Placer les entreprises face à leurs responsabilitésPour le président de la FGTB, Robert Vertenueil, il faut aussi revoir le mode de financement de la sécurité sociale en prélevant sur d’autres types de revenus, y compris sur les richesses produites autrement que par l'humain. |
Réduire et redistribuer le temps de travailSans entrer dans une perspective alarmiste, l’évolution du monde du travail nécessite à la fois d'anticiper et de s'adapter dans le respect de la concertation sociale, souligne Geneviève Laforêt, collaboratrice au Service entreprise de la CSC. |
Placer les entreprises face à leurs responsabilités
Pour le président de la FGTB, Robert Vertenueil, il faut aussi revoir le mode de financement de la sécurité sociale en prélevant sur d’autres types de revenus, y compris sur les richesses produites autrement que par l'humain.
Robert Vertenueil
Président de la FGTB
Réduire et redistribuer le temps de travail
Sans entrer dans une perspective alarmiste, l’évolution du monde du travail nécessite à la fois d'anticiper et de s'adapter dans le respect de la concertation sociale, souligne Geneviève Laforêt, collaboratrice au Service entreprise de la CSC.
Geneviève Laforêt
Collaboratrice au Service entreprise de la CSC
Geneviève Laforêt : « Réduire et redistribuer le temps de travail »
Quand on vous dit qu’un emploi sur deux est voué à disparaître, cela vous fait-il peur ?
En matière d’emploi, il n’y a pas de consensus quant aux répercussions quantitatives : selon les hypothèses et méthodologies utilisées, les études qui annoncent des réductions d’emplois d’ici quinze à vingt ans varient de 47% à 9%. Une étude très pessimiste repose sur une évaluation des risques de substitution des tâches réalisées par des humains au bénéfice de machines intelligentes au niveau des profils de métiers (les chercheurs ont considéré qu’un emploi était menacé dès lors que 70% des tâches qui le composent pouvaient être automatisées). Quant à l’étude nettement moins pessimiste de l’OCDE, qui estime à 9% les réductions d’emplois, elle prend en compte l’hétérogénéité des tâches, automatisables ou non, au sein de chaque profil de métiers. D’autres prévisions reposent encore sur une analyse plus fine des conditions de travail potentiellement exposées à l’automatisation.
Les technologies sont des conditions nécessaires à une révolution industrielle mais elles ne sont pas suffisantes. Pour parler de révolution, il faudrait pouvoir évaluer les changements plus profonds tels que les nouvelles dérégulations/re-régulation sociales et fiscales. Or aujourd’hui nous sommes encore dans l’inconnue sur ce plan. Ensuite, peut-on réellement parler de quatrième révolution technologique ou est-il plus pertinent de parler plutôt d’évolution ? En outre, il faut aussi bien distinguer de quoi on parle quand on évoque la question de l’impact du numérique sur le travail et l’emploi: les implications varient selon que l’on évoque le développement de l’informatique et de l’internet, l’automatisation (qui consiste à remplacer l’homme par la machine, le robot, l’ordi) et la robotisation (qui consiste à combiner informatisation et automatisation) ou plus largement la digitalisation qui consiste à mettre en place de dispositifs techniques informatisés basés sur une codification d’informations diverses et nombreuses et l’exécution algorithmique d’une série de commandes et de contrôles (big data).
Il y a aussi tout ce qui relève de l’économie de plateforme. A l’exception du « nouveau » business modèle des plateformes numériques (permettant d’organiser des services marchands ou de sous-traiter des tâches en ligne), qui n’est pas vraiment nouveau en ce qui concerne l’éclatement des tâches, on assiste à une combinaison d’anciennes tendances liées aux TIC et de changements plus radicaux et très accélérés caractérisés par la convergence et la performance. La convergence s’observe dans l’intégration croissante de diverses technologies grâce à l’internet et la performance se mesure à la capacité d’exploiter et de modéliser la quantité gigantesque de données grâce à des algorithmes de plus en plus puissants.
