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Zones franches en Wallonie : détaxer ne suffit pas

Le plan Marshall wallon1 parle de créer des zones franches pour les entreprises. La méthode s’inspire largement du modèle français, qui connaît desrésultats variables, heureux et malheureux. Tout dépend des acteurs locaux.

13-09-2005 Alter Échos n° 193

Le plan Marshall wallon1 parle de créer des zones franches pour les entreprises. La méthode s’inspire largement du modèle français, qui connaît desrésultats variables, heureux et malheureux. Tout dépend des acteurs locaux.

L’axe 3 des « Actions prioritaires pour l’avenir wallon » – l’appellation officielle du plan Marshall – propose d’alléger la fiscalité sur les entreprises,afin de les inciter à s’installer en Wallonie et à y créer de l’emploi. Concrètement, « un nombre restreint de communes présentant d’importantesdifficultés socio-économiques sont déclarées zones franches ». Sur leurs territoires, une série de mesures fiscales régionales, provinciales etcommunales frappant les entreprises seront supprimées. La Région compensera les pertes pour les provinces et les communes, apaisant ainsi leurs inquiétudes.

Par ailleurs, « dans l’ensemble des zones franches, les aides à l’expansion économique pourront être maximisées, dans le respect des dispositionseuropéennes ». Les règles concurrentielles ne pourront donc être bafouées. La Région demandera au gouvernement fédéral « de soutenir ledispositif des zones franches par des mesures d’allégement fiscal relevant de ses compétences », mesures visant, par exemple, l’impôt des sociétés et lescharges sociales.

L’exemple français

La création de « zones franches » n’est pas neuve. Elle remonte au Moyen Âge, époque où les villes « franches » étaientexonérées des taxes royales. « Le principe était de protéger l’économie locale en créant des zones de détaxation, nous explique Claude Jacquier,chercheur au CNRS2. Les États-Unis ont créé le concept de zone franche industrielle dans les années 1960. La France l’a repris, d’abord dans des zonesindustrielles, avant de l’étendre aux zones urbaines dès 1996. » Les zones franches urbaines (ZFU) visent à créer de la mixité fonctionnelle dans des zonesmonofonctionnelles résidentielles, ou à créer de l’emploi dans des zones défavorisées. À l’époque, en France, on parlait aussi de « plan Marshall ».
Aux côtés des 44 premières ZFU, 41 ont été lancées en 2004. L’objectif du gouvernement français3 est de créer 100.000 emploisnouveaux d’ici 2007. Bilan pour 1997-2001, selon le gouvernement : « Le nombre d’entreprises a plus que doublé dans les quartiers en ZFU (20.000 entreprises fin 2001, dont 6.000correspondant à des créations). Par ailleurs, les emplois ont augmenté de façon significative sur ces sites passant de 25.000 préexistants à 75.000 en cinqans, avec une création de 35.000 emplois, le reste relevant de transferts d’activités. »

Détaxer ne suffit pas

Claude Jacquier attire toutefois notre attention sur le fait qu’« en 1999, sous le gouvernement de gauche de Lionel Jospin, la Cour des comptes française a remis un rapporttrès critique sur l’échec des ZFU. Mais dans les faits, il est difficile de porter des jugements. Tout dépend du territoire où est mise en oeuvre la ZFU. La mesure dedétaxation ne suffit pas. Si on ne met pas tous les acteurs autour du dispositif, cela ne donne rien. Du coup, on obtient suivant les endroits des commentaires très abrupts soulignantsimplement l’échec ou le succès de la ZFU ».
Le gouvernement français admet également que détaxer ne suffit pas. « Le succès des zones franches urbaines repose aussi sur les actions menées enparallèle par les collectivités locales : rénovation de l’habitat, création d’équipements et de services publics de qualité, amélioration desdessertes et des moyens de transports, etc. » Bref, tous les éléments utilisés dans une optique plus générale de revitalisation urbaine.

D’autres éléments indispensables à la réussite d’une ZFU ont également été pointés au travers d’un mémoire de fin d’études -« Quel bilan pour les zones franches urbaines? »4 – présenté en 2001 à l’Institut d’études politiques de Lyon.
Les succès les plus importants ont été enregistrés là où les ZFU :
• « étaient insérées dans une zone de dynamisme économique de l’agglomération » (Paris, Lyon, Lille) ;
• « étaient accompagnées d’un projet de quartier ou de ville déjà existant » (Vaulx-en-Velin) ;
• l’offre foncière disponible est suffisante ;
• la capacité d’accueil et de réponses au besoin des entreprises est efficace (ex. : guichet entreprise avec un agent affecté exclusivement au dispositif ZFU, stages deformation pour chefs d’entreprise [Vaulx-en-Velin]).

Effet d’aubaine ?

Une critique est également souvent émise par rapport aux zones franches : l’effet d’aubaine.
Un article d’ « Alternatives économiques»5 de juillet 2003 pointait le fait qu’à Marseille, la ZFU « a attiré de nombreuses entreprises, mais n’a pasréellement réussi à devenir un véritable outil de revitalisation des quartiers ». Dans le même ordre d’idées, si elle a créé des emplois,elle n’a pas résolu le problème de l’accès à l’emploi. Le nouveau dispositif ZFU devrait remédier à cela, puisque les entreprises auront pour obligation derecruter au moins un tiers de leurs salariés au sein de quartiers classés en zones urbaines sensibles, contre 20 % sous la législation précédente.

Plus récemment, dans Alter Échos n° 191, nous faisions état d’un débat en commission des Affaires économiques du Parlement bruxellois. CharlesPicqué, ministre-président, admettait que, dans certains cas, on avait assisté au doublement du nombre d’entreprises et à la création d’emplois sur l’ensemble deszones franches en France avant d’ajouter : « On a aussi constaté des effets d’aubaine dont l’analyse n’est pas tout à fait complète. Des entreprises se sontinstallées dans ces zones afin de bénéficier d’exonérations fiscales, mais sans vraiment s’intégrer dans le tissu socio-économique du quartier. Je pensenotamment aux recrutements de gens du cru, etc. »

Sceptique quant à la possibilité de créer des ZFU en région bruxelloise, il rappelait que le Contrat bruxellois pour l’économie et l’emploi prévoit lacréation de zones prioritaires pour les entreprises, où les investissements réalisés devront bénéficier à la revitalisation du quartier.

1. Cabinet du ministre-président wallon, Jean-Claude Van Cauwenberghe, rue Mazy, 25-27 à 5100 Namur -tél. : 081 33 12 11 – fax : 081 33 12 99 – courriel : vancau@gov.wallonie.be

2. Claude Jacquier, Unité mixte de recherche PACTE – Pôle « Villes et Solidarités » – Institut d’études politiques – Université Pierre Mendès France, rue deConstantine, 25 à 38100 Grenoble – tél. : + 33 (0)4 76 09 55 63 – Fax : + 33 (0)4 76 09 42 55 – courriel : claude.jacquier@upmf-grenoble.fr
3. Délégation interministérielle à la Ville, avenue du PrésidentWilson, 194 à 93217 Saint-Denis La Plaine – tél. : 01 49 17 46 46
4. Christine Barcon, « Quel bilan pour les zonesfranches urbaines? », Institut d’études politiques, avenue Berthelot, 14 à 69365 Lyon
5. « La zone franche ne tient pas ses promesses » dans Alternatives économiques, n° 216, juillet-août 2003, pp. 72-75.

Baudouin Massart

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