que
d’outils de mesure et de suivi de ses politiques urbaines, tel l’Atlas des quartiers. Côté flamand, le constat est le même : qu’il s’agissedu Fonds des villes, du livre blanc ou du Moniteur urbain. La Région wallonne, quant à elle, si elle n’en est pas nulle part, ne dispose pas encore de ces outils-là. Ellesemble par ailleurs de plus en plus avoir des velléités de se doter d’une véritable politique de la ville, comme en témoignent les récents travauxmenés par la Conférence permanente du développement territorial (CPDT) de la Région wallonne7 ainsi que la mise sur pied de la première rencontrePlate-forme ville en mai 20088. Parmi les objectifs de cette plate-forme, la CPDT veut mettre autour de la table les différents services régionaux (Aménagement duterritoire, Logement, Cohésion sociale, Pouvoirs locaux, mais aussi l’Économie et la Mobilité) ainsi que les villes importantes de la Région, afin de favoriserl’échange d’expériences ou encore d’ « alimenter l’équipe « Expertise-ville » de la CPDT et le gouvernement wallon avec les problèmes soulevéspar les villes ».
Si la régionalisation de la politique de la ville est de l’ordre de l’hypothèse dans l’accord fédéral, il semble bel et bien, néanmoins, quel’on s’y prépare de plus en plus au sein des Régions. Même en Wallonie.
1. UVCW:
– adresse : rue de l’Étoile, 14 à 5000 Namur
– tél. : 081 24 06 11
– courriel général : commune@uvcw.be
– site : www.uvcw.be
2. Outre le « programme politique des grandes villes » qui reprend les Contrats de ville et les Contrats logement, la note de politique générale « Grandes Villes» fait également état d’un accord de coopération à mettre en œuvre entre le Fédéral et les entités fédéréespour un développement urbain intégré au niveau national. Elle aborde également la pérennisation de la politique des sanctions administratives communales (la loi« SAC ») et le développement d’une expertise urbaine via le développement des savoirs, l’échange d’expériences et la capitalisation desconnaissances.
3. AVCB :
– rue d’Arlon 53, bte 4, 6e étage à 1040 Bruxelles
– tél. : 02 238 51 40
– site : www.avcb-vsgb.be
4. Cabinet de Marie Arena :
– adresse : rue Ernest Blérot, 1 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 238 28 11.
5. Site : www.politiquedesgrandesvilles.be. Rubrique : « Quefaisons-nous ? – Contexte – Politique urbaine belge ».
6. Cour des comptes :
– adresse : rue de la Régence, 2 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 551 81 11
– site : www.courdescomptes.be
7. Notes de recherches. Politique de la ville. Analyse du rapport de la Cour des comptes sur la politique fédérale des grandes villes, J. Teller et Th. Chevau, CPDT, juillet2008.
8. Site : http://cpdt.wallonie.be/