Les travailleurs sont-ils totalement démunis face à ces mouvements d’automatisation et de robotisation ?
Il ne faut pas nier l’importance des pertes d’emplois (même si on se réfère aux études les moins alarmistes, les prévisions de pertes d’emplois restent considérables). C’est pourquoi, la perspective d’une réduction et redistribution collective et plus égalitaire du temps de travail doit être remise à l’avant plan des revendications syndicales. Cette question sera abordée lors du prochain congrès de la CSC d’octobre 2019, Quel travail demain ? Il existe des « bonnes pratiques » en ce sens au niveau de certains secteurs ou entreprises, mais ne faut-il pas l’envisager à un niveau plus macro, national et interprofessionnel ? Il y aura encore à l’avenir des gains de productivité et la question du partage équitable de ces gains reste centrale. Pour 2017, le bénéfice net des entreprises belges cotées a plus que doublé pour atteindre 17,38 milliards d’euros, dont 12,5 milliards ont été distribués comme dividendes aux actionnaires ! Quelle est la part consacrée aux investissements, à la transition, à la formation, à la reconversion des travailleurs, aux salaires, au financement des fonctions collectives, … ?
Les syndicats ne sont pas hostiles aux nouvelles technologies. En effet, elles peuvent amener des améliorations substantielles des conditions de travail, permettre une réduction des accidents et une sécurisation de l’environnement, offrir des opportunités en matière de réduction collective du temps de travail, … Mais les processus d’info-consultation en amont des décisions relatives à l’introduction des nouvelles technologies doivent être renforcés et actualisés (actualisation de la CCT 39 de 1983 : « Lorsque l'employeur a décidé d'un investissement dans une nouvelle technologie et lorsque celui-ci a des conséquences collectives importantes en ce qui concerne l'emploi, l'organisation du travail ou les conditions de travail, il est tenu, au plus tard trois mois avant le début de l'implantation de la nouvelle technologie, d'une part de fournir une information écrite sur la nature de la nouvelle technologie, sur les facteurs qui justifient son introduction ainsi que sur la nature des conséquences sociales qu'elle entraîne et d'autre part, de procéder à une concertation avec les représentants des travailleurs sur les conséquences sociales de l'introduction de la nouvelle technologie ».) L’introduction des nouvelles technologies doit faire l’objet de discussions et de conventions collectives !
Sur le plan de la formation, pensez-vous que nous sommes bien préparés ?
On n’est pas sur le bon chemin car on ne se trouve pas dans une dynamique d’anticipation. Certains secteurs, comme celui de la construction et des banques-assurances, avancent lentement mais sûrement en termes d’analyse ou de projets de formation. Mais dans les entreprises, ces aspects ne sont pas encore évidents. On sait qu’il y aura, à terme, des implications sur les terrains mais on en est encore au stade de réfléchir sur les métiers de conception et on n’a pas de vision claire des compétences existantes. Il faudrait anticiper en cascade pour voir comment cela va toucher l’ensemble des métiers. De plus, tous les engagements pris sur le plan de la formation dans les entreprises n’ont pas donné lieu à des résultats satisfaisants.
Depuis la mise en œuvre de la loi Peeters, adoptée en 2017, on vise maintenant à atteindre, de manière progressive, cinq jours de formation par an par équivalent temps plein. Il n’y a pas de sanction à la clé pour les entreprises, contrairement à l’ancien dispositif où des sanctions existaient mais n’ont pas été appliquées. Le politique n’est pas assez ferme et pas assez contraignant en termes de résultats. Les formations en entreprises sont parfois détournées de leurs objectifs : cela devient des formations « cadeau » ou « récompenses » qui suscitent parfois la méfiance du personnel. Dans les bilans sociaux annuels, on voit même que certaines entreprises considèrent que la première semaine de travail, en principe une période de mise au courant, est considérée comme de la formation. Il y a toutefois des bonnes pratiques, qui font l’objet de conventions collectives de travail, mais cela devrait être généralisé à toutes les entreprises.
