Mythes et réalités d'une révolution
On l'appelle la quatrième révolution industrielle et on lui prédit d'entraîner un tsunami dans son sillage. A l'instar des précédentes révolutions, elle est entourée de discours utopistes, liés à la notion d'avenir et de progrès, et de visions plus pessimistes, liées à l'angoisse de la fin du travail humain. Parviendrez-vous à démêler le vrai du faux de ce que l'on dit à son propos ?
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Vrai Faux
Le progrès impose non seulement de nouvelles possibilités pour l'avenir, mais de nouvelles restrictions.
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Vrai Faux
Moins une renaissance qu'une question de préservation
Cette (r)évolution, étroitement liée aux développements de technologies innovantes, a été comparée à la Renaissance, une période riche en découvertes et connaissances. Elle porte en elle le mythe selon lequel la technologie est synonyme de progrès. Si l'on considère la puissance annoncée de ses effets, cela nécessite pourtant d'admettre que critiquer la technologie, ce n'est pas critiquer le progrès. Dans « Technocritiques. Du refus des machines à la contestation des technosciences », l'historien François Jarrige souligne que « les acteurs ne résistent jamais à la technique en général mais contestent des dispositifs et trajectoires spécifiques ». Depuis la première révolution industrielle, observe-t-il, les critiques se sont souvent accentuées dans les moments de crise ; et elles ont souvent porté sur les enjeux de la préservation du travail, de l'environnement et du mode de vie de l'humain. Ces trois enjeux caractérisent également cette quatrième révolution.Il est hélas devenu évident aujourd'hui que notre technologie a dépassé notre humanité.
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Vrai Faux
Un savoir-faire humain au service des machines
Les technologies ne se développent pas toutes seules, bien qu'elles soient aujourd'hui capables d'apprendre en fonction des données qui les nourrissent. Leur code informatique est souvent un secret bien gardé, pour d'évidentes raisons commerciales, alors que ce code n'est pas neutre. Il est toujours la traduction d'intentions humaines, à travers une succession de choix techniques et/ou normatifs. Ces « boîtes noires » échappent à tout contrôle démocratique. Dans le monde académique notamment, plusieurs voix se sont élevées pour réclamer davantage de transparence alors que les promesses d'un algorithme sont précisément celles de l'objectivité et de la transparence. De plus, dans les laboratoires de recherche, la question n'est pas toujours celle de savoir comment la technologie va être mise au service de la société mais bien comment la société va s'y adapter. C'est ce que l'on appelle le déterminisme technologique, un concept qui reste très prégnant parmi les économistes alors qu'il a été abandonné depuis un certain temps par les sociologue, souligne Gérard Valenduc. De plus, l'adoption d'une technologie ne se réalise pas du jour au lendemain. Le chercheur rappelle que la technologie de lecture optique des codes-barres qui, bien que née au milieu des années 1980, a mis une vingtaine d'années pour s'installer dans les usages des grandes surfaces. Cette technologie, indique-t-il, elle ne pouvait être efficace qu’à condition d’être utilisée dans l'ensemble de la chaîne logistique. Il cite également l'exemple de la bande GSM mise au point en 1992... pour un décollage des utilisations du téléphone portable treize ans plus tard.La technique nous est dorénavant présentée comme la seule solution à tous nos problèmes collectifs (le chômage, la misère du tiers monde, la crise, la pollution, la menace de guerre) ou individuels (la santé, la vie familiale, et même le sens de la vie) [...] Et il s'agit bien de bluff, parce que dans ce discours l'on multiplie par cent les possibilités effectives des techniques et que l'on voile radicalement les aspects négatifs.
