Militant de longue date de l’aide aux réfugiés, Yves Caelen vient de succéder à Mario Gotto à la tête du Ciré1, la Coordination et initiativespour étrangers et réfugiés. Installé depuis le premier décembre 2001 dans les bureaux bruxellois de l’association, le jeune Liégeois a à peineeu le temps de se familiariser avec son nouveau poste que déjà les élections législatives pointent leur nez avec l’inévitable travail de lobby quil’accompagne. L’occasion de faire le point avec lui sur les projets déjà mis en œuvre et les nouvelles orientations en cours.
1. L’état des lieux
Alter Échos – Vous êtes arrivé à un moment difficile pour le Ciré…
Yves Caelen – Oui. Mario Gotto souhaitait pour des raisons de santé quitter son poste de directeur et s’investir dans d’autres initiatives. Le personnel quant à lui avait dumal à digérer l’absorption du service d’interprétariat, autrefois asbl indépendante, dans le Ciré. Il faut savoir que le Ciré a connu uneexpansion sans précédent ces dernières années, les interprètes représentent 20 personnes supplémentaires, le budget du Ciré a triplé endeux ans et nous avons dû embaucher 20 personnes sous contrat « articles 60 » pour notre exposition « Un voyage pas comme les autres ». Ces changements ne se font pas sans mal mais la situation estaujourd’hui en passe de se résoudre, nous avons maintenant une délégation syndicale au sein de la structure, cela facilite le dialogue.
AE – À peine arrivé, vous voilà déjà au travail pour alimenter le cahier de revendications pour les législatives 2003…
YC – Oui et il y a du boulot! On ne peut pas vraiment dire que le programme des législatives de 1999 ait été respecté en ce qui concerne le droit d’asile. Troisactions étaient prévues lors de l’accord gouvernemental : la régularisation, l’accélération des procédures, et l’améliorationqualitative des procédures.
En ce qui concerne la régularisation, on s’est battu pour l’avoir, on l’a eue mais cela ne s’est pas fait sans peine! Il y a toujours, plus de deux ans après,5.000 dossiers en suspens, 8.000 dont la décision n’a pas encore été communiquée aux communes parce qu’il y a un blocage à l’Office desétrangers2. En attendant, les gens doivent survivre… Et puis, une régularisation one shot, ce n’est pas suffisant, tous les jours, nous avons la preuve que le nombre declandestins s’accroît en Belgique. Et là, j’en viens aux deux autres points : certes, il y a euýraffermissement du traitement de la demande, à un point quemême la procédure n’est plus respectée, on expulse des gens toujours en phase de recours. Mais Antoine Duquesne, le ministre de l’Intérieur lui s’estimecontent : on est passé en 2001 de 40.000 demandes d’asile à 25.000, alors pourquoi, dès lors, se pencherait-on sur l’amélioration qualitative desprocédures, l’objectif est atteint, n’est-ce pas ? Ce qu’ils ne voient pas ou feignent d’ignorer, c’est que les clandestins eux se multiplient… Depuis 2001,la procédure d’asile est certes raccourcie mais sans amélioration, et encore moins de simplification de la procédure. Les droits des demandeurs d’asile ontété limités. L’un et l’autre de ces points ressortent avec évidence du « Rapport sur le fonctionnement de la procédure d’asile belge », que leCiré a publié avec d’autres coupoles en novembre 2001.
Nous plaidons pour une réédition des opérations de régularisation en tirant les leçons de celle-ci et pour l’élaboration des critèresd’application de l’article 9§3 de la loi de 1980 permettant une procédure structurelle de régularisation. Nous demandons également l’adoption d’unstatut de « protection complémentaire » à la convention de Genève. Il est déjà en vigueur dans 12 pays sur 15 dans l’Union européenne. Il s’agitd’une protection temporaire ou définitive pour des déplacés de guerre ou des personnes qui ressortissent d’autres conventions qu’à celles deGenève. Notre cahier de revendications devrait être prêt pour septembre 2002.
AE – Pour l’immédiat, vous avez jeté le gant?