Si les politiques régionales mettent l’accent sur la formation et l’emploi dans le secteur numérique, c’est insuffisant car cette dimension devrait se retrouver dans tous les secteurs. L’industrie 4.0 ne concerne pas que le numérique. Il faut voir aussi certaines entreprises, que l’on dit à la pointe, mais qui finalement n’ont jamais anticipé les questions de gestion des compétences et d’implications sur travail. C’est très bien d’introduire de nouvelles machines mais si l’on ne prépare pas un minimum le personnel, le risque est de se retrouver confronté à des situations où l’on n’arrive plus à honorer les commandes. Malheureusement, on en est là dans certaines entreprises.
Quelles réponses apporter face à cette évolution du monde du travail ?
En ce qui concerne la qualité de l’emploi et du travail, des réponses doivent être apportées en termes de (re)régulation et de représentation collective qui varient selon les composantes de robotisation ou de crowdworkisation (ndlr, forme de travail mutualisé qui s’est développé dans le giron des plateformes numériques : les plateformes proposent des « petits boulots » à des collaborateurs enregistrés auprès de celles-ci) de la digitalisation. Que les implications soient positives ou négatives, nous considérons que toute introduction de nouvelle technologie doit faire l’objet de discussions et de négociations collectives dans la mesure où elle aura des implications sur le travail, l’organisation du travail, l’emploi. Nous ne voulons pas faire seulement de la gestion de conséquences. Nous voulons une réelle concertation avec les travailleurs et leurs représentants sur les opportunités et les risques, un partage équitable des gains de productivité et un contrôle du contournement des lois sociales et fiscales par les entreprises.
Les transformations des modes d’organisation de la production et des emplois suite aux nouvelles frontières et nouvelles « collaborations » entre l’homme et la machine nécessitent de réévaluer le fonctionnement des équipes de projets, les compétences requises, les risques en matière de santé-sécurité, de bien-être au travail, …
Les déplacements d’emplois et les créations de nouveaux emplois ou de nouvelles fonctions nécessitent un travail d’anticipation et de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences à tous les niveaux, non seulement au sein des entreprises mais aussi au niveau des secteurs, entre les secteurs mais aussi au niveau d’un territoire. Des discussions et des accords collectifs doivent porter sur la vision de développement à moyen et long terme, sur l’inventaire des compétences existantes et attendues, sur les processus de formation et de reconversion, sur l’identification des postes qui disparaîtront, sur le temps de travail, sur la combinaison entre travail et vie privée, sur le télétravail, sur la protection des données, sur les modes de contrôle des travailleurs (via les puces, les caméras, la géolocalisation, les logiciels de surveillance, les smartphones, etc).
Certaines fédérations patronales sectorielles ont réalisé des études approfondies permettant de fixer les balises pour une transition réussie. Nous attendons et souhaitons que ces perspectives fassent l’objet d’un dialogue social constructif en particulier en ce qui concerne l’évaluation des compétences collectives existantes par rapport aux nouveaux profils attendus et la prise en charge des besoins de formation et des incidences sociales.
Aux risques sociaux liés à la digitalisation, il faut également ajouter les enjeux sociétaux et démocratiques: le chômage et les inégalités, la dérégulation (du droit du travail, de la formation des salaires, des négociations collectives, ;..), la polarisation sociale et économique croissante et l’érosion de la base fiscale qui finance la protection sociale, le développement du shopping fiscal et social favorisant les concentrations et les oligopoles, les stratégies de captation de la valeur produite en ligne,… Il est nécessaire aussi d’avoir un débat transparent sur un sujet compliqué : l’emprise des GAFAM sur la démocratie. Les promesses technologiques ont pour toile de fond la disparition de l’état social, remplacé par des modèles plus légers, plus rapides, plus cybernétiques. Le problème a trait au rôle que le libre flux des données est appelé à jouer dans un commerce mondial totalement dérégulé.
Propos recueillis par Laurence Dierickx
Robert Vertenueil : « Placer les entreprises face à leurs responsabilités »
Quand on vous dit qu’un emploi sur deux est voué à disparaître, cela vous fait-il peur ?