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Vrai Faux
Toujours des inégalités d'accès
Nous ne sommes pas égaux face au numérique mais la fracture numérique ne concerne pas tant l’égalité d’accès aux technologies que celle des compétences. Le Baromètre de la société de l’information 2017, réalisé par le SPF Economie, indique que la Belgique comptait 84% d’utilisateurs d’internet en 2016. 60,9% d’entre eux disposaient de compétences de base ou avancées. Gérard Valenduc pointait déjà, en 2009, un déficit d’égalité d’accès et à la formation pour tous malgré des dispositifs d’accompagnement et de formations aux TIC. Huit ans plus tard, il constate que la situation a progressé mais que le problème de l’accès reste le même : « plus on est formé, plus on a la possibilité d’accéder à de nouvelles formations ». En matière de formation continue, si une part plus large de salariés y accède aujourd’hui « le niveau reste fort bas ». A côté de cette première forme d’inégalité, s’ajoute celle de l’accès à l’emploi. En outre, parmi ceux qui travaillent, il y aura ceux qui gagneront leur vie correctement et les travailleurs précaires, un phénomène en partie lié à ce que l’on appelle l’ubérisation de la société. Cette récente mutation du monde du travail menace un modèle traditionnel caractérisé par ses filets de protection sociale.– Quel est votre rôle et quel est votre métier ?
– Je suis bibliothécaire, monsieur, c’est ça le métier que je fais. C’est pour cela que j’existe. Si vous pensez que cela ne sert plus à rien, libre à vous.
– C’est un passe-temps qui est en relation avec les livres, de faire le bibliothécaire.
– C’est une profession.
– C’en était une. Etant entendu qu’il n’y a plus de livre, il n’y a plus de bibliothèque, il n’y a donc plus besoin de bibliothécaire. -
Vrai Faux
Technologies ou humains hors-contrôles ?
Les technologies numériques ne sont pas à l'abri de dysfonctionnements : des biais peuvent être introduits dans n'importe quel système informatique, de manière intentionnelle ou non, et celles-ci seront alors répétées à l'envi. Une petite erreur de programmation peut entraîner de grands dysfonctionnements. Les systèmes informatisés ne sont pas davantage à l'abri de bugs, de virus ou de hacking. Toutefois, un programme informatique n'est pas figé une fois pour toutes et dans de nombreux cas, les erreurs détectées seront réparées. Un algorithme, c'est une procédure informatique destinée à résoudre un problème. Cela étant, les machines sont de plus en plus 'intelligentes' dans la mesure où elles sont capables de connecter entre elles des milliers de données et d'effectuer un choix en fonction des résultats. Mais les technologies de l'intelligence artificielle (IA), telles que le deep learning et le machine learning, peuvent aboutir à des résultats inattendus : à l'été 2017, les ingénieurs de Facebook ont été amenés à reprogrammer un robot conversationnel qui avait inventé son propre langage.Les ordinateurs de la prochaine génération seront tellement intelligents que nous aurons de la chance s'ils nous acceptent auprès d'eux comme animaux de compagnie.
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Vrai Faux
Une course contre ou avec les machines ?
Les bouleversements annoncés dans le monde du travail seront indéniablement liés aux décisions stratégiques qui seront prises dans le monde de l'entreprise avec d'un côté, les entreprises de produits ou de services qui auront eu les moyens d'investir dans des technologies de pointe pour accroître leurs efficacité et rendement et, de l'autre, celles qui resteront en dehors du train numérique. Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, chercheurs au Massachusetts Institute of Technology (MIT), considèrent que puisque la course de l’humain contre les machines est perdue d’avance, la seule alternative serait de faire des machines des alliées plutôt que des adversaires. Toutefois, le chercheur Gérard Valenduc nuance. Il faudrait plutôt voir les machines en termes de complémentarité dans la prise en charge de certaines tâches car emploi ne peut être réduit à ce seul aspect. Un emploi, c’est aussi des compétences, de l’expérience, des trajectoires de carrière, l’appartenance à un collectif de travail ou à un groupe professionnel, souligne-t-il. Mais dans tous les cas, cela implique que les entreprises se repensent sur le plan organisationnel, en remettant à plat leurs structures, processus et modèles d’affaires. Cela n'est pas sans poser la question des réponses politiques qui seront apportées pour encadrer ce phénomène et protéger les intérêts humains.La société Occidentale a accepté comme incontestable un impératif technologique aussi arbitraire que le plus primitif des tabous : non seulement le devoir d’encourager l’invention et de constamment créer des nouveautés technologiques, mais également le devoir de se soumettre inconditionnellement à ces nouveautés, simplement parce qu’elles sont offertes, sans considération aucune des conséquences humaines.