YC – Non pas du tout. L’arrêté « Conka » du 5 février 2002 de la Cour européenne des droits de l’homme qui condamne la Belgique dans l’affaire del’expulsion collective des Tziganes de Slovaquie nous a permis d’ouvrir des brèches et nous allons nous y engouffrer avec l’appui des trois vice-premières ministres :Onkelinx, Durant et Alvoet. Le dossier des centres fermés devrait être rouvert sous peu, on n’arrivera sans doute pas encore à leur suppression, mais on peut au moinsespérer une certaine « humanisation » des conditions de vie dans ces centres. Nous comptons également demander la suppression des trois centres où sont placées les personnesen fin de procédure. Véritables sas vers l’expulsion, de nombreuses personnes quittant leur centre d’accueil pour les rejoindre n’y arrivent jamais et disparaissent(plus de 80%). Ils vont grossir les chiffres de clandestins non pris en compte par les autorités belges. Si je dois faire un bilan d’étape, depuis 99, les conditionsd’accueil et de procédure se sont dégradées, les mesures sont plus expéditives, les droits ne sont plus respectés. La question des migrations et del’asile en général est traitée dans notre pays de manière plus que décevante.
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Parcours d’un militant
Yves Caelen, on s’en doute, ne sort pas de nulle part, tout comme Obélix, il est tombé dans la marmite du militantisme quand il était petit. Dès son plus jeuneâge, on lui a connu un goût affirmé pour les droits de l’homme et des sans-papiers. Membre actif de la section liégeoise de la Ligue des droits de l’homme, ilentame des études de service social, effectue ses stages dans les services d’aide aux personnes déplacées et dans différents centres culturels. Il se lance ensuitedans une licence en sociologie à l’Ulg et rédige un mémoire sur la place des mouvements sociaux dans le combat pour le droit des étrangers. De 1993 à 1996, ilsera directeur du centre culturel de Jupille et poursuivra ses actions autour des réfugiés et de la lutte contre le racisme. De 1996 à 2001, il sera nommé à laVille de Liège, chef de service de la lutte contre le racisme au sein des contrats de sécurité (formation et sensibilisation interculturelle pour les différents servicescommunaux, animations scolaires en collaboration avec différents centres culturels de la région, lutte contre le racisme dans le cadre de l’Euro 2000). C’est àtravers cette fonction qu’il travaillera notam
ment avec le Ciré liégeois et s’embarquera avec Mario Gotto dans la création du Syndicat de la vie quotidienne (enveilleuse pour le moment). Apprenant que la place de directeur devenait vacante au Ciré, c’est tout naturellement, nous dit-il, qu’il s’est présenté.
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2. Les projets
AE – Outre ce combat pour l’amélioration du droit d’asile, les services d’interprétariat, de logement, d’accueil, d’aide au retour, de sensibilisation, leCiré possède un service un peu moins connu de prévention des conflits, qu’y faites-vous au juste?
YC – Vous parlez de l’Agence d’information dialogue (Adia)3? C’est vrai que c’est un aspect peu connu de nos missions. Il s’agit en fait d’une agence de pressespécialisée et temporaire créée à l’occasion du dialogue intercongolais. Son objectif est de procurer, depuis les lieux du Dialogue, à l’intention de lapopulation congolaise, une couverture informative et éducative du Dialogue à travers les principaux mass media congolais. Nous avons également mis en place depuis 1997, dans lecadre d’un partenariat avec le Comité « Droits de l’homme, maintenant », l’UPEC. C’est un centre de ressources et d’appui en communication pour l’éducation civiqueen RDC à travers les mass media. Il offre aux associations et institutions intéressées la capacité de produire des programmes audiovisuels et de les diffuser sur un grandnombre de chaînes de radio et de télévision, tant privées que publiques, sur l’ensemble du territoire de la RDC. Notre projet Adia est soutenu par la Fondationinternationale pour les systèmes électoraux (IFES)4 à travers son programme en RDC.
AE – Le Ciré a également, depuis quelques années maintenant, un programme d’aide au retour « volontaire » et à la création de petites entreprises, vous enêtes où?