La question des chiffres n’est pas aussi évidente que cela. Je n’ai pas de boule de cristal. Je pense que si plusieurs études présentent des résultats contradictoires, cela démontre qu’une projection précise des conséquences de ce phénomène paraît impossible. On sait qu’on va vers des progrès technologiques assez prodigieux où on va pouvoir produire de plus en plus de choses sans avoir besoin d’intervention de l’homme. Mais personne ne peut encore imaginer, aujourd’hui, jusqu’où ce progrès va aller. On ne peut pas mesurer l’impact sur l’emploi en termes de nombre. Toutefois, il est certain qu’il y a manifestement des emplois qui vont disparaître tandis que d’autres vont se créer Cela va imprimer un mouvement sur le marché de l’emploi qui peut donner des frayeurs. Mais on peut voir les choses de deux manières. On peut soit broyer du noir – et il y a de quoi le faire – ou on peut décider de prendre les choses en mains en se disant que ça peut être une opportunité, à condition de faire les bons choix politiques. On est en train de vivre une quatrième révolution industrielle. Il n’y a aucune raison que l’on ne puisse pas faire comme lors des précédentes, qui ont été significatrices de progrès économique et social.
Les secteurs vont probablement être touchés de manière différente. Je pense que l’on peut facilement cerner ceux qui seront le plus impactés, comme ceux de l’informatique, des télécommunications, de l’économie du web et des technologies. A l’inverse, des secteurs comme ceux de l’agriculture, de l’Horeca ou du service à la personne vont probablement l’être moins. Cela paraît assez évident. Sans doute que d’autres secteurs seront plus ou moins fortement concernés comme celui de la finance et des assurances, comme on vient de le voir avec ING. L’intensité de l’impact va être plus ou moins fort en fonction du type d’entreprise ou d’industrie. Mais il est assez difficile, dans l’état actuel des choses, de discerner la cause des mouvements d’emploi que l’on observe actuellement. Est-ce qu’il s’agit déjà des effets de la digitalisation qui commencent à se faire sentir ? Ou bien s’agit-il d’effets habituels et plus classiques comme le carnet de commandes qui diminue ? Ce sont une série de facteurs qui influencent le marché de l’emploi.
Les exemples d’ING et de Carrefour sont, pour moi, assez emblématiques parce qu’on a ici la démonstration que quand nous posons le débat de la réduction collective du temps de travail, ça n’est pas aussi saugrenu que ça en a l’air. Qu’est-ce qui empêche une entreprise qui sait qu’il n’y aura pas d’impact sur son résultat, de dire qu’elle va garder la même structure de coût du personnel plutôt que de s’en débarrasser ? J’ai aussi du mal à comprendre une entreprise comme Carrefour qui licencie parce qu’elle anticipe le développement de l’e-commerce alors que celui-ci n’a pas encore été réalisé. Pourquoi ne pas former le personnel dont on n’aurait plus besoin aux caisses pour un autre département de l’entreprise ? Les entreprises doivent être rendues responsables des choses qu’elles provoquent elles-mêmes. On ne peut pas continuer à imaginer qu’elles remettent des travailleurs sur le compte d’une société pour laquelle elles ne veulent plus cotiser, puisqu’elles demandent sans cesse des réductions de cotisations sociales, de leurs taxes et compagnie. Ça ne va pas !
Les travailleurs sont-ils totalement démunis face à ces mouvements d’automatisation et de robotisation ?
On a des outils. D’abord, il y a déjà un cadre légal qui n’est pas suffisamment exploité et respecté. C’est la fameuse convention collective n°39, dite la convention collective sur l’innovation dans les entreprises, qui prévoit qu’une entreprise qui va faire de l’innovation dont la conséquence sera soit une perte d’emplois soit une modification de l’emploi, doit informer préalablement les organes de concertation. Il doit y avoir débat pour trouver des solutions. A l’époque, on a dit qu’il était nécessaire et bénéfique pour l’entreprise d’injecter de l’innovation ; et qu’on allait le faire en essayant de corriger les effets négatifs de cette injection de l’innovation. Qu’est-ce que l’on constate aujourd’hui ? C’est que l’application de cette CCT 39 est à géométrie variable. Il y a des endroits où ça se passe bien et des endroits où ça ne se passe pas du tout. Il y a donc nécessité de réhabiliter cette CCT 39.