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Vrai Faux
L'emploi humain menacé
Depuis la première révolution industrielle, on constate que les machines ne sont pas seulement des outils pour les travailleurs. Elles sont aussi des travailleurs. Aujourd'hui, elles ne servent plus seulement à rentabiliser les processus d'un travail à la chaîne. Les technologies de l'intelligence artificielle rédigent des rapports pour des entreprises ou des articles journalistiques. Elles sont capables de poser un diagnostic dans un hôpital, d'examiner un dossier judiciaire, de prendre des décisions financières ou de recruter un candidat. Selon les études prospectives les plus alarmistes, à moyen terme, un emploi sur deux disparaîtrait en raison de l'automatisation ou de la robotisation. Toutefois, ces études doivent être pondérées par le fait qu'elles ne prennent en compte que la seule variable des tâches automatisables. Pour autant, les estimations les moins pessimistes ne sont pas plus rassurantes : le chercheur Gérard Valenduc explique que si les emplois les plus fortement menacés ne représentaient plus que 7%, « cela concernerait quand même environ 270.000 salariés en Belgique dans les quinze à vingt prochaines années ».La première règle de toute technologie utilisée dans une entreprise, c’est que l'automatisation appliquée à un fonctionnement efficace va amplifier l’efficacité. La seconde est que l'automatisation appliquée à une opération inefficace va magnifier l’inefficacité.
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Vrai Faux
Des métiers en pénurie depuis plusieurs années
Analyste développeur en ICT, web développeur, chef de projet informatique, développeur informatique, ingénieur logiciel, analyste fonctionnel ou ingénieur logiciel : tous ces métiers sont en pénurie depuis plusieurs années en Belgique et ils ont du mal à susciter l’engouement des candidats. L'ingénierie, les affaires et les sciences sociales en attirent bien davantage. Selon Gérard Valenduc, une explication serait à trouver dans les images plutôt répulsives véhiculées par ces métiers, à l'instar de celle du bidouilleur s'empiffrant de pizzas sur son clavier. « Il y a aussi l’idée un peu reçue du jeunisme dans le métier, selon lequel on est dépassé après l'âge de 35-40 ans. Dans certains cas, les informaticiens ont été recrutés en étant payés tellement cher quand ils sont jeunes qu'il n'y a plus de possibilité de carrière ensuite avec le maintien d'un tel niveau. Cela relève de la responsabilité des firmes informatique qui, en développant ce modèle, scient la branche sur laquelle elles sont assises ». De plus, ces métiers sont perçus comme davantage masculins et, sur les bancs de l’université, les mathématiques sont souvent assimilées à un facteur d’échec. Les clichés semblent avoir la vie dure.L’erreur des modernes sur eux-mêmes est assez facile à comprendre (..). Ils ont confondu les produits et les procédés. Ils sont cru que la production de rationalisation bureaucratique supposait des bureaucrates rationnels ; que la production de science universelle dépendait de savants universalistes ; que la production de techniques efficaces entraînait l’efficacité des ingénieurs.
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Vrai Faux
Beaucoup de promesses et quelques happy few
En 2011, la Commission européenne estimait à 40 milliards d'euros par an les retombées des politiques d'ouverture des données publiques pour l'ensemble de ses Etats membres. Pour autant, elle ne disait pas comment serait générée cette richesse. Six ans plus tard, l'open data est toujours considéré comme présentant un fort potentiel. Selon Agoria, citée par Bianca Debaets, secrétaire d’État bruxelloise en charge de l’Informatique régionale et communale et de la transition numérique, l'open data générerait 180 millions d'euros et 1.500 emplois en Région bruxelloise. Dans les faits, seulement une poignée d'entreprises belges ont organisé leur modèle d'affaires autour de l'open data. Les données personnelles que les internautes sèment au gré de leurs activités en ligne sont bien davantage génératrices de revenus. Elles profitent essentiellement aux GAFAM, ces géant américains qui les collectent et les utilisent, de manière non transparente, pour la création de « services » sur mesure comme la diffusion de publicités ciblées et de contenus personnalisés.Les données sont une chose précieuse et dureront plus longtemps que les systèmes eux-mêmes.