YC – En pleine restructuration. Depuis février de cette année, ce programme a été rebaptisé « Migr’action ». Au départ, il visait à soutenir lespersonnes qui souhaitaient retourner dans leur pays d’origine (ou dans un pays voisin) pour y créer une petite entreprise et réintégrer leur société demanière positive en contribuant à son développement. Depuis trois ans, plus de 400 promoteurs ont bénéficié en Belgique de son appui pour se former àla gestion d’une petite entreprise et développer leur projet. Deux cents ont effectivement démarré leur petite entreprise dans leur pays d’origine où ils sontconseillés par des structures locales partenaires du Ciré5. Nous avons souhaité quelque peu changer de philosophie, c’est-à-dire qu’il s’agit toujoursd’aide au retour mais pas nécessairement pour des personnes sous le coup d’un avis d’expulsion, le programme devrait bientôt être également accessible auxpersonnes qui sont réfugiées chez nous légalement depuis de nombreuses années et qui souhaiteraient rentrer au pays. L’aspect central de l’aide se concentrerasur des microprojets de développement portés par des migrants, en cela le projet se mue plus en projet de développement que d’aide au retour.
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Bientôt un Mouvement des nouveaux migrants
Le Mouvement des nouveaux migrants6, actuellement en gestation depuis un an au sein du Ciré, vise à : « Favoriser l’auto-organisation des migrants et de leurs associations afin departiciper à l’élaboration, au fonctionnement et à l’évaluation des politiques et des mécanismes qui garantissent le droit et la dignité de tous, dans uneperspective interculturelle et solidaire. » (Définition des objectifs généraux du Mouvement adoptée par consensus lors de la réunion préparatoire àl’A.G. constitutive qui s’est tenue ce 2 mars à Bruxelles.)
Le Mouvement aura pour objet de fédérer, de soutenir les initiatives, de développer des synergies et de mettre en mouvement tous ceux et celles qui, quelles que soient leursorigines, adhèrent à une nouvelle façon de penser les migrations.
Des groupes de travail se réunissent actuellement dans ce but pour plancher sur :
> la reprécision des objectifs généraux et opérationnels du Mouvement,
> la recherche de modes d’organisation et d’action dans le champ politique belge.
Les réunions préparatoires à l’Assemblée constitutive qui se sont tenues jusqu’à ce jour ont réuni des personnes individuelles ou membres d’associationsafricaines (y compris maghrébines), russophones, latino-américaines ou iraniennes installées dans les différentes villes : Liège, Verviers, Namur, Charleroi,Bruxelles et les villes avoisinantes.
« L’idée de ce mouvement, explique Yves Caelen, est de se structurer non plus comme immigrés mais comme acteurs de la société. Ce sont des migrants quis’autofédèrent pour se défendre eux-mêmes, le Ciré n’intervient ici que comme médiateur. Leurs objectifs dépassent la demande derégularisation pour les clandestins, pour aller vers des revendications telles que la libre circulation pour les migrants entre les pays européens, la collaboration de migrants auxpolitiques de coopération, etc. Parmi la première revendication qui se fera jour : ne pas oublier la question de l’asile lors des élections de juin 2003. » Le mouvements’est d’ores et déjà fixé des statuts (le 30 mars) et devrait naître officiellement en juillet 2002.
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1 Ciré, rue du Vivier, 78-82 à 1040 Bruxelles, tél. : 02 644 17 17 ou 02 629 77 11, fax : 02 646 85 91 ou 02 629 77 33, siège d’exploitation en Wallonie : rueDarchis 10 à 4000 Liège, tél. : 04 230 13 10, fax : 04 230 13 19, courriel : cire@brutele.be ou cire@skynet.be, site : http://www.cire.be
2 La journée de la régularisation organisée par le Ciré se déroulera le 18 mai à la Tentation à Bruxelles. L’après-midi seraconsacrée aux débats sur la régularisation et la soirée, plus festive, devrait accueillir l’ensemble des acteurs de cette régularisation. Le MNRSP (Mouvementnational de régularisation des sans papiers) devrait annoncer à cette occasion son changement de nom, préférant abandonner la revendication de régularisation pourune réforme plus structurelle.
3 http://www.ic-dialogue.co.za
4 http://www.ifes.org
5 Ce programme est réalisé avec l’appui de la Direction Générale de la Coopération
Internationale (DGCI). En 2000, 150 candidats à l’aide au retour se sont présentés au CIRE pour demander de l’information, 60 ont suivi la formation et 39 ontreçu une subvention au démarrage d’entreprise.
6 Joseph ANGANDA, coordinateur, rue Darchis 10 à 4000 Liège, tél. : 04 230 13 13.
Archives
"Yves Caelen, nouveau directeur du Ciré : changements dans la continuité"
catherinem
02-04-2002
Alter Échos n° 117
catherinem
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