Le deuxième outil, c’est celui de la concertation sociale qui devrait, de manière générale, ne pas attendre l’injection d’une innovation pour travailler sur une série d’outils qui permettraient d’anticiper les phénomènes. D’une autre manière, il y a aussi la résistance sociale. Les travailleurs ne vont pas continuer à accepter d’être les victimes d’un système duquel ils ne sont pas responsables ! Vient ensuite le combat politique. Ce n’est pas pour rien que je revendique le droit, pour une organisation syndicale, de faire aussi de la politique au-delà de faire de l’accompagnement social. Nous ne sommes pas demandeurs d’occuper le pouvoir pour résoudre ces problèmes-là, mais nous sommes demandeurs de pouvoir poser ces questions politiques.
Sur le plan de la formation, pensez-vous que nous sommes bien préparés ?
On ne va plus produire de la même manière dans le monde de l’entreprise où l’homme ne sera plus le maître absolu de la production. Cela veut dire qu’il faut s’intéresser à la question de savoir comment on gère ceux qui vont perdre leur emploi, celle de comment faire en sorte que les nouveaux emplois soient pourvus et celle de la manière d’assurer la transition. On peut s’interroger sur la question de la formation initiale et sur celle de la formation continuée. C’est probablement là qu’il y a une piste de réflexion importante et qui n’est pas assez creusée. Je pense que les entreprises doivent partager une responsabilité qui n’est pas suffisamment engagée aujourd’hui. On ne peut pas considérer que tout est de la responsabilité des travailleurs : c’est la grande mode aujourd’hui, tout le monde est responsable de tout et les entreprises ne sont responsables de rien !
Il y a ce fameux déficit des entreprises dans l’investissement pour la formation du personnel. On n’a jamais atteint ce fameux 1,9% de la masse salariale qui auraient dû être consacrés à la formation continuée, comme cela avait été négocié dans des accords interprofessionnels passés. Le ministre Peeters est arrivé avec une idée qui ne me semble pas du tout idiote parce que cette notion de pourcentage ne veut pas dire grand-chose, en réalité. Chaque travailleur devrait avoir droit à un minimum de jours de formation durant une année dans son entreprise, l’idée étant d’atteindre cinq jours de formation par travailleur et par an. On est loin du compte ! Dans la pratique, les entreprises sont très réticentes à atteindre ces objectifs. L’entreprise ne doit pas être la seule partie prenante. J’entends bien qu’il doit y avoir aussi une participation des pouvoirs publics. Quand on sait que la vie d’un travailleur, c’est probablement connaître plusieurs emplois au cours de sa vie, la formation continuée prend d’autant plus d’importance. Concernant les travailleurs plus âgés, nous nous demandons sur ce qui motive le gouvernement à supprimer tous les outils qui permettaient d’aménager les fins de carrière. Pourquoi ne pas donner un statut correct à l’enseignement en alternance, où on pourrait éventuellement solliciter les travailleurs plus âgés pour transmettre leur savoir. Pas grand-chose n’est fait pour inciter les entreprises à faire ce travail.
On n’est donc pas très bien préparés, y compris sur la formation de base. L’enseignement, c’est quarante ans d’échecs politiques. Certes, statistiquement, les enfants aujourd’hui sont plus intelligents. Sont-ils, pour autant, mieux préparés à la vie en société ? Je n’ai jamais considéré que l’enseignement est un lieu où on forme des êtres pour occuper un emploi mais pour évoluer et s’épanouir dans la société. Mais si on prend cette mission de formation pour l’emploi, on voit que l’enseignement technique et professionnel n’est pas à la page, malgré toute la bonne volonté des enseignants. C’est un problème de moyens que l’on met à la disposition des écoles pour que les enseignants puissent exercer leur métier convenablement. Quand on forme encore des gens en électromécanique sur des machines qui sont encore purement mécaniques et électriques alors que dans toutes les entreprises on en est à l’automatisation, forcément on ne peut pas avoir des jeunes up-to-date pour occuper un emploi.