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Vrai Faux
Un entrepreunariat à géométrie variable
Depuis 2006 le travail indépendant est en augmentation constante en Belgique. Le nombre de faillites d'entreprises, lui, a connu, en 2017, une sensible augmentation après sept années de répit... même si l'on est resté loin du niveau de 2006. Le statut d'indépendant est à géométrie variable. Parfois, il imposé par l'employeur. Et il compte aussi sont lot de précaires : à titre d'exemple, dans un rapport publié en 2015, la coopérative SMart indiquait que seulement 16% de ses 533 journalistes alors affiliés avaient touché une rémunération brute annuelle de plus de 10.000 euros. Depuis octobre 2017, un livreur de Deliveroo est rémunéré 7,25 euros bruts par livraison, sous le statut d'indépendant. Si l'idée de lancer sa propre start-up à tout pour séduire, le contexte belge ne facilite pas le parcours qui reste celui d'un combattant, malgré un discours ambiant péchant sans doute par un trop plein d'optimisme. Réussir à attirer des investisseurs ne garantit pas forcément la réussite de l'entreprise. On se souviendra de la start-up Take Eat Easy, spécialisée dans la livraison de repas à domicile, qui a mis la clé sous le paillasson en 2016. Elle avait pourtant réussi à lever quelques 16 millions d'euros...Vous ne pouvez pas demander aux gens ce que va être la prochaine grande révolution. Henry Ford a dit un jour : « Si j'avais demandé à mes clients ce qu'ils voulaient, ils m'auraient répondu : un cheval plus rapide ».
C'est aujourd'hui que commence demain
La quatrième révolution industrielle avait été choisie comme thème de l'édition 2016 du forum économique mondial de Davos. Pour Klaus Schwab, le fondateur du forum, sa particularité est de remettre en question l'ensemble de la société, l'obligeant à devoir se repenser, y compris sur les plans politique et économique. Cette révolution est rapide et globale. Si elle est porteuse de promesses, elle n'est pas sans dangers pour l'activité humaine en général. Aux-Etats-Unis, dans la Sillicon Valley, Martin Ford n'a pas attendu cette quatrième révolution pour voir les conséquences de la précédente. Développeur de logiciels depuis plus de vingt-cinq ans, cet entrepreneur a constaté que sa société avait de moins en moins besoin d'engager du personnel au profit de technologies prenant en charge des tâches routinières. Dans « Rise of the robots », il interroge le phénomène et conclut que cette évolution est inévitable, allant même jusqu'à prédire une quasi apocalypse pour l'activité humaine. Selon lui, seule la mise sur pied d'un revenu universel garanti permettrait de sauver l'économie de marché. Mais pour Gérard Valenduc, chercheur associé à l’Institut syndical européen (ETUI) et à la Chaire Travail-Université (UCL) et professeur retraité, les pistes politiques à privilégier sont plutôt celles de la réduction du temps de travail, de la portabilité des droits sociaux, et de l’investissement dans la formation et la formation continue. Il épingle également celle du soutien à des activités économiques créatrices d’emploi, tout en élargisant le spectre du seul secteur numérique : « Il faut penser plus large et prendre en compte les secteurs utilsateurs comme dans les domaines de la santé, de l'éducation, du transport, du commerce… Surtout, il faut un regard sur le long terme. Pour cela, il faut une meilleure appréciation d’une échelle de temps car cela ne va pas se faire du jour au lendemain : une transformation profonde des modes de production, cela prend du temps ».