Quelles réponses apporter face à cette évolution du monde du travail ?
Si l’on monte à un niveau un peu plus macro, on voit qu’aujourd’hui, le fonctionnement de la sécurité sociale repose sur des prélèvements principalement faits sur les revenus du travail. Pourquoi ce système a-t-il été construit comme ça, au lendemain de la guerre ? Parce que les revenus du travail représentaient 70% des revenus globaux en Belgique. Aujourd’hui, on est en-dessous des 50%. Peut-on continuer à faire peser l’essentiel des prélèvements sociaux et fiscaux sur les revenus du travail en ayant des prélèvements bien moindre sur d’autres types de revenus ? Si le phénomène devait conduire à avoir de moins en moins d’emplois, se pose alors la question de savoir comment l’on va continuer à subvenir aux besoins de l’état et de la sécurité sociale, sauf à penser que, demain, on peut vivre dans une société qui ressemblerait à la jungle. Celui qui a un emploi gagnerait sa vie et celui qui n’en a pas se débrouillerait pour vivre. Ce n’est pas le modèle de société que je défends. Il faut donc commencer à réfléchir à une autre forme de contribution qu’en passant principalement par les revenus du travail. Là, vient la notion de la taxe sur les robots. Je dirais qu’il faut faire en sorte que les richesses produites dans l’entreprise autrement que par l’intervention de l’homme doivent aussi contribuer à la fiscalité et aux prélèvements sociaux.
Notre idée, c’est la globalisation des revenus, c’est-à-dire taxer tous les types de revenus de la même manière et mettre en place des mécanismes de prélèvements sur les richesses produites qui soient beaucoup plus efficaces que ceux que l’on a aujourd’hui. On pourrait imaginer une cotisation sociale généralisée, comme c’est le cas en France, sur l’ensemble des individus que ce soient des personnes physiques ou morales. Il y a des pistes à creuser. En l’état, nous sommes mal préparés. Les réformes fiscales successives que Didier Reynders a mis en œuvre font que les hauts revenus ont de moins en moins été mis à contribution. Les soi-disant mesures visant à donner davantage de pouvoir d’achat aux travailleurs profitent essentiellement aux entreprises. Ce qui revient aux travailleurs ne compense absolument pas des mesures comme le saut d’index ou l’augmentation de la TVA. Il n’y a rien de plus injuste que la taxe à la consommation. Rien n’a été mis en place pour lutter contre la fraude fiscale. Non, je ne vois pas le gouvernement prendre le bon bout.
Certains ont évoqué la piste du revenu universel garanti pour tous. Je suis assez radicalement contre parce que c’est une mauvaise réponse. Tout d’abord, qu’est-ce que c’est ? Un revenu équivalent au seuil de pauvreté, qui est d’à peu près 1.150 euros ? Cela veut dire qu’il y aurait près de 10 milliards d’euros à trouver. Cela veut aussi dire que l’on ponctionnerait 10% de la protection sociale en Belgique pour financer ce revenu universel qui est profondément injuste : pourquoi l’attribuer à un directeur d’entreprise au même titre qu’à une caissière ? Je suis pour la garantie des revenus minimums d’existence, ce qui existe aujourd’hui. Sauf qu’on a tellement détricoté la sécurité sociale qu’on n’y arrive plus. Résoudre le problème passe par un refinancement de la sécurité sociale en supprimant les cadeaux gratuits et en revoyant le système de taxation sur les revenus. Mais si on me dit que ce sont les entreprises qui vont financer ces dix milliards alors là, on peut commencer à y réfléchir.
Propos recueillis par Laurence Dierickx